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Des artistes singuliers d'Essaouira en Suisse

Depuis le 22 juin et jusqu'au 15 septembre, la Suisse accueille une exposition consacrée exclusivement à des peintres venus d'Essaouira. Cette manifestation picturale consacre le talent de quinze artistes et révèle à un public averti et connaisseur la dim

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«Cet art est apparu au Maroc après les années cinquante avec Lakhdar Boujemaa. Sa peinture énigmatique est basée sur la magie marocaine, formée de signes et de symboles venus de la culture ancestrale ; à la regarder s'impose la formule de Klee «L'art ne reproduit pas toujours ce qui est visible, mais rend visible ce qui ne l'est pas toujours», affirme Frédéric Damgaard, le galeriste qui a réussi à sortir de l'anonymat cet art. C'est grâce à lui, en effet, que cette peintre, a obtenu une reconnaissance internationale et a pu s'imposer comme un mode d'expression unique, propre à la cité d'Essaouira, cette ville qui est un lieu magique pour la créativité artistique, une terre féconde et nourricière pour les poètes, les peintres, les musiciens et les écrivains. Bénie des dieux, touchée par la grâce, la ville baigne non seulement dans une éternelle quête de l'inspiration, mais aussi et surtout dans une créativité sans cesse renouvelée. Elle bouillonne.
C'est en effet un lien presque organique qui lie ses hommes et ses femmes à leur environnement. La fécondité des artistes est là pour nous prouver que la magie du site opère. Ses artistes sont travaillés intérieurement par des démons que seule la peinture arrive à apaiser. La révélation ponctuelle d'un artiste talentueux, d'un sculpteur de génie nous démontre que la magie du site opère. Cet art singulier, propre à Essaouira, ne cesse de se développer, de révéler d'autres univers fantasmagoriques et une création qui ne tarit pas. Les derniers peintres à avoir rejoint cette «cohorte» d'artistes connus et reconnus se nomment Mustapha Asmah, Mostapha El Hadar et Azedine Sanana. Ce dernier a tâté pour la première fois de la peinture en 2001, après avoir regardé uné émission consacrée à la peinture souirie. Une visite à la galerie Frédéric Damgaard le décide définitivement. Il réalise alors des œuvres de «plus en plus maîtrisées, de plus en plus grandes et toujours aussi énigmatique. «Aucun personnage, aucun animal précis sur ses toiles. Tout reste dans le flou, les formes sont libres, les teintes plutôt douces et les surfaces claires, parfois même blanches, ce qui peut surprendre dans le contexte de la peinture, amateurs de couleurs vives», lit-on dans le superbe catalogue qui accompagne cette exposition. Pêcheur professionnel de métier, Azedine Sanana offre des compositions entremêlées dans lesquelles «surgissent une foule de petits yeux, comme ceux d'un ban de poisson. Sanane est un rêveur qui met ses rêves de marin sur la toile, avec les couleurs de cet univers fait de ciel et de mer uniquement».
Mustapha Asmah est également un nouveau venu dans le monde de la peinture. Lui aussi a «découvert» récemment la peinture, et propose, une à deux fois à la galerie Damgaard, des peintures d'une extrême force. «Asmah peint en toute liberté ce qu'il sent -il ne copie personne et n'a aucune relation avec les autres artistes. Il commence par préparer ses couleurs et son support : toile, bois ou isorel. Après mûre réflexion, il attaque le tableau avec lequel il se sent comme en communion : les yeux mi-clos, semblant dans un état second, il crée alors des œuvres qu'il ne saura expliquer que par ce simple constat : «c'est mon intuition qui me guide…». ses œuvres ont la violence et l'intensité de certaines œuvres de l'expressionnisme allemand : des couleurs criantes s'étalent en larges aplats, les têtes sont démesurées, des visages impressionnants regardent le spectateur avec des yeux absents qui semblent l'interpeller comme pour lui délivrer un message».
Le troisième artiste à avoir dévoilé son génie créateur est Mostafa El Hadar. En 1998, il commence à peindre sur le parchemin et invente un style nouveau, libre et trés inspiré. Le catalogue qui accompagne l'exposition du manoir de Matigny nous fait mieux connaître sa démarche novatrice : «Comme médium, il utilise l'encre traditionnelle marocaine, le «smah» …Après avoir tracé sur l'ensemble de la surface un réseau de ligne et de formes qui cernent et délimitent les figures, El Hadar en surcharge certaines parties avec de la gouache, animant la composition en camaïeu de taches colorées du plus bel effet. S'il exécute son dessin directement sur le parchemin, sans tracé préalabl, ce n'est qu'après avoir mûrement réfléchi ou rêvé… et sans avoir parfois esquissé un petit croquis préparatoire». Les démarches de ces trois peintres sont différentes, mais ont, en commun, ce sens de la démesure, cette appréhension du rêve et ce trait, unique, propre aux grands créateurs.
