Menu
Search
Jeudi 28 Mars 2024
S'abonner
close
Accueil next Fête du Trône 2006

Entretien avec Mohamed M'Barki: «Il est temps de créer une Académie Royale d'architecture…»

Après Figuig, Laâyoune, Ifrane, Safi, vous avez choisi de tenir la 4e session de l'Université du Printemps d'architecture à Chaouen. Qu'est-ce qui a présidé à ce choix ?
M. M'Barki : Pour moi, Chaouen, ce sont nos racines andalouses.

No Image
C'est une ville pittoresque, originale que nous aimons tous, sans doute grâce à son histoire de résistance, à ses hommes et femmes, ses couleurs, ses rues, ses pierres. C'est une ville qui a beaucoup de charisme, qui a une médina historique qui vaut le détour mais dont l'évolution nous meurtrit. Certains spéculateurs, par cupidité ou par stupidité, sont en train de détruire des monuments, des maisons et une mosquée qui sont des lieux de mémoire. Il faut réagir, mobiliser les associations, les mécènes pour tenter de sauver cette médina et la mosquée qui date du XVIe siècle, déjà très atteinte et qui est menacée de disparition.
En tant que responsable de l'habitat, vous êtes directement intéressé par cette action ?
M. M'Barki : Nous organisons bientôt avec notre équipe d'Oujda, sous la houlette de M. Belayachi et avec l'INTA, une journée de réflexion sur le sauvetage des médinas d'Oujda, Fès et d'autres médinas : nous y intégrerons la médina de Chaouen, car c'est urgent de réagir. Cette question doit néanmoins mobiliser d'autres acteurs, les associations, les ONG, les mécènes.
Au cours de cette session, vous avez signé avec le gouverneur de la ville une convention. Sur quoi porte cette dernière ?
Nous intervenons toujours au cours des Universités de Printemps sous cette forme. Nous voulons que les responsabilités soient clarifiées et que chacun assume sa part d'engagement. La couverture porte sur un projet d'interventions dans le tissu ancien de la médina. C'est un projet symbolique par sa taille parce qu'il ne touche qu'une petite partie de la médina dégradée. La convention porte sur la réalisation de réseaux de voirie et d'assainissement; l'ancien réseau est très affecté et met en cause la sécurité de la médina. Nous allons aussi, en collaboration avec les autorités, les élus, la société civile, intervenir pour faire un revêtement de sol, un pavage traditionnel qui respecte le cachet de la ville. Nous allons collaborer aussi avec l'Association Rif-Andalousie car il faut regrouper les efforts de tous ceux qui veulent intervenir dans la lutte contre l'habitat insalubre et pour la réhabilitation et la rénovation des tissus anciens.
Il y a eu aussi la signature avec une société espagnole d'un projet d'électrification. Qu'en est-il de ce projet ?
J'ai été très heureux de ce projet car je ne m'y attendais pas. C'est au hasard de discussions de préparations de l'Université avec les uns et les autres, que j'ai appris, par l'intermédiaire de M. Benhima, ancien directeur de l'ONE, qu'il y avait un projet d'échange des sites historiques de Chaouen. Nous avons demandé à M. Nakkouche s'il était possible de relancer le projet à l'occasion de l'Université.
Le projet se fera avec un partenaire de l'ONE, l'ENDESA, dont le responsable pour l'Afrique du Nord est venu lui-même nous annoncer la nouvelle.
C'est l'exemple, l'illustration d'une volonté commune de coopération entre différents acteurs, à la fois institutionnel et privé ?
C'est un mouvement indispensable. Il fait dépasser les vieux réflexes de chapelle. La marche du Maroc nouveau nécessite la construction de nouveaux rapports de travail. Il faut que Etat, autorités locales, ONG, privé, universités, travaillent la main dans la main. Il peut y avoir des accrocs mais on restera respectueux du statut et des responsabilités de tout un chacun. Il faut d'autre part développer l'écoute. Il faut écouter les associations réellement représentatives de ceux qui vivent au quotidien les projets que nous planifions pour eux. Ces projets ne sont pas forcément ceux qu'ils attendent. On peut les corriger, les réajuster, les améliorer au niveau de la qualité urbaine.
Quelle corrélation faites-vous précisément entre “Architecture, qualité urbaine et gouvernance ?».
