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M. Michel de Bonnecorse: le Maroc appartient à tous ceux qui l'aiment

M. Michel de Bonnecorse, ambassadeur de France au Maroc jusqu'à la fin de l'année 2001, s'apprête à quitter le Maroc à l'issue d'une mission qu'il considère à la fois riche et fondamentale. Plus de six ans d'exercice ont conduit ce diplomate chevronné, dé

M. Michel de Bonnecorse:  le Maroc appartient à tous ceux qui l'aiment
Depuis six ans, il a été aussi témoin, sous le règne de feu S.M. Hassan II et, aujourd'hui, de Sa Majesté le Roi Mohammed VI , de toutes les avancées du Maroc sur le plan insitutionnel, politique, économique, culturel et social. Observateur attentif, familier de nos traditions, il a su concilier les exigences contradictoires du métier avec une sympathie sans faille qu'il nourrit à l'égard du Maroc et de son peuple.
Michel de Bonnecorse ne manque pas de rappeler, alors qu'il quitte avec regret notre pays, que ce dernier franchit une étape décisive de son histoire. Le regard qu'il porte est empreint de sympathie, certes, mais relève d'une remarquable objectivité : il salue volontiers les progrès réalisés en matière politique, des droits de l'Homme et dans le domaine économique.Mais, cela ne l'empêche nullement - faisant sienne cette devise que l'ami est celui qui formule critique constructive - de relève les handicaps de l'économie et de certains secteurs.
«La qualité des relations maroco-françaises, dit-il, est encore plus frappante. Il y a une quasi-unanimité de tous, au Maroc comme en France, pour faire de la relation maroco-française une priorité et y mettre beaucoup d'ambition». Il souligne, en effet, qu'elle a permis ces dernières années de constituer «l'axe Rabat-Paris qui présente beaucoup d'analogies avec l'axe franco-allemand». Autant dire que, profonde, historique, passionnelle à la limite voire controversée, l'amitié maroco-française a valeur d'exemple. Elle s'est muée en un partenariat qui, dit-il, explique que la France aura réalisé plus de 80% des échanges au Maroc.
Le regard que M. de Bonnecorse, décoré la semaine dernière par Sa Majesté le Roi porte sur le Maroc, s'inspire d'une amitié profonde, qui l'incite à lâcher ce cri de cœur : «Je me sens très marocain et le Maroc appartient à tous ceux qui l'aiment». La place du Maroc aux plans régional et international, il la perçoit de manière d'autant plus favorable qu'il évoque «un pôle africain de développement dans tous les secteurs et notamment les services [banques, assurances, communication, technologies de pointe]».
Dans deux décennies, affirme-t-il, ces pôles seront concentrés à quelque trois ou quatre pays et généreront une croissance soutenue. Il y voit naturellement le Maroc bien placé dans ce peloton.
M.Michel de Bonnecorse, ambassadeur de France pendant six ans au Maroc, s'apprête à quitter le Maroc avec un mélange de devoir accompli et de déchirement. Il aime le Maroc, s'en fait le témoin priviligié mais prudent, n'hésite pas à faire le plaidoyer pro domo des réalisations accomplies sous les règnes de feu S.M. Hassan II et, aujourd'hui, de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Lucide, certes, M. de Bonnecorse est aussi un diplomate chaleureux et jovial. Infatigable avocat du partenariat maroco-français, il proclame son attachement à notre pays comme une profession de foi.

L.M.S.M. : Monsieur l'ambassadeur, vous arrivez en ce début de l'année 2002 au terme de votre mission au Maroc. Quel bilan dressez-vous de présence pendant plusieurs années dans notre pays ?

