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Accueil next L'humain au centre de l'action future

« Cannibales » de Mahi Binebine: les damnés des temps modernes

«Dans mon village, les vieux nous avaient maintes fois raconté la mer, et de mille façons différentes. Certains la comparaient à l'immensité du ciel : un ciel d'eau écumant au-dessus de forêts infinies, impénétrables, peuplées de fantômes et de monstres f

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D'autres affirmaient qu'elle était encore plus étendue que les fleuves, les lacs, les étangs et tous les ruisseaux de la terre assemblés. Quant aux savants de la grand-place, unanimes sur la question, ils attestaient que Dieu tenait cette eau en réserve afin de nettoyer la Terre de ses pécheurs au jour du Jugement dernier. »
C'est cette mer qui au cœur de ce nouveau roman de Mahi Binebine que le Fennec vient d'éditer . Sauf que là elle se révèle sous un nouveau jour, une nouvelle nature, celle de mangeuse d'homme. Le thème n'est pas nouveau. Le drame des « brûleurs » dont l'histoire se termine au fond des abîmes océanique a inspiré plus d'un créateur, tous médias confondus, depuis qu'il s'est imposé comme sujet d'actualité. Encore un roman sur les naufragés des illusions? ce serait sans compter avec le talent de conteur de Binebine qui tel un saltimbanque de Djamaâ Lafna, est capable de vous faire le tour du monde à partir d'un fait divers.
« Il faisait nuit. Une nuit sombre, vaguement brumeuse. Cachés derrière un rocher, nous entendions le bruit des vagues et du vent. Morad avait dit que la mer était calme, ces temps-ci. Nous l'avions cru. Nous étions prêts à croire n'importe quoi pourvu qu'on nous permît de partir. Le plus loin possible. A tout jamais. »
Tout est dit dans ces quelques phrases, dès le début du roman. On sait l'issue fatale de cette aventure. Nous ne quitterons pas ce bout de rocher sur la plage tout au long du récit. Pourtant c'est le monde entier qui s'ouvre à notre exploration. Dans toute sa complexité, dans tous ses emboîtements. Telles des poupées russes. Derrière ce petit rocher, il y a Nouara et son bébé, il y a Kacem Djoudi, Pafadnam et Yarcé, il y a Youssef, Réda, Morad et le narrateur. Il y a aussi le passeur. Un homme sombre et taciturne.
Ils sont Maliens , Algériens, Marocains, chacun a son histoire, chacun a fui sa détresse, mais ils tous unis autour d'une chimère : partir. Le plus loin possible. Qui de la sécheresse, qui des fous de Dieu qui sème la terreur et les larmes ,ou qui encore du désœuvrement et de la futilité. C'est cette misère, à laquelle le monde entier a, plus ou moins apporté sa contribution, qui se prépare à l'éclabousser.
Ce sont toutes ces histoires que le narrateur nous égrène au fil des pages. Et c'est là où se confirme la finesse de ce jeune romancier dont on soupçonnait le talent dès le premier roman « Le sommeil de l'esclave » qui l'a fait connaître.
Sobriété, détachement, humour, mais également maîtrise du verbe font de la lecture de ce texte grave, terrible, une entreprise agréable, presque plaisante, toujours captivante.
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