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Grand froid : le calvaire des sans-abri continue, les associations à la rescousse

En ces temps de grand froid, il y a une catégorie de Marocains qui souffre doublement et qui nécessite une prise en charge urgente pour éviter le pire. Ce sont les sans domicile fixe (SDF) qui en plus d’affronter les dangers de la rue, se retrouvent encore plus affaiblis devant la vague de froid qui caractérise cette saison hivernale. On les croise dans la rue «enveloppés» dans de vieilles couvertures, en manque de vêtements chauds et de nourriture, à même le sol ou dans des couchages en carton. Dans certains quartiers, les sans domicile fixe de Casablanca «font presque partie du décor de la rue». Derrière ces silhouettes alanguies et ces visages tristes, des histoires et des souffrances humaines se cachent. «Les sans-abri ne sont pas nés ainsi. Ils transportent avec eux leurs histoires, subissent des maltraitances et parfois des viols et doivent tous les jours combattre le froid, la faim, la misère et les dangers de la rue», explique une bénévole dans un collectif d’aide aux sans-abri. Pour les aider à surmonter ce cauchemar, des bénévoles, des associations et des militants se mobilisent tout au long de l’année, mais particulièrement en hiver, pour les prendre en charge partiellement. Le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille accorde également une attention particulière aux institutions de protection sociale et à la mise à niveau des différents centres d’assistance sociale spécialisés dans l’hébergement des personnes en situation de rue. Le département de Awatif Hayar a déployé un budget de 200 millions de dirhams pour la mise à niveau de 250 centres en 2022 et la restauration de 1.000 centres en 2023. Le ministère prévoit, en outre, de généraliser les unités mobiles «SAMU sociaux», qui jouent un rôle important dans la prise en charge des personnes sans abri. Très active auprès des SDF, l’association Jood milite depuis des années pour la dignité des sans-abri en leur offrant des repas chauds, des couvertures, un abri temporaire… L’association vient de lancer une autre initiative «Camion douche» pour les sans-abri. «Le Matin» a fait une immersion lors de cette campagne lancée à Casablanca. 

Association Jood : le «Camion douche» en faveur des sans-abri reprennent du service

Le «Camion douche» initié par l'association Jood reprend du service dans différentes villes du Maroc. Itinérante et multiservice, cette action humanitaire vient offrir aux sans-abri l'occasion de se laver ainsi que différents services d'hygiène, de santé ainsi qu’un pack vestimentaire pour affronter les températures hivernales. «Le Matin» a contacté la fondatrice de l'association, Hind Laïdi, pour nous éclairer sur le déploiement de cette action qui vient apporter un peu de réconfort à près de 4.000 personnes en situation de détresse.

La dignité des sans-abri est le cheval de bataille de l'association Jood depuis sa création en 2015. Le «Camion douche» fait partie des actions louables de ce mouvement citoyen bénévole. Le tout premier camion équipé a vu le jour en novembre 2019, avant de marquer un arrêt forcé à cause de la pandémie due à la Covid-19. L’action a repris du service le 19 septembre 2022 à Tanger, puis récemment à Casablanca, avec comme objectif de s'étendre à Marrakech, Essaouira et Rabat dans les mois à venir.

Prendre soin des oubliés

Isolés et en situation précaire, les personnes sans-abri se retrouvent dans des conditions sanitaires déplorables qui ont un impact sur leur santé mentale et physique. Le «Camion douche» vient mettre du baume au cœur des bénéficiaires en leur offrant une douche chaude, des soins d'hygiène, dont l'entretien des ongles, le brossage des dents, le rasage de la barbe, et la coiffure avant d’enfiler des vêtements chauds inclus dans le pack hivernal remis par les bénévoles. La santé des personnes profitant de l'opération est également au cœur des priorités de cette opération avec la présence d’un médecin sur place pour assurer les consultations et prodiguer les soins médicaux en cas de besoin. Le «Camion douche» est doté d’une machine à reconnaissance digitale et d’un logiciel spécial afin de récolter un grand nombre d’informations concernant les bénéficiaires pour assurer un suivi et les accompagner au mieux. «Le Camion bonheur», tel est le surnom que je donne au «Camion douche». C'est un réel bonheur pour chaque personne qui en sort se voit métamorphosée et retrouve sa dignité. Je tiens à préciser que 12,5% des bénéficiaires de ce camion ont été réinsérés sans notre intervention en allant chercher du travail ou bien en allant retrouver leurs familles», confie Hind Laïdi.

La précarité n’épargne personne

La population des sans domicile fixe est hétérogène. Datant de la période pré-Covid, les chiffres enregistrés par l'association indiquent que 95% de cette frange de la société sont des hommes. Les mineurs représentent 21% de cette population alors que les plus de 21 ans forment les 79% restants. Les citoyens marocains constituent la majorité avec 92%, le reste étant issu des pays subsahariens. Hind Laïdi apporte des précisions concernant les profils les plus récurrents : «La population des sans-abri est éclectique et composée d’enfants, d’adultes et de personnes âgées. Nous avons des personnes qui sont nées dans la rue et qui ne connaissent que la rue. Il est important de rappeler que nous sommes à la quatrième génération de sans-abri», explique-t-elle avant d’ajouter : «Les raisons qui les mènent à cette situation sont diverses. Parmi les cas, il y a les enfants qui fuguent de chez leurs parents ou bien des orphelinats, des adultes également qui ont eu une vie normale sur le plan professionnel et familial. Toutefois, ces derniers se retrouvent à la rue suite à des maladies psychologiques, perte d'emploi ou autres raisons».

