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Entretien exclusif avec M. Barbier, orfèvre du futur bi-pôle Fès-Meknès

Flegmatique tout au long du forum marathonien abrité par la wilaya de Meknès-Tafilalet, le Suisse a écouté et compris le discours du ministre, présidents et walis de régions, et ceux des communautés urbaines des deux cités impériales.
Il a même «enca

Entretien exclusif avec M. Barbier, orfèvre du futur bi-pôle Fès-Meknès
Après l'allocution du ministre Mohamed Lyazghi qui a situé contextes national et mondial et rappelé les directives Royales et les enjeux du projet, les tuteurs des régions concernées insistèrent chacun à sa façon, sur les retombées de ce bi-pôle que tous appellent de leurs vœux et dans leurs intimes convictions.
Mais qu'en est-il du projet lui-même ? De quoi retourne une entreprise qui tend à changer plans d'aménagements, projets socio-économiques, méthodes d'approche des décideurs des deux régions, voire les mentalités des populations concernées ?
Jacques Barbier - géographe, consultant en aménagement du territoire en environnement - engagé par le ministère de tutelle , donne les grandes lignes du bi-pôle Fès - Meknès, sensé donner l'exemple des grandes intégrations économiques régionales - finalités de la politique de décentralisation.

S'inspirer du modèle Genève-Lausanne


Fondateur de la société Urba-Plan en 1968, M. Barbier traîne derrière lui 35 ans d'expérience en développement régional. Après des débuts en Suisse, il jette son dévolu sur le continent noir - 25 pays dont le Maghreb et notamment le Maroc où il opère depuis 1986.
Tout y passe : schéma national, sauvegarde de la Médina de Fès, schéma d'aménagement touristique du Maroc, environnement, (monographie Meknès - Tafilalet), habitat, etc. et à présent stratégie de développement du Moyen-Atlas et bi-pôle Fès-Meknès.
Le Matin du Sahara et du Maghreb : A quel modèle de bi-pôle peut-on penser à l'heure d'envisager celui de Fès-Meknès ?
- M. Jacques Barbier : Si on songe au Maroc et aux exemples en gestation, il convient de citer ceux de Tanger-Tétouan et Agadir - Taroudant qui ont les mêmes caractéristiques de proximité. Mais celui en question est très significatif par la prospérité qu'ont connue les régions de Fès et Meknès, mais qui ont perdu de leur essor et de leur dynamisme.
L'idée de création de bi-pôle a été particulièrement développée en France. Le modèle le plus réussi aura été le tri-pôle Lyon-Grenoble -Saint Etienne. Ces 3 villes , bien qu'éloignées les unes des autres de plusieurs dizaines de kilomètres, gardent leurs originalités, indépendance, structures économiques et politiques mais tout en produisant l'image d'un grand dynamisme, axé sur la technologie ce qui a contribué à l'épanouissement des 3 cités… Nous avons par ailleurs participé au projet Genève-Lausanne en Suisse qui étaient pourtant rivales à maints égards (comme Fès et Meknès en football) et qui ont réussi en se répartissant les rôles … On peut citer le cas d'Alsace avec Strasbourg-Colmart - Mulhouse.
Quelles difficultés se dressent devant la confection d'une telle métropole Fès-Meknès ?
Il y a évidemment les difficultés conjoncturelles et structurelles en ce sens que le pays n'a pas les moyens d'un Etat européen, et par conséquent, il y a moins de réalisations, les structures changent plus lentement. Exemple de l'autoroute qui s'arrête à Fès.
L'autre difficulté, c'est que le partenariat entre pouvoirs publics, secteur privé et société civile est un phénomène nouveau au Maroc . Jusque-là on sollicitait l'Etat pour les grands projets. Or pour le bi-pôle Fès-Meknès, outre les wilayas et communes, seront interpellés les universités, les entrepreneurs ou leurs associations et ainsi de suite, et chacun devra apporter sa contribution à l'ouvrage.
Quels sont, en revanche, les bienfaits d'une telle intégration pour les deux régions ?
D'abord l'avantage de la taille. On sait, en effet, que la prospérité des entreprises dépend de leur marché le plus proche en premier lieu. Si vous avez une usine à Casablanca, vous avez déjà un marché de 5 millions de personnes dans un rayon de 30 kilomètres autour de votre établissement . Mais si la firme est à Errachidia, le marché sera à 300 ou 400 km de là.
Fès et Meknès prises séparément sont des villes de taille moyenne, mais ensemble elles font un marché de l'ordre de 2,5 millions de clients qui sont dans un périmètre local - l'autoroute aidant - de 45 minutes de déplacement. L'idée première serait donc d'aménager ce grand marché régional en évitant de doubler les équipements. Ainsi s'il faut ériger une école d'ingénieurs il faut la prévoir pour l'ensemble de la région métropolitaine. Même cas pour l'idée de technopôle pour attirer des entreprises européennes, il vaut mieux en aménager une seule. Et une fois qu'elle aura assuré 10.000 emplois, on pourra alors penser à une seconde, etc.
Moralité : Il vaut mieux avoir un adulte que deux enfants …
Maintenant pour qu'un processus de métropolisation réussisse, il y a toute une action de relations publiques qu'il faut instaurer pour se présenter et s'affirmer à la face du monde. Et là, encore les deux villes ensemble ont un potentiel plus important que l'addition des deux. Tel dans une foire touristique, parler de stand de Fès, stand de Meknès, stand d'Ifrane ce seront toujours de petits stands. Mais tous réunis, avec Volubilis, Bou Iblane, etc, cela fera la dimension d'un petit pays ! Les deux régions réunies font plus que le Liban, la taille de la Jordanie, c'est plus grand que des pays qui sont devenus prospères. iIl y a plus d'habitants qu'en Mauritanie !
Et cinq fois la Suisse en superficie (près de 200.000 km2). Tout un territoire où l'on peut aligner 3 millions d'habitants , des montagnes, des plaines, des châteaux d'eau, de l'électricité, de l'industrie, du patrimoine, un grand aéroport.
Une charte de coopération régionale

