Depuis quelques années, les relations entre le Maroc et l'Angola avancent, lentement mais sûrement, dans le bon sens. Après les deux rencontres entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président angolais João Lourenço, en novembre 2017 à Abidjan et en avril 2018 à Brazzaville, les deux pays ne cessent d’afficher leur volonté de renforcer et de diversifier leurs coopération. Cette volonté a été réitérée en mai 2022 à l'occasion de la visite de l’ambassadeur itinérant de la République d’Angola Bernardo Mbala Dombele au Maroc, porteur d’un message du Président João Lourenço à S.M. le Roi. La tenue hier de la troisième Commission mixte s’inscrit dans la même logique et augure d’un bel avenir des relations entre Rabat et Luanda. Ce pays stratégique de l’Afrique australe, le dernier en Afrique à avoir recouvert son indépendance du Portugal en 1975, a toujours été sensible aux idées révolutionnaires et aux principes de libération des peuples. C’est ce qui explique sans doute son soutien au polisario, présenté à tort et avec beaucoup de fourberie par l’Algérie comme un mouvement de libération. Mais visiblement, cette position est en train de bouger. Le changement est lent, mais il s’opère inexorablement. En effet, la République d'Angola s’est déclarée hier à Rabat pour une solution politique fondée sur le compromis au sujet du différend autour du Sahara.
Dans un communiqué conjoint publié à l'issue des travaux de la troisième session de la Commission mixte de coopération, le chef de la diplomatie angolaise a affirmé que son pays «encourage les efforts du Secrétaire général de l'ONU et de son Envoyé personnel, Staffan de Mistura, pour trouver une solution politique juste, durable, mutuellement acceptable par les parties et fondée sur le compromis». Exit la rhétorique indépendantiste. Cette déclaration, qui traduit à l’évidence une nouvelle tonalité dans la ligne politique de ce pays s’agissant de la question du Sahara, n’est pas le fruit du hasard. La reconnaissance de l’entité fantoche n’a pas empêché le Maroc de développer ses relations avec ce pays, dans le cadre d’une stratégie de long terme et de partenariat gagnant-gagnant pour faire évoluer les positions et remettre en question certaines conceptions erronées, voire désuètes. Il faut rappeler que le Maroc, dans sa quête pour rallier l’Angola à sa cause, ne part pas de rien, puisqu’il a fortement soutenu ce pays durant ses années de lutte pour l’indépendance. C’est un élément à mettre en avant. Dans les relations internationales, les symboles comptent, mais le réalisme pèse beaucoup plus. C’est pourquoi le Maroc entend jouer à fond la carte de l’économie et du partenariat mutuellement bénéfique. L’intensification des relations entre Rabat et Luanda ne peut que conduire au retrait de la reconnaissance du polisario. Des échanges plus denses et une meilleure connaissance des réalités historiques et des enjeux politiques sont de nature à conduire à des prises de position plus lucides et plus pragmatiques.
Cherkaoui Roudani, professeur universitaire, spécialiste des questions géostratégiques : «Je pense que toutes les conditions sont réunies pour que l’Angola retire sa reconnaissance du polisario»
Le Matin : La troisième commission mixte Maroc-Angola s’est tenue hier à Rabat et, visiblement, le Maroc essaie de convertir à sa cause ce pays d’Afrique australe, un des principaux soutiens du polisario en Afrique. Quelles cartes le Maroc peut-il jouer dans cette démarche ?
