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Entretien avec Abdou Filali Ansary: "le choc des civilisations est une expression délirante"

Abdou Filali Ansary, directeur de la revue Prologues, promène un regard lucide sur un monde en ébullition depuis les attentats de New-York. Ce philosophe ne cède pas aux concepts prêts- à –emporter et, surtout, très médiatisés. Entre dialogue des cultures

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• Le Matin du Sahara : Le dialogue des cultures a-t-il un sens aujourd'hui ?
- Abdou Filali Ansary : C'est l'une de ces notions très médiatisées qui peuvent sonner creux. Un dialogue est déjà en cours à travers différents canaux, chacun cherchant à savoir ce qui se passe ailleurs. Mais parler de dialogue des cultures laisse supposer qu'il existe quelque chose qui s'appelle des cultures, des religions ou des civilisations comme de grands blocs, des entités qui ont besoin de se parler à travers des représentants. Ce qui, à mon avis, n'a aucun sens. Les civilisations ne sont pas des personnes morales mais plutôt de grands ensembles avec des peuples, des traditions, des individus, des sensibilités. Le concept de dialogue des cultures est une expression creuse qui sert à faire passer des choses. Elle sonne comme un vœu pieux.
• Le 21ème siècle sera-t-il celui des religions ?
- Personne ne sait ce que sera demain. La religion est un terme très vaste. Il y a à la fois un certain nombre de traditions précises héritées du passé de chacune des sociétés mais aussi des attitudes humaines, morales, etc. La religion est omniprésente quel que soit le siècle, le lieu. Est-ce que l'on suppose par là que les hommes seront moins matérialistes, moins pris par le quotidien, etc ? La religion sera là tant qu'il y aura des hommes. Ils s'y projettent et ils ont une vision d'eux-mêmes, de leur avenir, de leurs attentes, de leurs anxiétés. Les grandes religions qui gouvernent une grande partie de la société humaine ont été présentes de différentes manières dans la réalité des hommes. D'abord, dans le passé sous forme de fondements d'un ensemble de régulations gouvernant les gestes de tous les jours. Ce quotidien est gouverné par des régulations produites par les hommes à travers des institutions tels que les états, les parlements, les entreprises, etc. Ces grandes familles religieuses sont à mon avis appelées à aider l'homme à se situer dans ces réalités changeantes, à réfléchir à certaines questions qui s'imposent aujourd'hui à lui et qu'imposent l'avancement de la science, le développement économique, l'intégration de l'humanité à travers toute la planète…
• L'islamisme politique a-t-il finalement un sens ?
- Il a un sens dans la mesure où on peut le comprendre. Il s'est développé en raison du contexte historique de confrontation dans lequel les Musulmans ont vécu : colonisation, dépendance économique et autres agressions. La Palestine en est un exemple flagrant. Il s'est créé chez de nombreux musulmans des ressentiments que l'on peut comprendre sans toutefois les partager. Cela a poussé certains d'entre eux à se réfugier dans leur tradition religieuse au point de confondre les agresseurs avec les principes éthiques universels. C'est un grand malentendu car je pense que l'on peut respecter les principes sans respecter le comportement de ceux qui les proclament.
• Le choc des civilisations a-t-il un contenu pour vous ?
- C'est une expression délirante. Le terme de civilisation ne veut rien dire. Les civilisations sont de grands ensembles de traditions, de cultures, de productions artistiques. Par contre, je crois en une compétition entre des sociétés différentes, entre des Etats. La compétition peut prendre des formes très violentes, très cyniques. A travers les médias, il se fait des choses plus graves que les bombardements. Il y a une compétition entre les sociétés humaines. Certaines ont acquis des positions très privilégiées et les défendent de toutes les manières possibles. Les « dominés » se défendent de la plus mauvaise façon possible. Cette notion de civilisation est une sorte d'opium des peuples.
• Comment réagissez-vous à la cérémonie oecuménique organisée à Rabat au lendemain du 11 septembre et à la vraie-fausse « fetwa » qui l'avait condamnée ?
- La cérémonie œcuménique organisée à la cathédrale Saint Pierre de Rabat est un acte symbolique qui a peut-être frappé quelques-uns par sa nouveauté, les Musulmans n'ayant pas l'habitude de communier dans des rites communs. Un tel acte ne porte pas atteinte à nos principes religieux et constitue un pas qu'il était bon de franchir.
Quant à la fetwa à laquelle vous faites référence, elle n'émane que d'une poignée d'individus dont plus de la moitié s'est rétractée. Ils se sont arrogés le droit de dire le vrai et le vrai absolu. Autant j'aurai respecté leur opinion, comme on doit respecter toute autre opinion, s'ils avaient exprimé cela sous forme d'article, de raisonnement et s'ils avaient essayé de nous convaincre, autant je considère que la formule qu'ils ont adoptée vraiment inadaptée. Il est temps que l'on respecte les musulmans au lieu de vouloir leur dicter telle ou telle chose sous forme de fetwa. Nous sommes 30 millions de Marocains. Parmi nous, des milliers ont autant de savoir que ces personnes, sinon mieux encore, dans le domaine religieux. Il n'y a pas de raison de les insulter en s'imposant en donneur de leçons.
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