- M. De Bonnecorse : Je n'ai pas la prétention de dresser un bilan. Je ferai seulement le constat de l'évolution du couple France-Maroc au cours des 6 années. J'ai l'impression d'une solidité de plus en plus forte, d'un sentiment de grande complicité intellectuelle. Il y a deux manières d'effectuer ce constat. On peut relever les compteurs et y lire que M. Jacques Chirac s'est rendu quatre fois au Maroc, le Premier ministre deux fois et que 88 ministres y ont effectué une visite de travail ainsi que 450 députés ou sénateurs. En sens inverse, l'intensité est aussi grande : songez que les deux Souverains successifs se sont rendus trois fois en France en visite officielle. On pourrait relever la même intensité à tous les niveaux.
Mais je pense que la qualité est encore plus frappante. Il y a un rapprochement entre les deux sociétés (Année du Maroc en France). Il y a une quasi-unanimité de tous, au Maroc comme en France, pour faire de notre relation une priorité et y mettre beaucoup d'ambition. Un mot sur l'économie, un seul, mais il est significatif : en 2001, la France aura réalisé plus de 80 % des investissements étrangers au Maroc. Bref, il y a constitution, ces dernières années d'un axe Paris-Rabat qui présente beaucoup d'analogies avec l'axe franco-allemand. Ceci est possible parce qu'il y a une volonté politique des plus hautes autorités du Royaume comme de la République et également une adhésion de la quasi-totalité des citoyens français et marocains.

Vous avez été un témoin privilégié de l'évolution du pays tout au long de ces dernières années. Vous êtes, à ce titre, en mesure d'exprimer votre sentiment sur les réformes entreprises, les projets et les perspectives . Comment voyez-vous dans ce contexte le futur marocain ?

- Ce n'est pas au moment de partir que je vais commencer à faire de l'ingérence !
Je peux toutefois dire que ce qui frappe les Français c'est la sagesse, la continuité et la solidité des options prises depuis 10 ans. C'est une marche continue vers la modernité, une marche tranquille, assurée et résolue. Je crois que tous les Marocains sont d'accord sur les objectifs de cette marche. Certains voudraient y aller en courant. Mais est-ce prudent ? Ce serait laisser bien des citoyens au bord du chemin. Le grand atout du pays, c'est qu'ici il y a un grand ordonnateur qui décide du rythme. Nous constatons que le pays se renforce, que les libertés publiques sont de mieux en mieux assurées, que le Maroc compte dans le monde, que l'ascenseur social est en marche. Le nouveau concept de l'autorité, la mise à niveau de l'économie, l'ouverture à l'Europe sont des objectifs qui fleurent bon la liberté et la modernité.
Cela ne veut pas dire que nous refusons de voir les conditions de vie difficiles de beaucoup de Marocains, le taux de chômage, le seuil de pauvreté, le retard éducatif. Mais il n'y a pas motif à découragement. Un grand mouvement est en marche et les enfants vivront mieux que leurs parents.

Quel est votre sentiment sur les potentialités économiques du Maroc à l'orée de ce siècle ?

- Le Maroc a des handicaps, mais aussi beaucoup d'atouts. Certes, pas de pétrole, un climat semi-aride, des flux commerciaux limités au nord-sud et un net retard éducatif, cela ne facilite pas la croissance. Malgré cela, nous autres Français sommes très confiants pour l'avenir. Pour des raisons intrinsèques d'abord : la stabilité politique est essentielle pour construire une économie forte. La qualité de travail effectuée par les employés comme par les ingénieurs. Si STM-Microelectronics (Franco-italien) a décidé de doubler son énorme unité de Casablanca, c'est parce que le facteur humain était bien plus efficace là que dans ses unités asiatiques. Quand on voit le rendement dégagé par une économie qui n'est pas encore mise à niveau, on peut-être confiant pour son potentiel. D'énormes gisements économiques sont encore à exploiter; c'est particulièrement vrai dans l'hôtellerie, le tourisme, l'aquaculture. Les Marocains me paraissent particulièrement aptes à développer les nouvelles technologies. Ils ont l'esprit scientifique et parlent bien les langues étrangères.
Des raisons extrinsèques nous paraissent être favorables au Maroc. Ici il y a actuellement constitution d'un pôle africain de développement dans tous les secteurs et notamment les services (banques, assurances, communication, technologies de pointe, transports).
Dans les 20 ans à venir, ces pôles du continent africain ou du monde arabe seront extrêmement peu nombreux (3 à 4), ils généreront une croissance très soutenue pour les pays où ils seront situés. Il y aura un effet cumulatif et beaucoup d'opportunités pourront être saisies. Exemple d'actualité : si la déconfiture d'Air Afrique se confirme, il est certain que la RAM et sa filiale Air Sénégal International reprendront de nombreuses liaisons et que Casablanca deviendra une plate-forme internationale considérable.
Tout cela n'échappe pas aux opérateurs français et ce n'est pas seulement pour les beaux yeux du Maroc que les investissements sont aussi massifs.