La pérennité des actions de l'association Jood ne peut être assurée sans la synergie des bénévoles surnommés les Joodeurs. Pour rejoindre ces derniers, il suffit de télécharger l'application «My Jood» pour découvrir le planning des actions et renseigner votre participation.

Questions à Hind Laïdi, présidente de l'association Jood

Le Matin : L’association Jood mène, depuis quelques années, de nombreuses activités pour soutenir les personnes sans-abri dans plusieurs villes. Étant proche de cette population vulnérable, pouvez-vous nous décrire les principales difficultés et souffrances qu'ils endurent surtout en hiver ?

Hind Laïdi
: L'hiver est particulièrement rude cette année au Maroc. Et comme chaque année, les personnes sans-abri sont en détresse face aux températures glaciales, surtout la nuit, et aux difficultés d’accès aux infrastructures sociales et services de bases, notamment en matière de santé et d’hébergement.

Je souligne que le froid n’est pas notre seul challenge pour atténuer la souffrance des sans-abri à la rue. Cette année, Jood s’est alarmée plus tôt que prévu de la situation des sans-abri, car leur nombre a sérieusement augmenté, sans doute sous l’effet de la crise.

Quelles sont justement les actions de Jood pour soutenir les personnes en situation de rue durant cette période difficile ?

Toutes nos équipes à Jood font feu de tout bois pour leur venir en aide, mais pas seulement dans la période hivernale. C’est depuis 2015 que Jood organise régulièrement des maraudes nocturnes à la rencontre de ces laissés pour compte, pour leur offrir plus de 13.000 repas chauds et complets tous les mois, des vêtements, des couvertures, et des médicaments… Et à l’arrivée de l’hiver nous avons lancé la deuxième saison de l’opération du «Camion douche Jood Digne», qui est une première au Maroc et en Afrique, qui permettra à 4.000 sans-abri dans plusieurs villes au Maroc d’avoir l’accès au service de santé et à l’hygiène corporelle et une douche chaude et leur offrir un pack vêtements neufs qui leur aidera à réchauffer leurs corps affaiblis.

Quelles sont, d’après vous, les autres actions qu'il faut mener pour améliorer leur situation ?

Notre présence régulière sur le terrain de la nuit et notre contact permanent avec cette population nous ont permis un constat accablant ; qu’il sera très difficile à Jood, seule, de trouver des solutions stables, et de porter assistance à des individus recroquevillés dans leur souffrance et endurcis par des conditions de vie extrêmes. Certes, nous n’y arriverons pas tout seuls, mais nous sommes convaincus que la concentration des efforts avec nos partenaires publiques, le soutien étatique et la mobilisation des citoyens, sont un capital fondamental pour atteindre notre but et aider les sans-abri à améliorer leurs quotidiens, leur assurer respect, équité et dignité, à travers l’innovation sociale au Maroc.

La production de plusieurs unités mobiles facilitant l’accès aux services de santé et d’hygiène, et la mise en place de plusieurs centres d’accueil d’urgence et de proximité au profit de cette population sont des projets et actions que nous avons conçus dans le but d’améliorer la situation de ces personnes vivant à la rue dans la précarité la plus extrême, et nous restons ouverts à toute initiative avec les acteurs publics pour que ces projets voient le jour.

Une batterie de mesures pour soutenir les sans-abri

Dans le cadre de sa nouvelle stratégie «Gissr» (Green Inclusive Smart Social Regeneration) 2022-2026, le ministère de la Solidarité, de l’insertion sociale et de la famille accorde une attention particulière aux institutions de protection sociale et à la mise à niveau des différents centres d’assistance sociale spécialisés dans l’hébergement des personnes en situation de rue. Le département de Awatif Hayar a ainsi déployé une enveloppe de 200 millions de dirhams pour la mise à niveau de 250 centres en 2022. Il est également prévu de restructurer 1.000 centres en 2023. La stratégie «Gissr» vise également à accompagner les personnes en situation de rue, notamment les enfants et œuvrer pour leur insertion dans la société.

Le ministère prévoit, en outre, de généraliser les unités mobiles «SAMU sociaux», qui jouent un rôle important dans la prise en charge des personnes sans-abri. Ces unités interviennent sur leurs lieux de vie de jour comme de nuit, et leur offrent des repas chauds, des vêtements et des couvertures et leur proposent leurs services d’aide sociale, selon les besoins de chacun. Les SAMU sont souvent amenés à assurer une prise en charge médico-psycho-sociale pour les personnes en situation de rue, leur trouver un hébergement d’urgence et les orienter vers les relais ou des centres d’hébergement temporaire.

D’après le ministère, la généralisation des SAMU sera finalisée en 2023, pour pouvoir assister et soutenir un plus grand nombre de sans-abri dans toutes les différentes villes du Royaume.

Par ailleurs, l'année 2023 connaîtra le lancement du processus d'accréditation des travailleurs sociaux, notamment ceux affiliés aux associations qui bénéficieront désormais d'une couverture médicale, mais aussi de formations sous forme de modules afin de les réhabiliter pour mieux remplir leurs missions. Une attention particulière sera aussi accordée à la mise en place d'une plateforme numérique sous forme d'un guichet unique orientant les catégories bénéficiaires vers les structures ciblées et recueillant et structurant les données.

Dossier réalisé par Hajjar El Haitti & Majda Fadili

>> Lire aussi : En 2022, le Maroc revient au niveau de pauvreté et de vulnérabilité de 2014 (HCP)

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