Le Matin : À l’initiative d’Ithmar Capital, l'Africa Sovereign Investors Forum (ASIF) a été lancé l'année dernière. L’initiative connait un franc succès et je crois savoir que d’autres fonds ont exprimé leur volonté d’intégrer ce Forum. Qu’apporte cette initiative au continent et pourquoi ce positionnement à l'échelle continentale est une priorité stratégique pour Ithmar Capital ?
Obaid Amrane : Permettez-moi de débuter par des extraits du message adressé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, aux participants à la conférence de lancement du Forum africain des investisseurs souverains où il insiste sur le «choix de faire de l’investissement un moteur de développement économique et social et d’intégration régionale et continentale en Afrique». En effet, «notre continent a besoin de l’apport d’une véritable industrie africaine de l’investissement, à même de garantir une mobilisation massive et pérenne de capitaux» pour une Afrique plus résiliente, inclusive, durable et autonome. C’est en s’inscrivant dans ces orientations Royales qu’Ithmar Capital poursuit et accélère depuis 2019 le déploiement de l’initiative African Sovereign Investors Forum (ASIF).
Orienter les capitaux privés vers les secteurs productifs et les infrastructures prioritaires
Les fonds souverains, en tant qu’outil de développement stratégique faisant la synthèse entre les priorités nationales et les exigences du secteur privé, ont un rôle déterminant à jouer pour orienter les capitaux privés vers les secteurs productifs et les infrastructures prioritaires. ASIF a permis de fédérer les fonds souverains africains, en ligne avec les enjeux du continent mais aussi de porter l’ambition de cette communauté en améliorant la coopération institutionnelle entre ses membres mais surtout pour stimuler la mobilisation de capitaux internationaux autour de projets structurants. En effet, les investisseurs et bailleurs de fonds internationaux recherchent des opportunités qui répondent à des critères difficiles à satisfaire à l’échelle d’un seul pays (taille, diversification du risque géographique, etc.).
À travers ASIF, Ithmar Capital et ses pairs africains espèrent devenir davantage plus audibles auprès de cette communauté, notamment, en préparant des projets concrets et selon les meilleurs standards internationaux. D’ailleurs, dès la cérémonie de lancement, l’initiative a connu un soutien majeur de plusieurs fonds souverains du Moyen Orient à travers la signature de la Déclaration de Rabat, ainsi que l’adhésion de la BAD et Africa50 avec lesquels un protocole d’accord a été signé pour intensifier la collaboration entre les trois parties.
Aussi, comme vous l’avez mentionné, ASIF connait un fort engouement des fonds souverains du continent et forte dynamique d’adhésion. C’est ainsi que, lors du dernier comité exécutif qui s’est tenu le 24 mars dernier, trois nouveaux membres ont rejoint le Forum. Il s’agit du Pula Fund (Bostwana), de la Mauritius Investment Corporation (Ile Maurice) et enfin de l’Ethiopian Investment Holdings (Éthiopie).2022 aura été une année très active pour Ithmar Capital à l'international. En plus du lancement de l’ASIF, le fonds a été élu à la présidence du conseil d’administration de l’International Forum of Sovereign Wealth Funds (IFSWF) dont vous avez présidé l’assemblée annuelle tenue en novembre dernier en Azerbaïdjan. Une première pour Ithmar Capital et pour le Maroc. Quels sont les objectifs et les enjeux de cette forte mobilisation à l'international ?En effet ! C’est aussi une première pour un fonds africain et une nouvelle illustration du leadership du Royaume du Maroc au niveau de notre continent mais aussi à l’échelle internationale sous la conduite éclairée de Sa Majesté le Roi que Dieu L’assiste. Cette élection, à une large majorité, à la présidence du conseil d’administration du forum international des fonds souverains est également une belle consécration des efforts déployés par Ithmar et une démonstration de la confiance dont il jouit auprès de ses pairs.
