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Accueil next Spécial Marche verte

Boulane, Ali, Rabiaa et les autres ou l'histoire d'un succès non annoncé

La deuxième chaîne nous a gratifiés vendredi soir d'un authentique moment de cinéma. Ils sont assez rares sur les deux chaînes et même au delà pour que cela ne passe pas inaperçu. Dans le cas de « Ali, Rabiaa et les autres» cependant la surprise a été to

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Boulane a du talent et son film s'impose, sans tambours ni trompettes, comme l'une des œuvres cinématographiques marocaines les plus complètes de ces dernières années. En fait, le jeune cinéaste marocain réconcilie le cinéma avec lui même : il raconte une histoire. Simplement, humainement .

Narration

Une narration quasiment linéaire. Avec juste ce qu'il faut de flash-back pour suggérer la nostalgie d'une jeunesse perdue et pour en maintenir la flamme vive. Voilà donc quatre garçons dans le vent des années soixante dix qui se moquent du quart comme du reste, fument des joints à s'en brûler les poumons, pratiquent la mondialisation par interpénétration répétitive des cultures sur un lit et qui, pour faire bonne mesure, chapardent quand les fins de mois sont particulièrement difficiles. Une vie de jeunes désoeuvrés . Normale. Sans histoires. Jusqu'au jour où l'intellectuel du groupe, celui qui n'est d'accord avec Marx que quand il a la tête pleine de fumée se fait arrêter par les services secrets de l'époque. On sait qu'ils étaient enclins à voir des comploteurs partout et, souvent, à fabriquer les preuves pour les confondre. Soumis à la question, il donne le nom de son copain Ali. Pour rien. Ou plutôt parce que la question qui lui a été posée lui suggérait la seule réponse qu'il connaisse. Qui est le chef ? lui demande son tortionnaire. Que voulez-vous qu'il réponde dans les conditions d'extrême misère humaine dans lesquelles il se trouvait alors ? C'est Ali. C'est lui qui a toujours pris la tête de leur petit groupe. Lors des baignades à la sauvette, quand des expéditions punitives étaient organisées contre des enfants d'autres quartiers…bref, le chef c'est Ali. Vingt ans pour Ali dont la peine est aggravée par la mort accidentelle d'une barbouze lors de son arrestation. Quand il sort de prison, c'est un homme désorienté qui essaie de chercher son chemin dans un monde qui a évolué sans lui. Il se raccroche à la seule certitude qu'il ait eu jamais : son passé.

Rabiaa

Cette jeunesse insouciante et échevelée durant laquelle il a mordu dans la vie à pleines dents. Au centre de ce décor d'un autre âge : Rabiaa. La campagne qui voulait devenir épouse et qui n'a été que concubine. Rabiaa aime toujours Ali. Elle l'accueille à bras ouverts et le met au courant. Abdallah ( El Fad) est devenu fou, Driss l'intellectuel est devenu quelqu'un et Hamid est muezzin quand il ne vend pas de la marchandise de contrebande. Elle même a une fille dont elle veut taire le nom du père. C'est, du reste, déjà un aveu. Ali ne se retrouve pas dans tout cela. Désabusé, il erre à la recherche du temps perdu.
L'occasion pour Ahmed Boulane de donner la pleine mesure de son jeune talent. Gros plans sur la figure mûrie, voire vieillie de Megri, retour sur les images du passé, cadrages nets et précis des lieux de la prime enfance… C'est simple, apuré. C'est de l'art. Et, n'ayons pas peur des mots à l'heure où la mode est à l'autosatisfaction pour le moindre navet produit, c'est du grand art. Je ne sais pas si Boulane a été invité à la mascarade des Jamours. La prétendue remise des prix qui a eu la prétention de reproduire celle des Glamours américains. J'espère pour lui que non. Il n'en a pas besoin. Qu'il continue à faire son cinéma comme il vient de le faire et il aura droit à notre reconnaissance.
Mais le film de Ahmed Boulane ne serait sans doute qu'une curiosité dans un pays où la production cinématographique a beaucoup de prétention et, en général, peu d'ampleur s'il n'y avait le casting. Là également, le metteur en scène s'est révélé un redoutable cinéaste. Il y a Rabiaa, avec sa tête de tragédienne grecque. Effacée, pudique même dans la licence, elle avale stoiquement les couleuvres que lui sert son truculent amant. Mais, comme toutes les femmes, elle sait que le temps joue en sa faveur. Que d'une manière ou d'une autre, elle aura gain de cause. Il y a Al Fad avec son génie de se mettre avec aisance dans la peau des personnages les plus divers. Une vraie bête de théâtre et de cinéma : drôle quand il faut faire rire et humain jusqu'à la suffocation quand il campe des rôles dramatiques. On a dit de lui que c'est un personnage. Je dirai qu'Al fad est plus que cela : des personnages.

Talents

Et puis il y a l'autre. Une dégaine de jeune premier qui s'en fout et qui a du talent à revendre. On savait la famille Mégri pétrie de mérites : ils sont chansonniers, paroliers, peintres même. Mais Younes étonnera toujours. La densité avec laquelle il a campé le rôle d'Ali n'a pas son semblable dans notre cinéma. Depuis Brel, on savait les chansonniers être des acteurs-nés. Cela leur vient peut être de ce que quand on chante avec les tripes, on vit intensément ses sentiments. Mégri le fait admirablement. Cette histoire de confiscation dans les années soixante dix d'une jeunesse qui ne demandait qu'à vivre sa vie et qui a été jetée dans les oubliettes les plus infâmes uniquement pour faire accréditer la thèse d'un prétendu complot, il l'a vécue pour nous. Pleinement, magistralement. C'est un grand Monsieur que cet homme là ! Au moment où n'importe qui se croit en droit de jouer à l'acteur, il fallait lui rendre cet hommage.
Ali, Rabiaa et les autres ? Un maître film. Que Boulane et les autres nous en fassent souvent de semblables. Cela nous changera des insanités bruyantes qui dominent en ce moment..
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