Quelles sont les grandes étapes de la mise en pratique du projet ?
Le projet s'articule autour de deux phases très importantes.
Une première étape où il s'agit de répertorier ce qui manque de concevoir les projets même de pallier à ces insuffisances et besoins, et de procéder à une sélection des projets selon leur importance . D'autant qu'il y a beaucoup de «projets -double». Cette phase est engagée depuis le début de l'année. Le bureau d'étude prend contact avec les acteurs importants - interviews, considération de la problématique régionale, puis réunions de synthèse. Ensuite, à la manière suisse, on rentre dans les détails des projets privilégiés pour s'assurer de leur faisabilité.
Une fois achevée, cette phase initiale, vers le mois d'octobre, sera entamée l'élaboration d'une «charte de coopération régionale» où seront définis les axes de la stratégie et les rôles impartis aux opérateurs (communes, régions, communautés urbaines, wilayas, acteurs économiques, société civile). Cette charte devra être signée à la fin de l'année.
Dans une ultime étape, la charte sera traduite en schéma d'aménagement métropolitain avec l'identification des projets, estimation des coûts, conditions de réalisation et puis la discussion des modes de faisabilité avec ceux qui portent les projets. Enfin, entre janvier et avril 2003 négocier les accords de projets avec tous les partenaires en vue d'inscription définitive des projets dans les plans.
Quel est le staff opérant dans le projet ?
Il faut citer d'abord le maître d'ouvrage qui va être représenté par un comité de pilotage formé par le ministre. Lequel comité sera représentatif de la région: hommes politiques, administrateurs, entreprises privées, des notables, des sages. Ce comité est appelé à prêcher la parole et aider à négocier les accords avec les différentes institutions.
Pour faire l'étude proprement dite, sont engagés un ensemble de spécialistes - économie urbaine, environnement, urbanisme, industrie, relations économiques, etc. L'ensemble sous la coiffe d'un coordinateur (NDLR : M. Barbier).
Qu'attendez-vous des différents partenaires au projet ?
Au départ, j'escompte qu'ils parlent entre eux en termes de planification et non de revendications. Car ce genre d'attitude n'est pas très développé au Maroc. Il faudrait sortir de la logique des doléances.
Ensuite il convient d'établir entre eux un programme crédible, qui inspire confiance. Et puis modifier leurs anticipations. Quand on réfléchit à l'avenir de ses enfants, on pense plutôt à Montréal, Casablanca, Paris ou à Genève. Parce que beaucoup de Fassis et Meknassis estiment que dans leur région, il n'y a pas d'avenir. «Si on arrive avec un plan qui montre que dans 5 ou 10 ans on aura ici un tourisme modernisé, des activités innovantes, on songera alors à convaincre les fils de rester à Fès ou Meknès. Les industriels, eux aussi, seront tentés d'investir dans la région. L'aspect psychologique s'avère déterminant dans la croissance des villes : ce ne sera pas facile aujourd'hui, mais ce sera bien demain». Or beaucoup se disent: Ça va encore aujourd'hui , mais ça va se dégrader. Cependant, pour déclencher une modification, il faut que le projet comporte deux ou trois opérations prestigieuses : aménagements touristiques, aménagements des centres urbains (projet touristique de l'ex-hippodrome de Fès, projet à Meknès d'aménagement touristique d'une partie des terrains militaires vers le plateau de (Oued Boufekrane). Des projets vedettes, comme le Twin-Center de Casablanca.
Par ailleurs, et à l'égard des instances des villes concernées, il faut avouer que le découpage communal ne permet pas d'exprimer une «volonté d'agglomération». Chaque instance fait de son mieux, mais au niveau de sa propre commune.