Cherkaoui Roudani : Il convient de préciser de prime abord que le Maroc et l’Angola entretiennent des relations historiques, marquées par le respect mutuel. D’ailleurs, Agostino Neto, l’un des pères fondateurs du mouvement de la décolonisation et la libération de l’Angola, qui était sous le joug de l’occupation portugaise, a bénéficié d’un soutien fort de la part du Maroc pour qu’il puisse en février 1961 déclencher la lutte de libération nationale. Depuis des années, les deux pays ont accéléré la cadence des rencontres de très haut niveau dans l’objectif de mettre en place des stratégies communes qui répondent aux ambitions et aux enjeux mutuels. Outre la coordination des positions adoptées face aux problématiques régionales et internationales, la Commission mixte (CM) est une occasion pour aller de l’avant pour raffermir leurs relations politiques et économiques exprimées lors de la deuxième CM tenue à Luanda en 2013. Il est important de souligner que dans la région australe, l’Angola pourra jouer un rôle de premier ordre, notamment en tant que membre actif de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
Le Maroc et l’Angola sont deux pays atlantiques, une spécificité géographique qui leur ouvre des perspectives de coopération et de partenariat. Sur le plan de la coopération énergétique, le Royaume du Maroc et la République d'Angola ont mutuellement exprimé un vif intérêt à collaborer dans le domaine vital de l'énergie. Le Maroc, détenteur d'une expertise éminente en matière d'énergies renouvelables, a manifesté sa volonté de partager son savoir-faire précieux avec l'Angola, doté en abondance de précieuses ressources pétrolières. Pour Luanda, le Maroc est un modèle avant-gardiste dans un plusieurs domaines qui intéressent la stratégie angolaise. Le rapprochement avec les pays méditerranéens passe par Rabat, étant donné que le Royaume a des relations privilégiées avec la rive nord de cet espace. De même, les possibilités de coopération sont énormes dans les domaines du commerce, de la formation et de l'agriculture. Tout cela augure d’une coopération accrue qui pourrait ouvrir la voie à un changement dans les positions géopolitiques.
Pensez-vous que l’Angola pourrait retirer sa reconnaissance du polisario dans un avenir proche ?
Comme je l’ai expliqué, il y a une dynamique internationale qui accompagne la volonté onusienne d'en finir avec ce différend géopolitique entre le Maroc et l’Algérie. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, notamment 2414, 2440 et 2654, appuient l’initiative d’autonomie proposée par le Royaume du Maroc en tant que solution réaliste et réalisable. Ce soutien international grandissant de pays importants et influents comme les États-Unis, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne ainsi que d’autres à l’Initiative marocaine d’autonomie est une illustration de la prééminence de la vision marocaine. Outre l’ouverture à Laâyoune et à Dakhla de plus d’une trentaine de consulats généraux, la non-reconnaissance de plus de 84% des États membres de l’ONU de l’entité fantoche et l’essor économique et social dans les provinces du Sud élucident cette dynamique hautement positive. C’est pourquoi j’ose dire que toutes les conditions sur les plans pragmatique et politique sont réunies pour que l’Angola retire sa reconnaissance du polisario.
Qu’est-ce que l’Angola pourrait gagner en renforçant ses relations avec le Maroc ?
Il y a beaucoup de chose que l’Angola peut gagner de ses relations avec le Maroc. D’abord les leviers géostratégiques du Maroc sont une opportunité pour Luanda. Le Maroc et l’Angola sont deux pays qui pourrait constituer un axe majeur dans la politique atlantiste africaine qui s’est cristallisée au Maroc. Au niveau économique et commercial, le Maroc reste un pays stratégique pour les entreprises angolaises, vu la proximité géographique du Maroc avec l’Europe de l’Ouest ainsi que la politique marocaine dans la Méditerranée. Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, le Royaume dispose d’une expertise reconnue mondialement qui pourrait être mise à profit par l’Angola.
Il est important de souligner que l’Angola reste un pays qui cherche à renforcer ses relations avec la Cédéao (Communauté des États de l'Afrique de l'Ouest) ainsi qu’avec les pays de l’Afrique de l’Ouest. Une relation étroite constituera un moyen de renforcer le travail sur plusieurs domaines tels que l’investissement triangulaire, l’énergie renouvelable ainsi que la position de l’Angola dans des axes stratégiques de dimension internationale. En définitive, il est clair qu’une relation stratégique entre les deux pays serait bénéfique pour le continent africain ainsi que pour l’alliance atlantiste des pays africains.
Propos recueillis par Brahim Mokhliss
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