La corrélation nous pousse à poser une vraie question : qui est le responsable de la mauvaise qualité urbaine ? Est-ce le gestionnaire, ou l'autorité, est-ce le concepteur technicien, en d'autre terme, l'architecte ou l'entrepreneur ou est-ce les deux ? Quel est, d'autre part, la part de responsabilité du citoyen dans son exercice de son acte de citoyenneté? Ce sont des questions graves qui posent aussi en filigrane le rôle de l'Etat et les résultats de la pratique démocratique. Aujourd'hui, dans nos sociétés, la pratique démocratique est celle qui génère les élites, les met le mieux en évidence. Maintenant, il y a toujours des questions qui restent posées, surtout lorsque l'on regarde de l'autre côté de la Méditerranée et de l'Atlantique. Il y a des grands peuples qui génèrent des leaders. On peut se demander si ces derniers représentent les meilleurs. Cette question dépasse peut-être le cadre de l'Université mais elle nous interpelle…
Justement, le président du conseil, M. Saâd Alami, a insisté sur le rôle prégnant de l'élite locale. Quel peut être son rôle ?
Un rôle fondamental. C'est avec elle que nous travaillons, c'est elle qui est l'interface, qui a la responsabilité du développement local. La vraie question qui s'est posée c'est : est-ce que l'élite locale d'aujourd'hui est réellement l'élite ? Celle-ci a émergé selon un système de sélection, est-ce que celui-ci a fait émerger les meilleurs qui sont les plus à même de servir la collectivité? Dans l'élite, il y a ceux qui ne s'investissent pas à la chose publique et c'est dommage et ceux qui s'impliquent, s'investissent.
Vous avez été la cheville ouvrière du projet de Hay Ryad. Vos avez été un acteur extrêmement actif dans ce projet de construction de la ville. Peut-on y impliquer le triptyque «Architecture, qualité urbaine et gouvernance» ?
Pour se lancer dans une telle aventure, il faut beaucoup de caractère et de courage. Ceci me rappelle les discussions et les débats qui ont eu lieu à Chaouen. Conduire les changements, conduire l'amélioration du système de gestion, élaborer des projets de développement, mettre en place une vision, nécessite un leadership qui hiérarchise les choix, les priorités, qui arbitre, qui décide. Il faut le sens de l'anticipation, une vision, le sens du détail, la capacité de synthèse, la capacité de trancher, d'élaborer des consensus. En fait, de mettre en œuvre les principes de la gestion publique. Le leadership aujourd'hui n'est pas encore apparent dans notre système. Je crois que la nomination des nouveaux walis de Région, est une réponse à ce manque. Les choses sont en train de se mettre en place, dans les réactions, dans ce regard nouveau porté sur la gestion publique. On le voit à Casablanca mais aussi dans les autres cilles.
L'Université du Printemps a-t-elle un avenir ?
L'Université connaît un succès certain. Dans toutes les sessions, nous avons dépassé de loin les capacités d'accueil. Cela prouve que nous vivons un déficit de concertation, de dialogue, de débats dans un cadre institutionnel. Il est temps aujourd'hui de créer une Académie Royale d'architecture qui puisse parler de toutes les choses qui concernent l'espace, la ville, le cadre bâti. Ceci ne remplace pas l'Université du Printemps dans son concept. Ce concept imaginait d'aller vers des endroits qui sont riches en patrimoine mais inconnus. Nous avons pris ce prétexte pour parler de choses importantes, en sortant de nos villes, de nos bureaux, de nos quotidiens. En allant loin, dans des espaces de convivialité, sans discipline autre que celle du respect de l'autre et du débat, nous avons voulu faire avancer la réflexion qui anticipe l'action. Dans chaque session, des idées ont été brassées par centaines, par milliers…
La réflexion qui anticipe l'action. Un grand programme de lutte contre l'habitat clandestin, un chantier immense de construction sera bientôt lancé. Quelle est son importance ?
C'est effectivement un immense chantier qui sera au centre d'une rencontre que nous organisons au mois de juin. A Casablanca, du 12 au 14 juin 2002, en collaboration avec la Banque Mondiale, l'USAID, l'INTA, UBBAMA et l'Institut d'aménagement, nous allons tenter de répondre à la question : “Quel habitat pour les plus démunis ?». Les stratégies émergées du monde entier seront passées au peigne fin. Nous souhaitons, au cours de ce séminaire, soumettre à la critique des experts nationaux et internationaux, le plan d'action décennal que nous avons mis au point.
Entretien réalisé par Hassan ALAOUI
Lisez nos e-Papers