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Langues et éducation au Maroc: le constat

A l'âge de 9 ans, un enfant marocain scolarisé sur 3 est dans l'incapacité de recevoir et de transmettre les informations écrites simples en arabe, la langue nationale.De ce fait, il n'est guère étonnant que les chiffres de l'analphabétisme se situent pou

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Certes, les considérations économiques, sociales et culturelles sont également en cause, mais c'est dans le fonctionnement même du système éducatif marocain qu'il faut rechercher la source de cet analphabétisme endémique.
Les causes de l'analphabétisme se résument à notre sens en deux mots : insécurité linguistique. Cela signifie qu'une partie importante des élèves marocains des écoles rurales ont du mal à apprendre à lire et à écrire dans leur propre langue : l'arabe.
Or, sur les bases mal établies de leur propre langue nationale, ils ne peuvent évidemment pas construire une maîtrise convenable du français.

L'analyse

Le problème linguistique est l'une des causes essentielles du dysfonctionnement du système éducatif au Maroc. Source de polémiques stériles, prétexte à des affrontements idéologiques antérieurs sans réels fondements, ce problème mérite d'être posé aujourd'hui avec objectivité et sérénité.
La seule façon de dépassionner le débat est d'affirmer haut et fort que seuls comptent l'intérêt de l'enfant marocain et son avenir scolaire, culturel et social. Un seul impératif doit rassembler : donner à une majorité d'élèves la capacité de parler juste, de lire juste et d'écrire juste.
Il existe entre la langue maternelle que parle l'enfant marocain à son arrivée à l'école rurale et celle dans laquelle il va apprendre à lire et à écrire un écart dont l'importance et la nature varient selon les différentes situations sociolinguistiques que connaît le Maroc. Plus cet écart est important, plus l'enfant aura des difficultés à apprendre à lire et à écrire et plus l'école devrait apporter le soin pour l'aider à franchir efficacement ce fossé.
Cet écart revêt en fait trois dimensions : La première est l'écart qui existe entre l'arabe dialectal et l'arabe classique. Certes, celles-ci ne constituent pas deux systèmes linguistiques distincts, sans rapport l'un avec l'autre; pourtant l'arabe dialectal et l'arabe classique ont des structures syntaxiques différentes.
Aussi s'agit-il que des démarches pédagogiques soient conçues qui permettraient aux élèves de passer progressivement de l'arabe oral, qu'ils utilisent quotidiennement, à la véritable maîtrise d'un arabe moderne, structuré et efficace tel que celui utilisé dans certains organes de presse et médias.

Ecart entre l'amazigh et l'arabe.

Les enfants qui arrivent à l'école en ne parlant que l'Amazigh dans l'une de ses trois variantes utilisent un système linguistique qui, sur le plan phonologique, syntaxique et rhétorique, ne présente aucune analogie avec le système de l'arabe. Ce constat engendre trois conséquences : la première est la nécessité, au début de la scolarité, d'utiliser la langue amazighe pour communiquer en classe avec ces enfants ; la seconde est la nécessité d'apprendre à lire et à écrire dans la langue maternelle qu'est l'amazigh en utilisant la graphie arabe ; la troisième conséquence est la nécessité d'apprendre à maîtriser l'arabe afin de s'engager sans rupture dans la lecture et l'écriture.
Par ailleurs, l'écart linguistique entre l'arabe et le berbère se réduira d'autant que l'on prendra en compte la spécificité de culture locale des élèves amazighophones et ce dans l'ensemble des activités scolaires. C'est un devoir pédagogique à leur égard en même temps qu'une valorisation juste et méritée d'une part importante du patrimoine culturel et historique du Maroc.
La troisième est due à l'insuffisante maîtrise du français. Même si l'anglais et l'espagnol constituent pour le Maroc moderne des langues importantes et utiles, le poids du français dans la société marocaine reste encore inégalé. Parce que s'appuyant sur une insuffisante maîtrise de l'arabe, la langue française ne joue pas au Maroc le rôle utile de langue d'ouverture que le pays mérite. J'en veux pour preuve l'insécurité linguistique que manifeste en français une part significative des étudiants de première année d'université.
Aussi devrait-on mettre l'accent dans l'apprentissage à l'oral comme à l'écrit sur un français fonctionnel utile à la communication et à l'acquisition de connaissances, et non pas une langue française littéraire et artificielle.

Les enjeux

Un citoyen, privé de lecture et d'écriture, ne peut prendre la distance propice à la réflexion et à l'analyse. Il sera certainement plus perméable à tous les discours qui prétendent lui apporter des réponses simples, immédiates et définitives, nourries d'intolérance et de sectarisme.
Or, les enfants marocains, notamment du rural, ont besoin d'être dotés d'outils linguistiques et, plus généralement, d'une formation qui valorise leur ruralité en même temps que leur appartenance à la communauté nationale, leur permettent de s'ouvrir vers la modernité extérieure dans le respect de leurs racines.
Loin des préjugés et des intérêts partisans, l'insécurité linguistique ressentie par les enfants doit être éradiquée. C'est le devoir auquel devront davantage s'atteler les spécialistes pédagogues, autant ceux des pouvoirs publics que ceux issus de la société civile.
(*)Professeur à l'université René Descartes, Paris Sorbonne
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