Le Rapport révèle que 98% des Marocains possèdent un téléphone mobile, illustrant une large diffusion de ces appareils. De plus, 80,2% de la population utilise Internet, un indicateur fort de l’augmentation du taux de numérisation dans le pays. Malgré ces indicateurs au vert, seulement 47,7% des foyers disposent d’une connexion Internet à domicile. Cette disparité met en lumière l’écart entre les personnes ayant accès à Internet via des téléphones mobiles et celles bénéficiant de connexions fixes. En ce qui concerne les services de large bande, le Rapport indique qu’il y a 72,5 abonnements à Internet via la large bande mobile pour 100 habitants. Le réseau 4G/LTE couvre environ 58,1% du territoire marocain, reflet des efforts du gouvernement pour améliorer les infrastructures de télécommunications.
Encore loin de la Digital Nation...
En mai dernier, le ministère de la Transition numérique annonçait le lancement d’un programme visant à connecter 1.800 zones rurales à internet dans les prochains mois. Le projet marquait le lancement de la seconde phase du Plan national pour le développement du haut et très haut débit visant à réduire la fracture numérique. La première phase est toujours en cours. Elle prévoit la couverture de 10.740 zones rurales coupées du monde numérique. L’ambition est plus large. Ces plans servent aussi à préparer le pays à se moderniser digitalement et pouvoir ainsi introduire la technologie 5G dans des conditions idoines.Une fois le programme de couverture Internet déployé, ce sont des millions de personnes du monde rural qui devraient voir leurs conditions de vie s’améliorer. L’initiative permettra aux habitants d’accéder à une gamme variée de services publics en ligne (il existe à ce jour quelque 600 plateformes numériques publiques) : les élèves pourront ainsi bénéficier de ressources éducatives en ligne, les patients auront accès à des consultations médicales à distance, et les entrepreneurs locaux pourront élargir leurs marchés grâce au commerce électronique. Pour réussir cette transition numérique, le Maroc devra relever plusieurs défis, notamment l’achat et l’installation de câbles sous-marins pour établir une connexion directe avec les États-Unis, source de plus de 80% du trafic Internet mondial. Le délai entre la commande et la livraison de ces câbles peut aller jusqu’à quatre ans, selon les pouvoirs publics.
5G à partir de 2026 : une mission compliquée, mais pas impossible
Le chantier de l’activation des services internet de cinquième génération est tentaculaire. Sur l’aspect technique, il porte notamment sur «les processus de reconfiguration du spectre de fréquences et la libération des bandes de fréquences susceptibles d’être exploitées dans les réseaux 5G, en plus de la connexion des sites des Stations d’émetteur-récepteur de Base (BTS) avec des liaisons de fibre optique». Des processus d’ores et déjà lancés selon les précisions apportées par le ministère de la Transition numérique au printemps dernier. Selon la même source, les réseaux 5G présentent des avantages considérables par rapport à ceux de quatrième génération : le transfert d’une quantité importante de données à une vitesse plus rapide, le traitement de grandes quantités de données avec un minimum de retard et une utilisation intensive des applications dans les maisons, bâtiments, villes ou encore voitures intelligentes.Considérée comme une «technologie de rupture» dont le déploiement engendrera des investissements conséquents (cf. entretien), la 5G est à même d’accélérer la transformation numérique dans des domaines clés tels que la santé, l’éducation ou encore l’agriculture. Au-delà d’une augmentation du débit et de son amélioration, le lien entre 5G et développement économique n’est plus à prouver. En somme, cette technologie devient une nécessité. Elle dépasse le spectre de l’usage par les particuliers et est amenée à répondre aux besoins des entreprises qui ne cessent de se multiplier.
