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Essaouira: développement et identité culturelle

Nos oreilles retentissent encore des airs envoûtants de la musique gnaoua et des concerts de la world music qui ont enveloppé Essaouira pendant quatre jours ! Les émotions ne se sont pas complètement estompées tant leur impact et leur force restent pesant

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Essaouira-Mogador, ville des sens et des lumières, cité des sons et de la magie, revenue de loin aussi, se fraye désormais son chemin sur la ligne fragile de l'espoir. Et le festival gnaoua annuel qu'elle organise, au départ petite éclaircie dans une pénombre où elle fut jetée, se transforme d'une année l'autre en véritable événement. Il la propulse maintenant sur la scène mondiale, lui ouvre les portes d'une reconnaissance conquise de haute volée. Les habitants souiris, les premiers, en prennent chaque jour un peu plus conscience. Ils avaient ressenti la marginalisation comme une blessure, une sorte de plaie qui était tout simplement injustifiée.
La reprise en main par l'Association Essaouira-Mogador, donc par la société civile, associée à la volonté des autorités locales, n'a pas été facile pour renverser un courant qui prenait des allures irréversibles. La reprise en main consistait donc à renverser le courant du désespoir, à combattre l'inertie qui s'est installée à différents niveaux. André Azoulay, Président de l'Association Essaouira-Mogador, a eu les mots justes et percutants pour dire que seul «l'instinct de conservation» a pu redonner à la ville et à ses habitants la motivation nécessaire pour réaliser le rebondissement qui est venu caractériser la vie à Essaouira depuis six ans maintenant. Et de fait, le rebond s'articule sur une volonté partagée des représentants de la ville de lutter contre la fatalité, ensuite sur une vision que certains d'entre eux ont nourrie pour elle, enfin sur la nécessité historique - qui s'est imposée d'elle-même - de rendre son âme, oui son âme - on en est là ! - à une ville qui incarne un patrimoine aujourd'hui mesuré et apprécié à l'aune de l'universalisme.
Que l'UNESCO décide d'inscrire Essaouira au titre de patrimoine universel, qu'il faut préserver et protéger, constitue à coup sûr l'hommage le plus éclatant à la ville et à son histoire. C'est aussi reconnaître son poids et le rôle joué par une cité qui n'a jamais été autre chose qu'un grand carrefour des cultures, un confluent d'échanges de la haute Antiquité à nos jours. Les historiens ont réalisé de grands textes sur les périodes antiques où les caravanes venant d'Afrique, transportant or, épices et sel transitaient par Mogador ou tout simplement s'y fixaient.
Devenue ville de fortification, bâtie en 1765 sur la base d'un plan français pour lutter contre les pirates, elle a renforcé intra muros à la fois ses structures et sa conscience d'être une ville convoitée. Jusqu'aux années soixante-dix, elle constituait un réceptacle de cultures qui lui conférait le bain de jouvence nécessaire contre un mortel ramollissement qui la guettait. Qui oublie encore ce terrible panneau fixé jusqu'à il y a dix ans à l'entrée où l'on pouvait lire, non sans stupéfaction, «Essaouira, ville à vendre « ? Qui oublie aussi l'état d'exclusion dans lequel elle fut tenue des années durant, rendant précaire son existence, enfonçant chaque jour un peu plus dans le désespoir le destin de ses fils, n'inspirant in fine que méfiance ou compassion dérisoire aux décideurs ?
Renverser le courant ? Ce fut une manière de mot d'ordre : les énergies et les espérances ont repris le dessus, une conscience nouvelle s'est forgée à l'épreuve des désastres subis pendant des années et qui ont fini par former ce qu'on peut appeler la mort lente d'Essaouira. Conjuguant leurs efforts, autorités locales, élus et société civile ont opéré une véritable mutation. Elle se résume en deux mots : créer les conditions de la renaissance d'Essaouira, favoriser sa résurrection, une sorte de deuxième vie en quelque sorte, valoriser enfin ses atouts et ses hommes. La création du festival gnaoua et de la world music en est le premier acte, celui des musiques classiques, programmé en avril son prolongement naturel. Ce n'est pas seulement une irréductible volonté de réenraciner la cité dans sa destinée naturelle et de lui faire reprendre sa vocation traditionnelle, celle d'une ville animée, carrefour de développement en permanence, mais aussi un acte de justice.
Les résultats de l'enquête réalisée par les chercheurs et experts de l'Université Akhawayne et exposés lors du colloque qui a accompagné le festival, sont sans appel : Essaouira possède des atouts majeurs pour une refondation que l'histoire lui impose. La conjugaison d'une réflexion pointue et de l'action des responsables ouvre des perspectives inédites à la ville, lancée maintenant dans un combat de réhabilitation. Mohamed Achâari, ministre de la Communication et de la culture n'avait pas de mots assez forts pour dire le statut particulier d'une ville qui symbolise l'identité culturelle du Maroc et déplorer à la fois l'état désastreux dans lequel elle a été jetée. Il a évoqué la richesse patrimoniale que cette ville incarne, les rares charmes de sa médina menacée mais dont l'UNESCO tient à préserver coûte que coûte les trésors et l'identité. Il en a appelé, enfin, à la nécessaire révision chez les responsables, nationaux ou locaux, pour relancer une ville où, comme dans un miroir, se reflètent à la fois l'image et les exigences du Maroc nouveau. La voie dans laquelle s'engage Essaouira conjugue développement durable et identité.

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