«Les films arrivent tard, on y est arrivé mais dans quel état», a plaisanté Gilles Jacob lors de la conférence de presse au cours de laquelle a été levé le voile sur la sélection 2002 de l'événement, où quinze nationalités sont représentées.
L'équipe de sélection a enregistré cette année une hausse de 20% des films soumis à leur appréciation. En 1997, il y a avait eu «seulement» 861 longs métrages proposés à la sélection.
En tout cette année, les sélectionneurs ont visionné 2.281 oeuvres, dont 939 longs métrages, représentant 89 pays contre 76 l'an dernier. La section Un Certain Regard proposera pour sa part 21 films de 17 pays, dont huit premières oeuvres.
La compétition se signale par la présence de plusieurs «habitués» de la Croisette: L'Italien Marco Bellochio, le Canadien David Cronenberg, ancien président d'un jury responsable il y a peu d'un palmarès décrié qui avait vu le triomphe de «Rosetta» des frères belges Luc et Jean-Pierre Dardenne. Ceux-ci sont de retour cette année avec «Le fils».
Autres familiers de la sélection cannoise: l'Anglais Michael Winterbottom, en piste cette année avec «24 Hour Party People», qui raconte une page de l'histoire du rock de Manchester au coeur des années 80 sur fond d'«acide» et de fête non stop.
Dans un autre registre, défenseur d'un cinéma cérébral et esthétique, le Russe Alexandre Sokurov fera certainement parler de lui avec une oeuvre qui s'arroge d'ores et déjà la «palme» de la performance technique puisque son «Russian Ark» («L'arche russe») est constitué d'un unique plan séquence de 90 minutes, tourné en temps réel.
Les cinématographies africaines et sud-américaines sont absentes cette année. En revanche, oubliée en 2001, la production britannique effectue un retour en force, avec, outre le film de Winterbottom, deux autres réalisations de «Cannois» assidus, ses compatriotes Mike Leigh («All Or Nothing») et Ken Loach («Sweet Sixteen»).
La France, enfin, se taille une jolie place dans la course à la Palme d'Or avec pas moins de quatre prétendants: «L'adversaire» (Nicole Garcia), «Marie-Jo et ses deux amours» (Robert Guediguian), «Demonlover» (Olivier Assayas) et «Irréversible» (Gaspar Noë).
Du Bangladesh au Tchad, pour la première fois au festival de Cannes, la 34e Quinzaine des Réalisateurs braquera ses projecteurs du 16 au 26 mai sur quatre continents à travers film noir, comédie loufoque, tragédie, mélo musical et chronique sociale.
Sans-papiers, chômage sont quelques uns des thèmes abordés par les 22 films sélectionnés par la déléguée générale depuis 1999, Marie-Pierre Macia, dont six premiers longs métrages.
Un drôle de bateau
Un film de 90 minutes tourné d'une traite sans jamais couper la caméra, pour présenter trois siècles d'histoire de la Russie: tel est le pari artistique extraordinaire de «L'Arche russe», le film d'Alexandre Sokourov qui représentera la Russie cette année lors du Festival International du Film de Cannes (15 au 26 mai).
Des figurantes en robes anciennes qui font la foule dans les salles du palais impérial, Nicolas II devant une glace: pour une seule journée de décembre le musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg est devenu le plateau de tournage du film de Sokourov, un plan-séquence unique réalisé au moyen d'une nouvelle technologie numérique.
L'événement a été filmé par un cinéaste polonais, Michal Bukojemski. Le documentaire, intitulé «One-take Movie» (Film en prise unique) vient d'être présenté à Saint-Pétersbourg. Il permet de voir de près le travail de Sokourov, 51 ans, une des personnalités les plus originales du cinéma russe, auteur du film «Moloch» sur Hitler primé à Cannes en 1999, du «Taurus» sur Lénine et qui veut clore la trilogie avec une oeuvre consacrée à Hirohito.
Dans le «film sur le film» de Bukojemski, la caméra suit des figurants en costumes de l'époque de Catherine II la Grande, valseurs dans les immenses salles du Palais d'Hiver ou officiers montant la garde aux escaliers, puis glisse vers les ouvriers, les costumiers et le réalisateur lui-même.
Parlant d'une voix tranquille dans son walkie-talkie, Sokourov dispose les figurants, répète avec eux les passages à travers les salles, demande aux assistants de couvrir les épaules nues des actrices qui attendant le début du tournage dans le froid régnant au palais ce 23 décembre 2001, sourit à Valeri Guergiev, le chef d'orchestre du théâtre Mariinskii, lui aussi appelé à jouer dans le film. «Allez, tout ira bien si nous travaillons ensemble», dit Alexandre Sokourov et le tournage démarre.
«Le cinéma ordinaire ne m'intéresse plus, je suis désenchanté peut-être, j'aurais aimé faire quelque chose de nouveau» dans ce domaine, reconnaît le cinéaste russe devant la caméra de Bukojemski.
«L'atmosphère, la vie des objets, voilà ce qui m'interesse», dit Sokourov. «L'Arche russe» ? «C'est une fantaisie dont l'idée m'est venue il y a 9 ans. Celle de tourner un film d'un seul souffle», poursuit-t-il.
Les caméras sont rigoureusement interdites dans le musée de l'Ermitage. Mais, concède son directeur Mikhaïl Piotrovski, on a fait une exception pour Sokourov. «C'est un cas unique: l'Ermitage est le héros du film», dit-il.
«Après le tournage dans l'Ermitage, nous n'en sommes qu'à mi-parcours», estime le réalisateur. «Un travail énorme nous attend, avec la lumière et l'espace», dit Sokourov qui se distingue par une écriture cinématographique très particulière où il joue beaucoup avec la lumière, les flous, les filtres, ou des grands angles qui déforment les perspectives.
«C'est vrai que le film est tourné à l'aide d'une nouvelle technologie numérique mais ce n'est pas cela qui est important pour moi, ce n'est que une simple technique, juste un moyen de dire quelque chose», dit Sokourov.