Rénover les antennes
La 5G, moteur économique, requiert de repenser les investissements qui incombent. «L’utilisation de la couverture 5G nécessite des équipements adaptés», indiquait la tutelle il y a peu. Les équipements 5G ne sont généralement pas compatibles avec les infrastructures déjà existantes. La modernisation d’un réseau implique ainsi la modernisation des antennes. Les défis sont donc multiples : adapter les infrastructures, former les ressources humaines requises ou encore repenser la réglementation. La Stratégie «Digital Morocco 2030» accorde une place à la 5G, condition sine qua non. Lancée en septembre dernier, elle affiche de grandes ambitions : atteindre un taux de couverture de 70% de la population en 5G à l’horizon 2030 avec une offre grand public, réaliser 40 milliards de dirhams à l’export, créer 270.000 emplois dans l’outsourcing... Le Maroc souhaite aussi généraliser la fibre optique, passant de 1,5 million de ménages en 2022 à 4,4 millions en 2026 puis 5,6 millions en 2030. L’accélération du très haut débit sera en grande partie portée par la 5G.Cette technologie est à même de permettre une amélioration significative des débits pour faire face à l’augmentation de la sollicitation de la bande passante, qui croît d’année en année. Si le temps de latence est amené à être réduit au minimum, et qu’il bénéficie aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises pour leur développement économique, le succès de la 5G dépendra aussi d’une bonne régulation, selon plusieurs experts. Ainsi, ses caractéristiques techniques peuvent compromettre les objectifs réglementaires ou à l’inverse, le potentiel de cette technologie pourrait être limité par la réglementation. Selon ces derniers, il nous faudra du temps avant que de comprendre pleinement les obstacles et les possibilités que la 5G apportera. Entre-temps, aucun effort ne doit être ménagé pour définir un cadre réglementaire permettant de tirer profit de l’innovation promise par la 5G, à même d’améliorer significativement notre quotidien.
Entretien avec l’ingénieur en développement réseaux et docteur en télécoms
Abdelouahed Jraifi : «La 5G est considérée comme une technologie de rupture et il est important d’encourager la collaboration public-privé»
Le Matin : Quels sont les défis à relever pour réussir le déploiement de la 5G ?
Abdelouahed Jraifi : Avant d’aborder les obstacles à surmonter pour garantir le succès du déploiement de la 5G, il est important de souligner que les défis liés au développement de la 5G varient entre les pays développés et les pays en développement. Dans ce cadre, il serait judicieux d’adopter une analyse différenciée pour adapter les stratégies et tirer profit du plein potentiel de la 5G. Autrement, il faut penser à des solutions adaptées à chaque problème spécifique. Certains défis de la 5G vont au-delà des contextes nationaux pour devenir universels et dont les principaux sont axés autour des points suivants :
• Coût élevé des infrastructures
Sachant que la 5G est considérée comme une technologie de rupture, son déploiement engendre un Capex important, et cela impacte son développement et pour cette raison, il est important d’encourager la collaboration public-privé, mutualiser les infrastructures, intégrer des technologies comme l’Intelligence artificielle (IA), la virtualisation et le Cloud, déployer la 5G non autonome en phase 1 (NSA : Non Stand Alone) et encourager les opérateurs via des politiques fiscales incitatives.
• Cas d’utilisation et RoI (Retour sur investissement)
Parmi les difficultés aussi il y a l’identification des scénarios d’utilisation pertinentes par les différentes industries ainsi que l’incertitude sur la rentabilité à long terme et le risque d’investissements excessifs dans des technologies non prouvées.
• Accès aux fréquences
La rareté du spectre des fréquences est un problème majeur auquel les opérateurs auront à faire. À cela s’ajoute le coût élevé des licences et à titre d’exemple, aux États-Unis, la vente aux enchères des fréquences bande C s’élève à 80 milliards de dollars, 6,5 milliards euros en Allemagne et 2,8 milliards d’euros en France. Il est donc important d’intégrer des techniques avancées comme le partage dynamique du spectre et la mise en place de la radio cognitive par exemple. Pour le régulateur, en plus d’une gestion efficace des fréquences, il serait important de revoir les prix de licence à la baisse afin d’encourager un déploiement massif de la 5G.
• Consommation énergétique
Avec l’exploitation des hautes fréquences en 5G, la densité des antennes et des infrastructures est importante et cela aura un impact sur la consommation élevée des équipements de réseau et surtout si on veut déployer la 5G largement aux niveaux urbain et rural. Parmi les solutions envisagées pour améliorer l’efficacité énergétique, c’est le recours aux énergies renouvelables, la mise en place de l’IA pour ajuster dynamiquement la consommation et l’intégration des techniques de mise en veille pour les sites à faible trafic par exemple.
• Cybersécurité
Avec l’augmentation du nombre de sites et des objets connectés en 5G, la surface d’attaque s’élargit et la vulnérabilité des réseaux s’ajoute surtout avec l’intégration de fournisseur tiers (cas de l’Open Ran). Dans ce cas, il est important d’adopter des technologies de sécurité en renforçant le chiffrement des données et les protocoles de sécurité à chaque couche du réseau. Aussi, l’audit régulier des équipements est important pour assurer la conformité aux normes de sécurité.
