Coïncidence ? En ce mois de mars où, il y a presque 70 ans, est mort Mahmoud Mokhtar, une exposition et deux articles de presse sont venus rappeler opportunément aux Egyptiens la vie et l'œuvre de leur plus grand sculpteur moderne.
L'exposition a réuni 46 sculptures de l'artiste, choisies parmi celles qu'abrite le musée qui porte son nom, inauguré en 1962 et actuellement en cours de réaménagement. Quant aux articles, le premier a été publié dans le quotidien Al Ahram, dans cette page hebdomadaire si originale où sont réédités des articles ayant trait à l'histoire contemporaine de l'Egypte . Le second article se trouve dans Al mouhit at-takafi, une jeune revue mensuelle éditée par le Ministère des affaires culturelles.
De l'exposition et des deux articles, émerge la figure d'un artiste non seulement génial, mais pleinement impliqué dans l'effervescence politico-culturelle qui a caractérisé la scène égyptienne à la veille de la première guerre mondiale.
Mahmoud Mokhtar est né dans un village du centre du Delta. Avant le granit d'Assouan de l'artiste dans sa pleine maturité, c'est la terre limoneuse de la vallée du Nil qui servira de matière première aux sculptures d'un enfant précoce; qui, à l'âge de dix ans, quitte son village pour le Caire où il intègre, en 1908, l'Ecole des Beaux-Arts.
Durant ses études, il participe pleinement au mouvement national alors en plein essor et qui sera couronné par la révolution de 1919. Ses premières sculptures font revivre de grands hommes de l'histoire arabe : Kalid ibn al Walid, ‘Amr ibn al ‘Ass, Tariq ibn Ziad. Quand Kacem Amine appelle à la libération de la femme, il sculpte Khawla bint al azwar, une combattante arabe qui s'était illustrée dans la guerre contre les Byzantins. Pour l'histoire contemporaine, Mahmoud Mokhtar sculptera les portraits des grands leaders du mouvement national Egyptien: Mustapha Kamel (dont la sculpture sera portée par le cortège funéraire), Sa'ad Zaghloul.
Encouragé par ses professeurs étrangers, qui avaient remarqué ses dons, Mahmoud Mokhtar gagne Paris, en 1911, et y réussit le concours d'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts. Après deux ans de séjour, il expose Aïda au Salon des artistes français. Pendant la première guerre mondiale il dirige, deux ans durant, le célèbre Musée Grévin.
C'est en 1920 que Mamoud Mokhtar, toujours à Paris, réalise la première ébauche de ce qui sera son oeuvre la plus célèbre : Nahdat Misr. Exposée au Salon, cette ébauche retient fortement l'attention par le puissant symbolisme de sa composition : une paysanne égyptienne, sans voile, posant délicatement sa main, comme pour le réveiller d'un sommeil millénaire, sur le sphinx de Guizé.
En Egypte, l'ébauche soulève l'enthousiasme et suscite l'ouverture d'une cotisation pour lui donner une forme définitive. Il faut dire que la découverte du tombeau de Tout Ankh Amon, en 1922, avait remis au goût du jour l'antiquité pharaonique qui inspirera plusieurs sculptures à Mahmoud Mokhtar, dont une Isis exposée en 1926 à Paris.
Par la suite, c'est vers la femme rurale égyptienne que Mahmoud Mokhtar tournera son regard, fixant dans la pierre ses gestes millénaires et nimbés de grâce. On a parlé, à propos de ces œuvres consacrées à la femme paysanne, de véritables «poèmes sculptés».
Dimension nationale
Nulle oeuvre artistique égyptienne n'a autant retenu l'attention que la sculpture de Mahmoud Mokhtar, Nahdat Misr, qui se dresse toujours au milieu de l'une des plus belles places du Caire, face à l'Université. Son importance découle de trois considérations : en premier, bien sûr, sa dimension nationale et symbolique; en second, le fait qu'elle soit l'œuvre d'un artiste issu de la glèbe égyptienne. Auparavant, sous le règne du khédive Ismail, les sculpteurs étaient en majorité des étrangers, particulièrement des Italiens. Leurs modèles étaient principalement les membres de l'aristocratie et de la famille royale. Par contre, et c'est le troisième point, Mahmoud Mokhtar, comme nous l'avons déjà signalé, s'est impliqué pleinement dans le mouvement de renaissance nationale de l'Egypte qui lui a justement inspiré son oeuvre la plus célèbre.
