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Itinéraires d'une Arlésienne

Il n'y a aucun doute que la réforme formulée évolutivement depuis la décennie quatre-vingt et plus agrégée par la phase actuelle de l'alternance fait ressortir la problématique “politique culturelle” qui semble présente par ses expressions les plus contro

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L'Arlésienne est que tout le monde en parle mais toujours reléguée à cette douloureuse hiérarchisation des priorités dont les autres secteurs revêtent un primat pratiquement indiscutable.
“Politique culturelle” : cette catégorie de l'intervention publique semble néanmoins - quand elle est abordée par le discours - s'imposer sur le mode de l'évidence, aux côtés de celles de l'éducation, du social ou de l'économie.
Elle ne constitue pourtant pas le simple reflet des problèmes objectifs dont les pouvoirs publics se saisissent.
A l'instar des politiques naissantes de l'environnement, de la famille, de la consommation ou de la ville, elle est liée au travail de classement et de mise en forme dont l'action publique est le produit et qu'elle produit en retour.
1. Classement et mise en forme des objets et problèmes sociaux, tout d'abord : certains de ces objets étant désignés comme relevant de la catégorie “culture” plutôt que d'une autre, et traités en conséquence. C'est ainsi que s'est imposée, dans le traitement public qui en est fait au Maroc, une vision “culturelle” du livre par exemple (depuis 1994 à la faveur d'un organigramme du ministère prévoyant une direction spécialisée) contre une appréhension quasiment économique et une carence concernant le traitement de la lecture et de l'écrit (tels les banderoles et les graffiti (qui se lisent pourtant) contre une appréhension exclusivement répressive (code des libertés sur les rassemblements, les affichages, etc. et le droit pénal…).
2. Classement et mise en forme des pratiques d'intervention ensuite, qui viennent agréger et donner sens à un ensemble nécessairement hétéroclite d'actes, de discours, de dépenses, de pratiques administratives. Quoi de commun en effet, entre la subvention accordée à un festival régional, la réfection d'un musée ou d'une salle d'exposition de la capitale et la préparation d'une loi sur la lecture (souhaitable) ? Peu de choses en fait, si ce n'est une commune qualification “culturelle” dans la répartition des actes et des dépenses publics et une commune intégration dans la principale “mission” revendiquée par les pouvoirs publics : cet “impératif catégorique” qu'est devenue la tendance à vouloir “démocratiser la culture”. La “politique culturelle” ne saurait dès lors être considérée comme une catégorie transhistorique. Deux postulats s'imposent alors :
I. D'abord le postulat selon lequel il est primordial de considérer qu'au Maroc une telle perception est avant tout une question de réception de modèle dont la compréhension historique de sa transposition nécessite de recomposer sa “traçabilité” pour en saisir les cheminements originaux, soit qu'elle eût été simple mimétisme ou des transplantations partielles mais avec acclimatation aux cadres locaux.
A l'instar d'autres secteurs de l'intervention de l'Etat, le secteur dit “culturel” a été transposé dans ses composantes “modernes” sous le protectorat sous l'empire de nécessités spécifiques liées aux origines d'abord à “la protection du patrimoine bâti” à partir de 1914 suite aux avancées lyautéennes de la marche militaire de “pacification”.
La dualité flagrante née de cet épisode tranche la frontière entre les régimes de protection reposant sur les biens “autochtones” (Habous notamment) et le reste.
La pratique
administrative
On connaît l'opposition administrative qui naîtra entre les “Beaux-Arts” et la tradition religieuse “habousée” à propos de cette réception des notions de protection, de préservation et de sauvegarde… La “culture” ne s'en remet pas encore lorsqu'on sait que la césure s'étend à d'autres secteurs classés comme culturels…
Or, la réception des outils conceptuels qui ont marqué à ce jour la pratique administrative est liée - on l'oublie souvent - à toutes les transformations qui ont affecté les régimes de la propriété et dont dépend pour une grande part le “bien culturel”, corporel ou incorporel (depuis le régime foncier de 1913, le régime de l'immatriculation notamment, le DOC, le régime de la propriété industrielle (1916) les terres collectives (1919), etc.
Les “biens culturels” obéissent logiquement ainsi à un encadrement juridique spécifique mais demeurent pour une large part dépendant de l'économie et d'une manière inavouée.
L'Etat a été donc au centre de cette évolution et il le sera davantage après l'indépendance avec la création d'un ministère, quelle que soit l'étendue des attributions dont il est doté et la régularité de ses interventions.
D'une manière comparée, on a en France résumé la formation historique des secteurs culturels (ceci est pertinent pour saisir l'effet du modèle transposé) en constatant que depuis la fin du XIXe siècle deux mouvements en sont responsables résumés sous des formules de choc : le premier “la culture contre l'Etat” car la “culture” serait née de l'activité des créateurs et l'Etat n'a fait que réagir notamment par l'encadrement juridique ayant pour but une sorte de “police administrative de la culture” ; le second mouvement “l'Etat contre la culture” : lorsque très tardivement (1960) l'intervention d'un ministère oriente la culture par des agents professionnalisés et à laquelle les créateurs (et les intermédiaires du marché de la culture) obéissent car l'intervention fixe plus qu'elle ne régule les seuils, les contrats-type, l'octroi des subventions, etc. “L'exception culturelle” exprimée lors des accords du Gatt et après la naissance de l'OMC en est la conséquence.
