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Inauguration de la Place Mohammed V à Paris

Aujourd'hui, vendredi 20 décembre 2002, sera inaugurée la Place Mohammed V à Paris en présence de S.M. Mohammed VI.

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Sise au Ve Arrondissement, à la rencontre du finissant Bd Saint-Germain-des-Près, de la rue des Fossés Saint-Bernard, des Quais de la Tournelle et de Saint-Bernard longeant la Seine, la Place Mohammed V donnera désormais une profonde signification à ce topos parisien de la «rive gauche», à quelques encablures de «Notre-Dame» et de la célèbre «Tour d'Argent» des fins gourmets, repères du vieux Lutèce que domine aussi l'Institut du Monde arabe (IMA) avec son style vasarelien d'avant-garde architecturale. Elle figurera ainsi en bonne place sur les listes indicatives de la Cité des Lumières face au Pont Sully sous lequel, comme pour le Pont Mirabeau, «coule la Seine»…
Il n'y a nul doute qu'une telle reconnaissance de la ville de Paris, et de la France entière, au Père de la nation marocaine moderne n'est jamais tardive pour exprimer ce que représente toujours le Sultan Ben Youssef et le Roi Mohammed V pour la France puisqu'en dépit des vicissitudes, la continuité de la mémoire a été souvent rappelée pour maintenir vive la flamme des profondes et amicales considérations entre le Maroc et la France.
Quelle portée symbolique attribuer à ce retour de la mémoire, à partir d'un acte précieux d'une onomastique des lieux, sur les relations franco-marocaines, voire franco-arabes, en ces temps mondiaux si tumultueux ?
Les références historiques sont nombreuses et connues quant au rôle de Mohammed V dans l'Histoire de la France à un moment crucial de son combat contre l'occupation allemande et il suffit pour s'en apercevoir de reprendre quelques dates précises et des déclarations de Mohammed V et du général de Gaulle, alors représentant légitime d'une France libre aux moments les plus critiques pour l'avenir de la France. L'itinéraire repris ici n'est pas exhaustif mais vise à montrer quel rôle du Maroc, Etat-nation à part entière sous tutelle (protectorat), a joué stratégiquement dans la voie de la Libération de la France. La personnalité du Roi Mohammed V, sa conscience aiguisée des enjeux stratégiques futurs, alors que le Maroc était sous le joug des Protectorats français et espagnol, avaient dû pressentir le choix décisif de ne ménager aucune aide à la France. Le second conflit mondial s'étendait peu à peu à la planète et «dès le premier jour, le Sultan Sidi Mohammed a pris sans hésitation ni restriction, le parti de la France et entraînera derrière lui toute la nation marocaine jusqu'aux nationalistes les plus intransigeants» (Edouard Sablier).
Les citations précieuses du Souverain à ce propos ne manquent pas : «Il faut que nous tous Marocains, nous nous joignions à la cause commune en ne refusant à la France ni nos ressources humaines ni nos richesses matérielles», ou encore celle de la Proclamation du 3 Septembre 1939 dans la laquelle il affirmait : «La France prend aujourd'hui les armes pour défendre son sol, son honneur, sa dignité, son avenir et le nôtre. Nous devons être nous-mêmes fidèles aux principes de l'honneur de notre race, de notre Histoire et de notre religion… à partir de ce jour, et jusqu'à ce que l'étendard de la France et de ses alliés soit couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve, sans lui marchander aucune de nos ressources et sans reculer devant aucun sacrifice. Nous étions liés à elle dans le temps de tranquillité et d'opulence. Il est juste que nous soyons à ses côtés dans l'épreuve qu'elle traverse et d'où elle sortira, nous en sommes convaincus, glorieuse et grandie». Chaque mot ici prend une dimension profonde au-delà des aspects événementiels, . L'appel fut lu dans les mosquées pour mobiliser le peuple marocain pour qu'il «demeure fidèle et loyal envers la France», face au danger commun comme si «le reste, tout le reste, est momentanément oublié» dans une sorte de trêve de l'Honneur des braves à défendre. L'effort de guerre, en hommes et en ressources, consenti par le Maroc, mérite certes d'être encore réévalué et les historiens en ont déjà tracé les traits saillants dans lesquels le Maroc fut incontestablement une pièce maîtresse géostratégique de la libération de la France.
L'itinéraire du général à partir de Londres suffit à le confirmer et ses déplacements au Maroc l'attestent (notamment sa visite du début de juin 1943, sa participation à la Conférence d'Anfa…). Pour cela, le 8 Mai 1945, jour de l'Amnistie, reste une date incontournable alors que la Place Mohammed V, inaugurée aujourd'hui, semble rappeler l'invitation à Paris du Sultan Sidi Mohammed pour assister à ses côtés au défilé de la Victoire, cette victoire à laquelle les soldats marocains ont si héroïquement contribué. Le 18 juin à l'occasion du cinquième anniversaire de l'Appel (de Londres en 1940), le Sultan sera fait Compagnon de la Libération. Il suffit de rappeler les mots précis qu'emploiera le Roi Mohammed V en 1955 dans un message adressé à Pierre Mendès-France qui venait d'accéder à la Présidence du Conseil, pour apprécier à sa juste valeur la portée de la continuité du lien né de ce combat commun et de l'importance à entretenir sa consistance : «A chaque 18 juin, notre cœur, en étroite communion de pensée et d'idéal, se joint à tous les Français qui raniment avec ferveur et fierté la flamme du souvenir».
Cette flamme, elle en a été toujours question entre la France et le Maroc aussi bien dans les temps de profonde sérénité comme ceux du doute que produisent les incertitudes et les conjonctures. Elle permet, par ce repère des liens indéfectibles de s'en tenir toujours à l'essentiel de la longue durée qui fait de l'Histoire le plus légitime et équitable des jugements.
Des moments du retour de la mémoire commune ont toujours existé. Je me rappelle les plus récents qui, «un quatorze juillet 1999» (A. Jazouli - Temps du Maroc, 16 juillet 1999) alors que les troupes de la Garde Royale ouvraient le défilé de la Fête nationale sur les Champs-Elysées en présence de Président Chirac et… de feu S.M. Hassan II.
Alors qu'une place parisienne portera désormais le nom de Mohammed V, Compagnon de la Libération (le seul avec W. Churchill à avoir bénéficié de ce titre), elle servira réellement à réanimer «avec ferveur et fierté la flamme du souvenir».
Si le choix a bien porté aussi sur un lieu précis face à une institution culturelle du monde arabe (IMA), Mohammed V est aussi un symbole car un héros de la Libération à l'échelle du monde arabe, du monde musulman et du continent africain.
Il l'est incontestablement et en ces temps tumultueux à la recherche des repères des voix qui concilient identité et altérité, Mohammed V est une figure emblématique de l'attachement aux valeurs identitaires les plus profondes de sa nation autant à celles des valeurs universelles de dialogue et de paix. Paris a ainsi fait le choix d'une force profonde par sa reconnaissance au Compagnon de la Libération et par son adhésion aux valeurs d'ouverture pour renforcer les liens du présent et assurer ceux de l'avenir.

Abdelaziz Jazouli
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