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Accueil next L'humain au centre de l'action future

Les Pollens de Mahi Binebine

Après «Le sommeil de l'esclave», «Les Funérailles du lait», sortis tous deux en 1994, après «L'ombre du poète» en 1997, Mahi Binebine fait les bouchées doubles en mettant sur pied deux nouveaux récits que Le Fennec reédite pour le public marocain. «Canni

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«Non, je ne suis pas fou; simplement amoureux. Des fleurs et du vent, du ciel, des oiseaux et des lumières de Kétama. Les montagnes alentours sont immenses, elles cachent en permanence leurs pics dans les nuages drus. Mais on les devine bien. Moi, surtout, car je regarde beaucoup vers le ciel. bien que je sois borgne, rien n'échappe à l'œil valide qui me reste. Il fonctionne à merveille; non seulement il s'est aiguisé, mais il a développé une faculté nouvelle qui me permet de discerner jusqu'à la face cachée des gens et des choses» . Après le sommeil de l'esclave, Les Funérailles du lait, sortis tous deux en 1994, après L'ombre du poète en 1997, Mahi Binebine fait les bouchées doubles en mettant sur pied deux nouveaux récits que Le Fennec reédite pour le public marocain. «Cannibles» et «Pollens».
C'est de ce dernier que cet extrait a été tiré. A lui seul ce paragraphe résume toute l'ambiance où se déroule cette histoire délirante .
Nous sommes donc à kétama, un patelin perdu au pied des montagnes du Rif, que rien ne prédistinait à la notoriété si ce n'est la culture du cannabis qui en fait un «temple de l'illusion» mondialement connu.
C'est dans ce coin que le destin de Pierrot et Sonia va être scellé. Fuyant la grisaille et la monotonie de leur Alsace natale en quête de soleil et d'un sens pour leur amour, ils se retrouvent par un concours de cironstances au cœur des montagnes rifaines où Moussa, le seigneur local, les a invités.

La tragédie de l'amoureux


Il n'aurait jamais accepté l'invitation. Il n'aurait jamais dû s'attarder dans ce coin où au printemps venu, quand le pollen de la fleur magique est porté par le vent, tous les habitants à plusieurs kilomètres à la ronde sont pris d'une douce folie énivrante. On n'échappe pas du paradis, même illusoire.
En fait de paradis, c'est en enfer que les deux tourtereaux vont se retrouver. Moins à cause du cannabis, que de la tyranie du seigneur Moussa. L'histoire est un classique du genre en fait. Elle se décline sous diverses versions dans les contes populaires. Mais toutes mettent en scène la tragédie du jeune amoureux après que le méchant seigneur lui ravisse sa bien-aimée pour en alimenter son harem.
Binebine, en bon conteur, en fait une parodie pour nous décrire et décrier la misère et l'abêtissement d'une société soumise à l'autorité implacable d'un pouvoir d'un autre âge.
Pierrot, privé de sa bien-aimée séquestrée au château du terrible Moussa, ne vivra désormais que dans l'espoir de la revoir. En attendant, il devient l'un des habitués du café Atlas -une sorte de grotte en haut de la montagne, aménagée en salon de thé- où il partage la vie végétative d'autres pommés qui viennent noyer leur misère dans la fumée de kif et les arômes du thé à la menthe; les parties interminables de cartes et le colportage des ragôts à propos des gens du village meublant le reste dans cet univers de vacuité où le temps est figé. Il y a là un ancien ministre, tombé en disgrâce, Driss le facteur, le seul lien entre le village et le reste du monde; Ali le fossoyeur qui passe son temps à jouer et à perdre son dentier, et bien sûr Jamal le cafetier.
Il y a aussi mamma Tamou la tenancière du bordel du coin. C'est désormais là que Pierrot doit donner un semblant de sens à sa vie en attendant. En attendant quoi au juste? Que Moussa, dans un élan de magnanimité, veuille bien libérer Sonia, sa bien-aimée? Autant attendre l'arrivée d'un train dans une station où il n'y a plus de rails.
On est en plein délire. Après tout on peut se demander si toute cette histoire n'est que le fruit des hallucinations d'un fumeur de cannabis, ou alors d'un paranoïaque. Après tout, c'est à partir de son lit d'hopital psychiatrique que le dit Pierrot, entreprend de raconter son histoire.
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