C'est tout le contraire donc qui s'est produit au Maroc : l'importation du modèle (intermittente et sectionnée) s'est faite sous l'égide de l'Etat (services de l'administration coloniale et services ayant hérité de ces services de 1956 à 1966 et évidemment après la création du ministère).
Le volontarisme s'est certainement accentué - par omission ou par actes inscrits légalement - et il faut un jour se résoudre à expliquer ce volontarisme de spécialisation d'une structure à un moment donné alors que le social était bien limité comparé à l'intervention économique tous azimuts des années soixante.
II. Le second postulat est que dans l'interventionnisme de l'Etat dans le secteur culturel, la logique à l'œuvre est néanmoins dominée par l'émiettement plutôt que de l'agrégation rationnelle. C'est ce soucis descriptif qui domine la problématique du propos sur cette “Arlésienne”.
En effet, la “culture” est partout certes mais au sein de la sphère publique elle-même, elle est éparpillée contre toute logique qui en faisait réellement une “politique culturelle”. Il suffit de lire attentivement les corpus juridiques, les institutions administratives (centrales déconcentrées ou décentralisées) pour s'apercevoir d'un tel “spectre” qui dépasse le simple ministère de la rue Ghandi : de la Jeunesse et des Sports, à l'Education nationale, aux Affaires étrangères, aux Habous et affaires islamiques, à la communication (évidemment !), aux télécommunications, etc.
Planification
indicative
La planification quoiqu'indicative avait marqué l'intermittence puisque par moments (fin décennie soixante-dix) elle a eu la vocation de définir un cadre tombé depuis dans l'oubli total et le ministère des Finances - gardien des deniers - veille bien à cette hiérarchisation des priorités en arguant toujours que toutes sommes confondues du “culturel” l'Etat dépense suffisamment. Un argument bureaucratique gît là pour opter pour l'immobilisme des nomenclatures budgétaires contre la culture.
De ces postulats avancés, il est admis de justifier la quête d'identification des acteurs et de montrer les carences interactives à l'œuvre dans le secteur “culturel” sachant bien que la réforme qui doit en découler exige à la fois un travail approfondi de la refonte de la législation secteur par secteur mais aussi une reformulation du rôle d'une structure administrative ministérielle (de mission et non de gestion) tenant compte des spécificités du changement face au travail/formation, au marché concurrentiel et surtout à la décentralisation et à l'émergence du phénomène associatif. La nécessaire fusion (et non une simple juxtaposition) des structures chargées de la culture est un passage obligé (dont principalement celle de la “culture” et de la communication) en s'appuyant chaque fois que c'est nécessaire sur des “autorités administratives indépendantes” (pour l'audiovisuel, pour les professionnels des arts etc.). La lecture exégétique des domaines éparpillés des secteurs “culturels” à partir des corpus juridiques permet d'en dégager cinq catégories juridiques essentielles qui supposent une restructuration des entités et renferment aussi des postulats pour la construction d'une démocratie substantielle à partir de la liberté culturelle. Celle-ci suppose aussi une intégration au marché organisé à construire (il suffit de voir que l'informel l'emporte dans les échanges des biens culturels, notamment dans l'audiovisuel et ses software) et au marché politique fondé sur la pleine citoyenneté.
1. Le droit patrimonial de la culture dont le droit des archives (problème central d'accès et d'utilisation en tant que droits primordiaux) ; le droit du livre et de la lecture et le dépôt légal des œuvres non imprimées ; le droit des musées et des collections ; le droit patrimonial (bâti et non bâti) classique et le droit de la langue (surtout depuis la création de l'IRCA).
2. Le droit de la création culturelle dont le droit du spectacle vivant, le droit du cinéma et le droit de l'architecture.
3. Le droit de la propriété littéraire et artistique (géré jusque-là loin des préoccupations de la création attribuées au ministère de la Culture dans une sorte de “schizophrénie administrative” dont pâtissent les auteurs).
4. Le droit de l'enseignement artistique est jusque-là “éclaté” et gagnerait à être agrégé bien que l'action culturelle peut évidemment soit “décentralisée” (collectivités locales) ou déconcentrée (établissements scolaires) quant à la danse, les arts plastiques, le théâtre, le cinéma (inexistant jusque-là) avec des passerelles possibles vers des métiers connexes (journalisme, publicité…).
5. Enfin le droit relatif au mécénat culturel dont les formules comparées peuvent être transposées avec acclimatation (quant aux entreprises notamment dans les mesures d'encouragement à l'investissement tels les “soulagements” fiscaux…).
La lecture ainsi dégagée pourrait être confrontée à l'actuel fatras de relations entre acteurs (Etat, collectivités locales, entreprises, associations, individualités actives, coopération internationale décentralisée ou non…) pour saisir les hiatus qui existent entre ces acteurs. L'autonomie juridique des collectivités locales signifie-t-elle une impossible action commune au plan régional et national d'un “schéma directeur de la culture” par exemple ? La définition d'une coopération internationale plurielle et harmonisée sur la base des besoins bien définis est-elle rétive aux jalousies des prérogatives de chaque entité où l'enseignement le dispute à la “culture”, et ou la jeunesse et sports la revendique face aux affaires sociales, etc. ? L'”Arlésienne” doit être identifiée dans une visibilité plus grande et elle n'est pas une idylle que le discours politique, veut séduire mais une réalité urgente que la nouvelle démocratie en construction exige.
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