Anthropologue, écrivaine et enseignante, Yasmine Chami livre une lecture particulière de ce que le Maroc a vécu ce dernier mois depuis le début du parcours des Lions de l’Atlas au Mondial. En grande passionnée du football, elle revient sur cet exploit qui rappelle d’ailleurs que la passion des Marocains pour le football ne date pas d’aujourd’hui, mais que cette fois-ci les limites ont été encore repoussées et la portée de cette passion a atteint de hauts niveaux. «À chaque fois qu’un pays africain arrive à franchir un nouveau cap, nous sommes tous convoqués quelque part dans nos appartenances et dans la façon que nous avons de percevoir la césure Nord/Sud, riches/pauvres, vulnérables/invulnérables… Il y a donc tous ces enjeux qui sont convoqués et qui font que le foot prend des dimensions énormes», souligne l’invitée de «L’Info en Face».
La fierté de défendre le drapeau vert et rouge
L’anthropologue a également soulevé cette fierté avec laquelle les joueurs ont défendu les couleurs du Maroc. «On sentait bien que jouer sous ce drapeau, c'était quelque part rentrer chez soi momentanément, notamment pour les binationaux. Il y avait une sorte de ferveur extrêmement touchante parce qu'elle est sincère. Et donc, il y avait une fierté à porter ce drapeau national marocain, mais qui est aussi un drapeau de l'Afrique et des pays arabes. Aujourd'hui, cette unification d'une conscience continentale africaine et arabe est très positive», estime l’invité.
Pour l’anthropologue, cette coupe du monde et l’exploit du Maroc ont eu des dimensions politiques de militantisme. «Le foot, c'est comme une arène à ciel ouvert qui dévoile l'étendue des rapports de force. Et le Maroc était le “Petit Poucet” qui a gagné et qui a gagné la sympathie de tous», souligne l’invitée. Et de poursuivre que ce qui est nouveau cette année c’est la dimension politique du foot, une dimension presque militante qui se greffe sur une situation où tout à coup le rapport de force est renversé».Les femmes, la révélation de ce mondial
Tout le monde s’accorde à dire que cette année, la femme était très présente dans ce monde de football. «J’ai été absolument stupéfaite par la ferveur et le nombre du public féminin. On s'est dit que ce n'est pas du tout négligeable et donc il y a eu là quelque chose qui a été au-delà du sport. Je pense que ces femmes se sont identifiées aux mères des joueurs. Il y a eu cette valorisation des mères par ces jeunes joueurs et les femmes ont été très touchées par ces gestes envers des dames humbles, traditionnelles et extrêmement courageuses. Et là, je pense que toutes les Marocaines se sont senties comme des mères de ces joueurs».
Les Lions de l’Atlas porteurs de valeurs fondatrices
«Et puis il y a les valeurs portées par ces joueurs. C’était quelque chose d'extraordinaire parce que ce sont des jeunes qui, pour une grande partie vivent à l'étranger, mais qui revendiquent des valeurs qui sont celles que les femmes ont eues dans un monde patriarcal, des valeurs que les Marocains ont toujours eues, mais qui se sont diluées avec le temps», indique l’anthropologue. Elle évoque dans ce sens le mot «Niya» utilisé par Walid Regragui, mais qui a eu un impact énorme. «“Niya” c’est une valeur ancestrale qui a été oubliée parce qu'on est quand même dans une société où on peut tricher, on peut mentir… La “Niya”, c'est la bonne foi, c'est le cœur d'enfant», explique l’invitée. S’il y a donc une leçon à retenir, c’est bien cet appel de l’entraîneur autour duquel il a pu fédérer les joueurs en touchant leurs valeurs profondes. C’est cette volonté, ce sérieux et cette bonne foi qu'il faut pour réussir. «Je crois que “Niya”, ça dit les aspirations du peuple marocain, de tous les Marocains. Et c’est le principe qui doit prévaloir à la fois individuellement et collectivement au niveau des institutions, pour que la transparence et la bonne foi concernent aussi la gestion des affaires publiques et privées et dans la politique, en général», souligne Mme Chami.