«La ville unique» plus commode


Il y a peu de personnes qui peuvent penser en termes de ville. Les communautés urbaines sont des «communautés techniques» pour régler les transports, gérer l'eau, les déchets solides, mais ce n'est pas encore le statut d'une mairie comme à Paris. Avec la structure de «ville unique» ce sera, en revanche, plus favorable, comme l'avènement des nouveaux walis qui deviennent les grands animateurs économiques de la région. Le ministère de tutelle a une conception juste en réfléchissant aux plans avec les intéressés eux-mêmes.
Quels sont les moyens requis pour échafauder un bi-pôle de ce genre ?
Les moyens requis ne sont pas particulièrement sophistiqués.
Il faut avant tout avoir une bonne connaissance de la région et un bon système de communication. Les experts doivent être des animateurs de dialogue. Nous avons une structure très bien implantée au Maroc. Très disponible et mobile. Il faut créer un tissu de sympathie et de confiance avec les opérateurs. Et savoir vite apprécier une situation.
Nous avons quand même une base de données, des logiciels , des instruments. Mais c'est pas eux qui réfléchissent.
Votre dernier vœu
Voyez-vous, pour les 10 millions de touristes, c'est une très bonne chose. Je remarque pourtant qu'en 2001 on parle de 10 M, en 2002, de 10 M. Mais s'il faut encore parler de 10 M en 2010 comme çà ! Il faudrait qu'on commence à dire que nous avons déjà 2 millions de places en 2002, et ainsi de suite. Sinon, les gens commencent à se démotiver. Aussi, si le projet de bi-pôle ne démarre pas immédiatement, le relâchement risque de s'installer.
Nous avons encore 2 ans pour faire sortir les choses de terre. Juste le temps pour engager la concurrence avec l'Europe. L'investisseur japonais qui hésite entre l'Andalousie et le Maroc doit pouvoir trouver les bons arguments pour s'installer dans la région Fès-Meknès.
A en juger par la longueur de la rencontre de la wilaya de Meknès-Tafilalet et des nombreuses interventions de l'assistance, je reste néanmoins sur une note positive. Il n'y a plus qu'à se mettre à l'heure de l'horloge suisse.
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