Comment voyez-vous l'avenir des relations maroco-françaises et maroco-européennes ?

- Vaste question ! Essayons tout de même.
Concernant l'avenir de nos propres relations, je crois qu'il y a un piège à éviter : celui de l'autosatisfaction. Ce n'est pas parce que c'est le beau fixe et que de brique en brique nous en sommes à l'imbrication qu'il faut croire la situation irréversible. Comme tout bien précieux, il est fragile et nous devons tous être vigilants. Il faudra être très imaginatif, donner un contenu au nouveau partenariat, se soucier des visas (la situation n'est pas satisfaisante) comme de l'immigration, répondre à Paris comme à Rabat à l'attente de l'autre. Il faudra définir beaucoup de projets en commun qui projettent l'action maroco-française à l'extérieur, notamment en Méditerranée : des projets concrets, des actions de coopération en Afrique sub-saharienne, des projets de télévision par satellite, des initiatives communes dans les enceintes internationales.
Nous voulons être les champions du vœu du Souverain chérifien : «Avec l'Europe, nous souhaitons plus que l'Association». Il faudra donner une nouvelle dimension à la solidarité née de cet accord. Un contenu politique qui soit un modèle et, pourquoi pas pour commencer, une réflexion sur le dirham et la zone euro ?
Avec l'Europe, les relations sont satisfaisantes et je constate qu'il y a de moins en mois d'euroscepticisme ici. La diplomatie marocaine devient même «euro-active». C'est excellent, car là aussi il faudra donner un contenu politique de façon à dépasser la seule relation sécuritaire, économique et commerciale. L'Union Européenne devra prouver sa qualité «d'associé» au Maroc. Déjà, nous avons répondu massivement à la demande d'aide aux provinces du nord. Nous nous apprêtons à répondre aux requêtes marocaines concernant le contrôle des flux migratoires dans le Détroit. Nous effectuerons des démarches conformes aux intérêts du Maroc, à commencer par la démarche humanitaire pour la libération de tous les prisonniers de guerre marocains encore détenus. Ce sont tout de même les plus anciens au monde.
En revanche, nous attendrons du Maroc certaines «préférences» commerciales ou agricoles qui devraient être génociées dans un esprit de réciprocité. Nous espérons être également soutenus dans les enceintes internationales, notamment à l'OMC, et que le Maroc soit sur la rive sud l'un des moteurs les plus actifs de l'Euro-méditerranée. Voilà une feuille de route bien remplie !

Le Maroc cultive une singularité qui le distingue des autres pays, à la fois en termes de modèle politique, de choix économiques et de projet de société

- Cette singularité est frappante et nous en avons encore eu un bel exemple avec la cérémonie dite œcuménique, de septembre dernier. Elle se traduit par quelques mots : pesanteur historique, conscience nationale, tolérance, morale religieuse, autorité de l'Etat et ce que j'appellerais une grande continuité des options.
Cela fait du Maroc un pays fort, parfois ombrageux, à la politique visible et installée dans la durée. Ce n'est pas une nation qui se cherche, ce n'est pas un pays qui doute. Cela ne veut pas dire que des erreurs ne sont pas commises, qu'il n'y a pas de lutte entre les dinosaures et les pur-sang fringants et que l'on vole de succès en succès. Mais une chose est sûre : les bonnes directions sont affichées et, vu depuis l'Europe, ce que vous appelez le «modèle» marocain mériterait de faire école dans de nombreux pays, notamment de la rive sud de la Méditerranée.

Quel message adresseriez-vous aujourd'hui aux Marocains alors que vous vous apprêtez à quitter un pays qui vous a adopté et pour lequel, à n'en pas douter, vous manifestez de l'estime.

- Je me permets de dire un mot car, après plus de 6 années ici, je me sens très marocain et le Maroc appartient aussi à ceux qui l'aiment. Tous les Marocains ont en main ce destin qui consiste à mêler le bel héritage de leur passé et les promesses de la modernité. Evoluer c'est aussi assurer la fidélité à ses racines. Feu le Roi Hassan II l'avait dit à Paris - citant Jaurès - ; «Un fleuve n'est fidèle à sa source qu'en allant à la mer». Je suis convaincu qu'un beau destin est promis aux Marocains s'ils se montrent entreprenants, audacieux et généreux. «La vie rend cent à qui lui donne dix».
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