Pour rappel, l’IFSWF est le réseau mondial des fonds souverains. Il regroupe aujourd’hui 45 membres dont les actifs sous gestion sont estimés à plus de 4.600 milliards de dollars. Notre présence sur cette plateforme internationale nous permet de porter la voix des fonds stratégiques de développement ; ceux qui font du développement de projets et la mobilisation de capitaux une priorité pour leurs économies. C’est à ce titre que nous mettons par exemple en avant l’Afrique, notamment à travers l’introduction et l’animation d’une session dédiée à notre continent lors des trois dernières réunions annuelles de l’IFSWF. La forte mobilisation d’Ithmar à l’international s’inscrit dans le cadre des efforts de promotion de la destination Maroc auprès des investisseurs internationaux en faisant valoir les opportunités ainsi que les thématiques à fort potentiel pour le Royaume.
Du coup, quel est le bilan de cette première année en tant que président du CA de l’IFSWF et quelles sont les orientations pour les années à venir ?Ithmar Capital a insufflé une nouvelle dynamique à l’organisation non seulement en mettant en avant des sujets propres aux fonds stratégiques de développement, en croissance au sein du forum, mais également en apportant une dimension africaine plus large. Depuis un an, il y a une forte dynamique d’adhésion de fonds souverains africains ; sur les huit nouvelles adhésions, cinq sont de pays africains.
Ithmar Capital fait focus sur les investissements à impact
Concernant l’avenir, à travers la présidence de son conseil qui regroupe des représentants de pays comme les États-Unis, la Chine, la France ou encore Singapour, Ithmar entend promouvoir les thématiques relatives à l’investissement à impact, et plus particulièrement celles ayant trait à l’économie verte en s’inscrivant dans la continuité des engagements du Royaume en tant que pionnier de la transition énergétique et catalyseur du développement durable. C’est dans ce sens que nous sommes en train d’initier une réflexion stratégique au sein du forum.
Au-delà de la communauté des fonds souverains, Ithmar est très actif à l’international, pourquoi ?Parmi les rôles endossés par les fonds souverains, celui de participer à la diplomatie économique de leurs pays. Et c’est justement ce que s’emploie à faire Ithmar à travers son activité à l’international. À titre d’exemple, dans le cadre de la réflexion pour une croissance verte et inclusive, nous sommes engagés auprès de la Commission européenne en tant que membre du Groupe d’Experts de haut niveau en charge de la réflexion sur l’accélération des financements durables dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Du fait de son expertise, Ithmar est appelé à contribuer à la réflexion autour de l’augmentation des investissements dans les infrastructures vertes dans les marchés émergents et en développement, c’est ainsi que Ithmar a été nommé au Conseil consultatif des Nations unies pour l'investissement durable.Par ailleurs, grâce à son leadership sur le continent, Ithmar fait également partie du conseil consultatif du Institutional Investor Network, une organisation à but non lucratif, basée à Washington, dédiée à l’augmentation des investissements institutionnels sur les marchés africains et à l’encouragement des investissements sur le continent.Une telle présence à l’internationale ne vient-elle pas avec son lot d’exigences à respecter et de règles à observer ?Tout à fait et nous en avons pleinement pris conscience. C’est la raison pour laquelle nous nous attelons à mettre en place des outils aux standards internationaux et à les respecter, car ils représentent le socle à travers lequel nous intervenons auprès de nos partenaires. En étant membre de l’IFSWF, par exemple, nous adhérons aux Principes de Santiago qui régissent la gouvernance, l’investissement et la gestion des risques des fonds souverains et qui sont approuvés par le Comité monétaire et financier international du FMI.
En outre, Ithmar a récemment obtenu trois certifications relatives à son système de management global intégrant les systèmes de management de la qualité, de l’anti-corruption et de la santé et de la sécurité au travail, et ce pour l'ensemble de ses processus métier et support. L’obtention de ces certifications vient conforter les efforts consentis par Ithmar ces dernières années, tout en faisant de la conformité et l’éthique deux éléments clés de son développement. Par ailleurs, il est bon de noter qu’Ithmar Capital est le premier fonds africain à être certifié ISO 37001 pour son système de management anti-Corruption.