L'exécution de celle-ci commença en 1921. Douze blocs de granit d'Assouan furent convoyés, par voie fluviale, au Caire. Les péripéties politiques firent que le travail ne prit véritablement sa vitesse de croisière qu'en 1926, lors de la constitution d'un gouvernement dirigé par le Wafd, le parti de Saad Zaghloul. La mort de ce dernier, en 1927, ne fit qu'affermir la volonté d'achever la réalisation de l'œuvre. Ce sera chose faite en 1928, et deux articles d'al Ahram en furent les annonciateurs. Le 12 mai, le journal consacra un dossier spécial à Nahdat Misr, dans lequel on trouvait un long poème de Chawqi; le 20 mai, c'est à la biographie du sculpteur qu'était consacré un dossier spécial.
Enfin, le 28 mai 1928, c'était l'inauguration, en présence du roi et du premier ministère, Mustapha Nahas, qui prononça à l'occasion un ardent discours nationaliste.
Un détail allait retenir néanmoins l'attention, lors de cette cérémonie officielle et fastueuse : l'absence de femmes, même celles de l'élite. Ce qui conduisit l'une d'elles à relever le paradoxe de cette absence, puisque dans l'œuvre qu'on célébrait, c'est une femme, une paysanne de surcroît, qui symbolisait la «renaissance» de la nation. Les membres de l'institution religieuse, qui avaient vu d'un très mauvais œil cette oeuvre, étaient plus cohérents avec eux-mêmes.
Malgré ces réserves, on peut dire que Nahdat Misr a marqué profondément la conscience et la société égyptiennes. A preuve, le fait que plusieurs organismes et institutions en aient fait leur blason. Le dernier en date de ces organismes : le Conseil national de la femme. Comme quoi, le message que nous délivre l'œuvre la plus célèbre de Mahmoud Mokhtar reste d'actualité. Sans véritable nahda de la femme, il est vain d'espérer celle de la société globale.
L'exposition a réuni 46 sculptures de l'artiste, choisies parmi celles qu'abrite le musée qui porte son nom, inauguré en 1962 et actuellement en cours de réaménagement. Quant aux articles, le premier a été publié dans le quotidien Al Ahram, dans cette page hebdomadaire si originale où sont réédités des articles ayant trait à l'histoire contemporaine de l'Egypte . Le second article se trouve dans Al mouhit at-takafi, une jeune revue mensuelle éditée par le Ministère des affaires culturelles.
De l'exposition et des deux articles, émerge la figure d'un artiste non seulement génial, mais pleinement impliqué dans l'effervescence politico-culturelle qui a caractérisé la scène égyptienne à la veille de la première guerre mondiale.
Mahmoud Mokhtar est né dans un village du centre du Delta. Avant le granit d'Assouan de l'artiste dans sa pleine maturité, c'est la terre limoneuse de la vallée du Nil qui servira de matière première aux sculptures d'un enfant précoce; qui, à l'âge de dix ans, quitte son village pour le Caire où il intègre, en 1908, l'Ecole des Beaux-Arts.
Durant ses études, il participe pleinement au mouvement national alors en plein essor et qui sera couronné par la révolution de 1919. Ses premières sculptures font revivre de grands hommes de l'histoire arabe : Kalid ibn al Walid, ‘Amr ibn al ‘Ass, Tariq ibn Ziad. Quand Kacem Amine appelle à la libération de la femme, il sculpte Khawla bint al azwar, une combattante arabe qui s'était illustrée dans la guerre contre les Byzantins. Pour l'histoire contemporaine, Mahmoud Mokhtar sculptera les portraits des grands leaders du mouvement national Egyptien: Mustapha Kamel (dont la sculpture sera portée par le cortège funéraire), Sa'ad Zaghloul.