Deux sculpteurs moins connus, Abdellatif Akjaït et Mohamed Ben Ahmed Lakhdar, révèlent également et à leur façon ce renouvellement continuelle de la créativité souirie. Akjaït est un sculpteur qui réalise «d'étranges sculptures-assemblages, fabriqués avec des matériaux de récupération : morceau de bois, racine, fragments de métal, pot d'échappement, tuyau… il colle et soude ces éléments disparates qu'il peint ensuite de couleurs vives et chatoyantes. Il crée ainsi des objets étranges et insolites, qui témoignent d'une créativité débordante. Qu'il sculpte ou qu'il peinge, Akjaït invente des êtres fantastiques, des créatures bizarres, dotées parfois de plusieurs têtes d'oiseaux, ou des reptiles entrelacés».
Le creuset d'un art ancestral
Dans cette même veine créatrice, on retrouve Mohamed Ben Ahmed Lakhdar, un sculpteur qui a choisi de travailler le «taddout», sorte d'ébène, pour s'en inspirer d'abord, et pour présenter ensuite des œuvres qui font étrangement penser à l'art nègre, bien qu'il n'y ait aucun rapport direct: «Lakhdar trouve son inspiration dans de vieilles croyances et superstitions de sa région et dans la faune sauvage qui peuple la forêt alentour : oiseaux, loups, chacals, sangliers, serpents, scorpions».
L'exposition du manoir de la ville de Matigny en Suisse, constitue, de par son ampleur, une première dans ce pays. Si elle accueille des artistes qui exposent pour la première fois à l'étranger, elle fait également la part belle à des artistes, déjà reconnus sur le plan international. C'est le cas de Ali Maïmoune, Saïd Ouarzaz et Mohamed Tabal. C'est également le cas de Fatima Ettalbi, la seule femme à avoir réussi à percer et à s'affirmer dans ce domaine de créativité, réservé jusqu'alors aux hommes. «Nakkacha», «naggafa», Fatima Ettalbi a commencé par enjoliver les mains, les pieds et le corps des femmes avant de se pencher sur l'univers de la peinture. Les couleurs vives et chatoyantes, l'univers énigmatique et mystérieux des femmes constituent la trame de fond de ses tableaux : «Des yeux violets, des cheveux verts, des mains bleus, des oisaux roses, des poissons jaunes, des scènes de souks animées, des monuments d'Essaouira, des évocations du port et de l'île de Mogador : une profusion de couleurs harmonieuses et joyeuses. L'œuvre de Fatima Ettalbi témoigne d'une grande vitalité poétique et d'un imaginaire féminin transfiguré par le rêve», peut-on lire dans le catalogue dédié à l'exposition suisse.
Ali Maïmoune est un pionnier du courant des artistes d'Essaouira, sa figure emblématique. Son univers fantamagoriques et fascinant est rempli de créatures étranges. «Maïmoune s'inspire avant tout de la campagne environnante. Il peint le foisonnement et la richesse du monde végétal…Cette riche et complexe figuration imaginaire l'a souvent catalogué comme «le peintre de l'animisme et du fétichisme». mais l'artiste sait aussi merveilleusement user des couleurs, jouant aussi bien de leur complémentarité que de leurs oppositions ou de leurs contrastes. Inventif, il a même mis au point une technique nouvelle en mélangeant de la sciure à de la colle de bois et à des pigments colorés pour créer des formes en relief de diverses épaisseurs qu'i répartit ensuite sur la surface de ses panneaux». Le plus célèbre et le plus connu des artistes d'Essaouira est Mohamed Tabal.
Il est incontestablement la figure de proue de cet art. D'origine gnaoui, il reçut un jour le «don» de la peinture. Peintre de l'errance et de la transe, ses toiles décrivent les lilas, ces rituels des gnaouas, et sont porteurs de cet univers gouverné par le sacré. «Dans la violence de ses œuvres, s'exprime toute la force brute et primitive de l'art africain. Tabal est un artiste totalement libre, qui travaille loin de toute influence et de toute contrainte».Saïd Ouarzaz se révèle également comme une des figures les intéressantes et les plus surprenantes de cet art d'Essaouira. sa peinture se caractérise par «l'immédiateté», «cette force créatrice qui le pousse à terminer ses toiles presque en un seul jet.
Il peint habituellement une toile en une seule journée…Cette rage et cette obstination, on la retrouve également en sculpture». Les objets réalisés deviennent partie intégrante de la vie quotidienne.
Abdelmalek Berhiss, les frères Hamou et Youssef Aït Tazarin, Regragui Bouslaï et Abdallah El Atrach, des artistes tout aussi importants, viennent compléter cette panoplie d'artistes qui ont érigé l'exubérance, le foisonnement des couleurs comme partie intégrante d'un art qui s'est imposé de façon magistrale à l'étranger.
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