• Ondes électromagnétiques et santé
Mis à part de la polémique sur la certitude ou non de la nocivité des Ondes électromagnétiques (OEM), notamment celle de la 5G, et particulièrement lors du déploiement des hautes fréquences (comme les fréquences millimétriques), le doute du public envers la sécurité de la 5G peur ralentir le potentiel de croissance des réseaux 5G. Pour rassurer les gens et ne pas céder la place aux informations mensongères (Fake news), les régulateurs ont un rôle, de sensibilisation et d’informations, important à jouer.
Comment les opérateurs télécoms s’adaptent aux exigences techniques et financières de la 5G ?
Pour rester compétitifs et répondre aux exigences des différents acteurs (consommateurs, régulateurs, actionnaires, etc.), l’adoption de certaines actions pratiques, par ordre de priorité, s’avère nécessaire :
• Déployer la 5G non autonome (NSA pour non stand alone), qui vise à combiner les sites 4G et les sites 5G pour la partie radio et se servir de la partie switch 4G. Cela pourra réduire le coût d’investissement et réduire les dépenses.
• Fidéliser les clients en proposant des offres et des cas d’utilisation plus attractifs.
• Utiliser les technologies de pointe pour réduire la consommation d’énergie.
• Déployer la 5G, au départ, dans des zones à fort trafic pour un RoI rapide.
• Intégrer des services supplémentaires comme Cloud ou des applications de paiement par mobile, ainsi que le déploiement (voix sur la 4G) et la voix sur WiFi (VoWiFi).
• Encourager le partage, entre opérateurs, des infrastructures passives (sites, énergie, pillon) ou actives (réseau) et cela réduit le coût pour chaque opérateur.
• Adopter, par les régulateurs, des enchères avec des prix encourageant les opérateurs à investir davantage dans la modernisation de leur réseau et dans le déploiement massif de la 5G. Toutes les solutions et les stratégies proposées doivent être adaptées en fonction des réalités économiques et techniques de chaque pays.
Dans quelle mesure la 5G peut-elle contribuer à réduire la fracture numérique au Maroc, notamment pour ce qui concerne l’accès à l’internet dans le monde rural ?
La 5G au Maroc permet la connexion des zones rurales et isolées et constitue un potentiel important pour minimiser la fracture numérique dans les zones rurales, mais cela nécessite une approche inclusive et stratégique. Pour éviter que les zones rurales restent marginalisées, il est important d’entreprendre des actions visant :
• Le déploiement de la 5G NSA, au niveau rural, sur de basses fréquences comme la 700 MHz ou la 800 MHz pour assurer une meilleure couverture avec la meilleure qualité.
• Accès aux services numériques en ligne pour accéder à l’éducation en ligne et aux services publics et à l’administration numérique.
• Encourager les entreprises rurales pour développer, avec la 5G, des solutions et des applications dans le secteur agricole par exemple et de travailler à distance.
• Des solutions hybrides, pour faire face aux défis liés à la couverture et à l’accès à la 5G dans les zones isolées, combinant différentes technologies sont possibles :
• 5G et satellites : Parfois dans les zones rurales, le recours au génie civil est très coûteux et les satellites peuvent fournir l’accès à l’internet une fois la couverture 5G devient faible. Des satellites en orbites terrestres basses (LEO), tout en étant associés à la 5G peuvent offrir une couverture internet dans les zones éloignées.
• 5G et Wi-Fi : Cette collaboration consiste à exploiter la 5G pour permettre l’accès à l’internet à l’extérieur (large zone et à grande échelle) et le Wi-Fi pour une distribution à l’intérieur des écoles, des maisons ou des entreprises.
• 5G et FWA (Fixed Wireless Access) : La FWA permet un accès internet haut débit à partir de sa combinaison avec la 5G, elle est adaptée aux zones rurales où le déploiement des câbles est difficile.
• 5G et politique inclusive : L’élaboration d’une politique orientée vers des populations marginalisées, visant d’assurer des tarifs abordables, est équipements accessibles et des formations adaptées est nécessaire pour minimiser la fracture numérique. Notons au passage que notre pays, selon le dernier rapport «NRI index 2024», accuse un certain retard en matière d’inclusion digitale et il est classé 118e sur 133 économies.
Je crois que grâce à la stratégie «Maroc digital 2030» et la mobilisation de ses différents acteurs publics et privés, le Maroc aspire à réduire la fracture numérique et renforcer l’inclusion digitale.