Aujourd'hui, l'environnement des affaires et de l'investissement est durement impacté par la conjoncture très difficile, notamment une inflation élevée et une faible croissance économique. Les fonds souverains africains, particulièrement Ithmar Capital, sont-ils bien outillés pour gérer cette incertitude et ce risque ?Les fonds souverains en tant qu’outil de politique économique se sont généralisés un peu partout dans le monde, et ce en dépit des équations stratégiques différenciées et propres aux enjeux spécifiques de chaque pays. Ils ont toutefois en commun un objectif de développement long terme. Et c’est dans la notion «long terme» que réside la réponse, car cet horizon permet aux fonds souverains d’avoir une intervention découplée de la conjoncture. Ce sont des investisseurs avisés et surtout patients qui poursuivent des objectifs à long terme. Ils offrent ainsi aux États une grande flexibilité au-delà des défis conjecturels que subissent leurs économies.
Pour un changement de paradigme dans le mode de financement de la croissance
Indépendamment des vicissitudes de la conjoncture actuelle, il ne reste pas moins urgent de travailler sur un changement de paradigme dans le mode de financement de la croissance. Il faut faire valoir davantage l’investissement privé. L’effet de levier sur le capital privé national et international devient une priorité au regard des contraintes sur les finances publiques. Or, les fonds souverains exercent un rôle moteur dans le renforcement du financement privé de l’investissement en alignant les priorités nationales avec celles du secteur privé. Ils s’inscrivent pleinement dans une dynamique de stimulation des investissements grâce aux synergies qu’ils peuvent développer avec les autres sources de financement.
Au niveau national, en octobre dernier, Sa Majesté le Roi a appelé à la mobilisation de toutes les institutions et de tous les acteurs pour la promotion de l’investissement productif, un levier essentiel pour la relance de l’économie nationale et l’ancrage du Maroc dans les secteurs prometteurs. Le cap défini par le Souverain est chiffré : mobiliser 550 milliards de dirhams pour créer 500.000 emplois d'ici 2026. Comment Ithmar Capital compte-t-il contribuer à ce chantier majeur ?Ithmar fait partie du dispositif national pour la promotion de l’investissement. C’est un des acteurs de l’investissement long terme. Sa vocation principale c’est de soutenir l’investissement productif, principalement en développant des projets structurants et transformationnels à fort impact qui nécessitent une forme de sponsorship public ou institutionnel. Il s’agit là de participer à la réponse commune du Royaume pour faire face aux enjeux futurs notamment en termes de création d’emploi et d’équilibre de la balance commerciale.
En se positionnant en amont de la chaine de valeur de l’investissement à travers l’idéation, la préparation et la structuration de projets, Ithmar Capital entend maximiser l’effet multiplicateur sur le dirham public investi. Il faut savoir qu’en accélérant l’incubation de projet, en offrant une meilleure allocation des risques et en étant tiers de confiance vis-à-vis des investisseurs privés, on entend faciliter l’attraction du capital privé. Qui plus est, l’internationalisation des entreprises marocaines est un axe stratégique important pour Ithmar Capital. Nous nous efforçons de renforcer nos partenariats existants et en recherchons de nouveaux dans le but de générer des opportunités pour les entreprises marocaines, notamment sur notre contient et ainsi, agrandir le marché adressable par notre tissu économique. D’ailleurs, c’est dans ce sens que nous avons signé récemment une déclaration conjointe avec notre homologue espagnol, COFIDES, dont l’objectif principal est de faciliter l’internationalisation des entreprises des deux pays.Qu’en est-il du Fonds Mohammed VI pour l'investissement qui compte générer jusqu'à 150 milliards de DH ? Quelle synergie ? Quelle collaboration ?En tant que composante du dispositif national de promotion de l’investissement, Ithmar contribue à partir de sa position aux côtés des autres acteurs à la mise en œuvre des politiques et des priorités nationales en la matière. Je souhaite, à ce propos, rappeler que Sa Majesté le Roi a insisté lors du discours donné à l’occasion de la Fête du Trône le 29 juillet 2020 sur la coordination nécessaire des différents acteurs de l’investissement long terme du Royaume. En effet, la diversité des besoins et enjeux du Maroc pour répondre aux défis du nouveau modèle de développement dans un contexte de sortie de crise économique exigera sans nul doute une mobilisation optimale et coordonnée de l’ensemble des acteurs de ce dispositif pour faire valoir leur spécialisation et leur expertise dans la chaine de valeur de l’investissement. De son côté, Ithmar Capital s’inscrit complètement dans cette optique.