Encouragé par ses professeurs étrangers, qui avaient remarqué ses dons, Mahmoud Mokhtar gagne Paris, en 1911, et y réussit le concours d'entrée à l'Ecole des Beaux-Arts. Après deux ans de séjour, il expose Aïda au Salon des artistes français. Pendant la première guerre mondiale il dirige, deux ans durant, le célèbre Musée Grévin.
C'est en 1920 que Mamoud Mokhtar, toujours à Paris, réalise la première ébauche de ce qui sera son oeuvre la plus célèbre : Nahdat Misr. Exposée au Salon, cette ébauche retient fortement l'attention par le puissant symbolisme de sa composition : une paysanne égyptienne, sans voile, posant délicatement sa main, comme pour le réveiller d'un sommeil millénaire, sur le sphinx de Guizé.
En Egypte, l'ébauche soulève l'enthousiasme et suscite l'ouverture d'une cotisation pour lui donner une forme définitive. Il faut dire que la découverte du tombeau de Tout Ankh Amon, en 1922, avait remis au goût du jour l'antiquité pharaonique qui inspirera plusieurs sculptures à Mahmoud Mokhtar, dont une Isis exposée en 1926 à Paris.
Par la suite, c'est vers la femme rurale égyptienne que Mahmoud Mokhtar tournera son regard, fixant dans la pierre ses gestes millénaires et nimbés de grâce. On a parlé, à propos de ces œuvres consacrées à la femme paysanne, de véritables «poèmes sculptés».
Nulle oeuvre artistique égyptienne n'a autant retenu l'attention que la sculpture de Mahmoud Mokhtar, Nahdat Misr, qui se dresse toujours au milieu de l'une des plus belles places du Caire, face à l'Université. Son importance découle de trois considérations : en premier, bien sûr, sa dimension nationale et symbolique; en second, le fait qu'elle soit l'œuvre d'un artiste issu de la glèbe égyptienne. Auparavant, sous le règne du khédive Ismail, les sculpteurs étaient en majorité des étrangers, particulièrement des Italiens. Leurs modèles étaient principalement les membres de l'aristocratie et de la famille royale. Par contre, et c'est le troisième point, Mahmoud Mokhtar, comme nous l'avons déjà signalé, s'est impliqué pleinement dans le mouvement de renaissance nationale de l'Egypte qui lui a justement inspiré son oeuvre la plus célèbre.
L'exécution de celle-ci commença en 1921. Douze blocs de granit d'Assouan furent convoyés, par voie fluviale, au Caire. Les péripéties politiques firent que le travail ne prit véritablement sa vitesse de croisière qu'en 1926, lors de la constitution d'un gouvernement dirigé par le Wafd, le parti de Saad Zaghloul. La mort de ce dernier, en 1927, ne fit qu'affermir la volonté d'achever la réalisation de l'œuvre. Ce sera chose faite en 1928, et deux articles d'al Ahram en furent les annonciateurs. Le 12 mai, le journal consacra un dossier spécial à Nahdat Misr, dans lequel on trouvait un long poème de Chawqi; le 20 mai, c'est à la biographie du sculpteur qu'était consacré un dossier spécial.
Enfin, le 28 mai 1928, c'était l'inauguration, en présence du roi et du premier ministère, Mustapha Nahas, qui prononça à l'occasion un ardent discours nationaliste.
Un détail allait retenir néanmoins l'attention, lors de cette cérémonie officielle et fastueuse : l'absence de femmes, même celles de l'élite. Ce qui conduisit l'une d'elles à relever le paradoxe de cette absence, puisque dans l'œuvre qu'on célébrait, c'est une femme, une paysanne de surcroît, qui symbolisait la «renaissance» de la nation. Les membres de l'institution religieuse, qui avaient vu d'un très mauvais œil cette oeuvre, étaient plus cohérents avec eux-mêmes.
Malgré ces réserves, on peut dire que Nahdat Misr a marqué profondément la conscience et la société égyptiennes. A preuve, le fait que plusieurs organismes et institutions en aient fait leur blason. Le dernier en date de ces organismes : le Conseil national de la femme. Comme quoi, le message que nous délivre l'œuvre la plus célèbre de Mahmoud Mokhtar reste d'actualité. Sans véritable nahda de la femme, il est vain d'espérer celle de la société globale.