Quelle est la capacité financière d'Ithmar Capital aujourd'hui ? Dispose-t-il de ressources suffisantes pour relever tous les défis ?Ithmar Capital a été doté à sa création d’un capital initial de 1,5 milliard de DH avec un engagement cible de 15 milliards de DH. Les appels de fonds se font en fonction des opportunités d’investissement. Ce n’est pas tant le montant investi par Ithmar Capital, qui est souvent une part minoritaire, mais sa capacité à mobiliser le capital privé principalement à travers la préparation de projets qui est déterminante. En fait, l’origination et le développement de projet qui permettent à Ithmar Capital d’intervenir en amont de l’acte d’investissement afin d’adresser les enjeux de préparation, d’allocation des risques et d’exercer un effet de levier sur les ressources privées. Prenons pour exemple la JV Wessal, un partenariat unique de par le monde qui regroupe en plus d’Ithmar Capital, 4 fonds souverains du Moyen Orient. Wessal est un véhicule d’investissement avec un engagement de 2,5 milliards d’euros en fonds propres, répartis à parts égales entre les cinq actionnaires.
Quels sont les secteurs cibles et sous quelles conditions intervenez-vous ?Les prérogatives d’Ithmar Capital ont été élargies à l’ensemble des secteurs de l’économie nationale par décret en 2019. Dès lors, une refonte du modèle d’intervention a été réalisée, notre équation stratégique définie et plusieurs thématiques d’investissement prioritaires ont été identifiées en prenant en considération les besoins long terme du Royaume, bien sûr, la recherche d’impacts structurants notamment en termes de création d’emploi, d’optimisation de balance courante mais aussi l’attractivité pour les investisseurs tiers et le paysage des autres acteurs nationaux. Il s’agit des secteurs stratégiques à fort potentiel de développement et ceux qu’on peut considérer comme des «enablers» stratégiques pour l’économie de demain. A contrario d’un fonds d’investissement classique, on se distingue en nous positionnons en amont de l’acte d’investir, en identifiant les projets et en les codéveloppant avec des partenaires qui disposent de l’expertise technique nécessaire.
Ithmar a procédé auparavant à des prises de participation dans des projets structurants nationaux. Aujourd'hui, quelle est la structure du portefeuille du fonds et comment évoluent vos actifs ?Historiquement, Ithmar Capital a investi essentiellement dans les secteurs du tourisme et du Real Estate dans le cadre de l’accompagnement de la stratégie touristique du Royaume. Aujourd’hui, Ithmar Capital est actionnaire minoritaire dans les stations de Saidia (SDS) et de Taghazout (SAPST), et sponsor de la JV Wessal. Ithmar continue à accompagner ses participations, notamment pour leur permettre de faire face aux défis de la conjoncture actuelle.
Quelle est votre stratégie de développement et quels sont vos prochains projets ?En mobilisant le réseau de partenaires, Ithmar Capital entend accompagner les projets stratégiques d’envergures nécessaires au développement du Royaume que ce soient des projets nationaux ou des projets d’intégration régionale, voire même continentale. Pour ce faire, nous avons mis en place au sein d’Ithmar deux axes d’intervention:
Le premier relatif au développement de projets permettant d’adresser les thématiques du développement et de financement de projets en amont de l’investissement. Il permet d’adresser les enjeux de préparation (risque de développement), de bancabilisation (allocation des risques) et de financement (effet multiplicateur) de projets pour mieux orienter le capital privé vers les priorités nationales.
Le second s’articule autour du soutien à l’internationalisation de l’économie. Il a pour principaux objectifs d’œuvrer pour une meilleure intégration sur le continent et de soutenir les entreprises marocaines dans leur projet à l’international. Dès lors, l’intervention d’Ithmar s’inscrit dans la complémentarité du dispositif national des investisseurs long terme.Lire aussi : Maroc-Espagne : Ithmar Capital et COFIDES renforcent leur partenariat