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Marché de l'art : l'anarchie…

A la Villa des Arts s'est tenue une journée de réflexion sur le marché de l'art. Elle a permis de mettre en relief son anarchie, l'insuffisance de formation et de culture artistique qui le caractérisent.La Villa des Arts a eu l'initiative d'organiser un s

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peintre Mohammed Melehi qui a présidé cette assemblée, «un débat de ce genre constitue au Maroc une démarche nouvelle, nécessaire et cohérente avec les temps qui courent, qui témoignent d'une certaine attention pour la culture (de la part des citoyens). Il est salutaire qu'on nomme les choses par leur nom et que chacun en assume sa responsabilité...».
Depuis quelques années l'activité picturale s'est considérablement intensifiée. Le pays compte aujourd'hui près de 2000 artistes, un nombre à centupler pour avoir une idée quantitative de la production artistique correspondante. Parallèlement, les oeuvres marocaines susciteraient un engouement, tant chez le collectionneur averti que chez l'amateur. Depuis les années 80 se sont créées des fondations qui investissent dans l'art et qui lui ont consacré des espaces spécifiques. Il résulte de ceci l'animation de l'activité de ce secteur, mais peut-on parler véritablement d'un marché de l'art ? S'il existe, quel est son niveau, quelle est son évolution ? L'on a observé que si le nombre des galeries avait doublé en dix ans, plusieurs d'entre elles ont baissé pavillon tandis que de nouvelles apparaissent. Quelles sont les causes profondes de cette conjoncture ?
Quand les murs sont remplis

«Il y a bien un chiffre d'affaires qui se fait dans l'art au Maroc, reprend Melehi ; les tableaux circulent, et un nombre non négligeable d'artistes vivent de leur peinture, surtout si l'on considère ce nombre d'un point de vue proportionnel : Dans certains pays d'Europe, sur 300 000 à 400 000 peintres, une poignée seulement vivent de leur art ; Au Maroc, sur près de 2000 peintres, plus d'une cinquantaine vivent de leur peinture...». Il est évident qu'on ignore le montant exact investi dans l'art Mais Melehi affirme qu'il est estimé très grossièrement entre 2 à 3 millions de dihrams. La certitude est que c'est un marché orienté dans un contexte anarchique et de tâtonnement. «Il arrive que certains jeunes peintres qui démarrent vendent leurs oeuvres à 30 000 DH ou plus» indique Melehi. Autrement dit, dépenses mal placées caractéristiques de l'anarchie et de l'absence de structuration du marché. Plusieurs avis sont proposés pour remédier à cet état de fait : création d'un système d'infrastructure, de musées, encouragement des galeries par l'Etat, amélioration des systèmes de formation, effort multiple de tous les secteurs, ... Ce qui est essentiel aujourd'hui c'est de se pencher sur le problème avec des questions, une réflexion, une communication qui porte cette problématique à un débat public, afin que les investisseurs potentiels sachent demander conseil et investir.
On reproche en outre le manque de communication interprofessionnelle au niveau des galeries qui travaillent isolément alors qu'elles pourraient s'organiser, même si chacun a sa tendance, pour sortir un bulletin, définir la température et le niveau d'investissement dans l'art. La classique discorde entre galeristes et artistes est également relevée. Les seconds accusent les premiers de mal réaliser leur travail tandis que ces derniers se plaignent du manque de sérieux de certains artistes qui vendent leurs toiles en atelier après avoir profité de l'exposition en galerie.
Côté des collectionneurs, on déplore le fait que plusieurs d'entre eux ne sont pas connus. Quant aux institutions qui ont créé des collections, on s'étonne que certaines les aient arrêtées, alors que par définition une collection ne s'arrête jamais. Mais comme le fait remarquer Melehi, il faut tenir compte du cas où l'espace permettant d'accrocher les tableaux se remplit et arrête de ce fait les acquisitions, et ceci constitue un autre phénomène.
Une grande part de la discussion a tourné autour du métier de galeriste et quelques expériences ont été exposées. La note optimiste, c'est l'enthousiasme de jeunes galeristes qui semblent réussir. Ainsi Youssef Falaki de Matisse Art Galery, 3 ans d'existence à Marrakech avec une clientèle à 90% étrangère, résidents étrangers ou touristes. En fait, c'est l'atelier d'encadrement qui soutient l'activité de cette galerie qui perd de l'argent à chaque exposition, confie Falaki. «Nous réalisons autour de 50% de ventes à chaque exposition et cela ne couvre pas nos dépenses élevées». Fatima Jalal de la nouvelle Galerie Tilila à Casablanca affirme par contre qu'elle s'interdit toute activité parallèle à sa galerie. Elle raconte, confiante et ravie, qu'elle a été soutenue par plusieurs personnes, reçue par un accueil chaleureux à la Wilaya, qu'on lui a promis des subventions, que les gens viennent à elle spontanément lorsqu'elle les contacte... (que Dieu la protège du mauvais oeil !). Melehi l'admire pour sa chance en lui disant qu'à l'entendre, tout le monde va vouloir ouvrir des galeries. Mais lorsqu'il lui demande son chiffre d'affaires elle répond en riant qu'elle est plutôt endettée. «Les deux premières expositions ont bien marché, la troisième fut un peu plus timide...».
«Ça colore le quartier»

Pauline de Mazières relate quant à elle l'expérience de sa galerie pionnière «L'atelier» qui avait ouvert il y a 30 ans, sans jamais avoir bénéficié de la moindre subvention, précise-t-elle, et a fermé depuis 11 ans. «Les activités que nous avions développées en marge de celle de galerie, encadrement, mobilier, luminaires, tapisseries, ... nous avaient aidé à subsister, mais nous prenaient beaucoup de temps. Pour nos expositions nous réalisions des affiches et catalogues magnifiques dont tout le monde parlait». Après avoir décidé en 1985-86 d'arrêter toute activité en dehors de celle de la galerie, celle-ci a fait faillite. «Aujourd'hui les choses ont beaucoup avancé mais à l'époque cela paraissait une espèce de folie d'accrocher des tableaux dans une galerie et de les vendre, dit Pauline de Mazières. Aux deux premières expositions, de Melehi et de Belkahia, nous n'avions rien vendu hormis un cuivre de Belkakia le dernier jour, ce qui lui a fait dire : «J'aurai préféré ne rien vendre, comme ça on aurait pu dire fiasco total». Par la suite, nous vendions en moyenne cinq à six toiles par exposition... Il y a eu bien sûr toutes les vicissitudes historiques économiques et politiques... ».
Quant à Abdelmalek Chorfi, il annonce, dans une joie fataliste, qu'il vient de transformer une de ses deux galerie en point de vente Méditel, ce qui provoqua une esclaffade dans l'assistance. «Voilà, vous êtes les bienvenus, ça colore le quartier, le soir c'est bien éclairé et fait penser à un beau rouge à lèvres», dit Chorfi. Mais il souligne, toujours en riant, que sa seconde galerie restera quand même ouverte jusqu'à sa mort (nous lui souhaitons longue vie). «J'ai perdu beaucoup d'argent mais acquis une collection... Je ne vous raconte pas quand les impôts vous tombe dessus !», ajoute-t-il.
Melehi reprend la parole pour signifier qu'une des raisons au fait que les galeries ne gagnent pas d'argent est qu'elles n'investissent pas suffisamment. «De vraies galeries marocaines, on n'en connaît pas beaucoup, dit-il. Beaucoup ont vu le jour pour faire passer le temps, en tant que hobby, comme si on plaçait l'argent quelque part au lieu de le jouer dans un casino... Or un vrai galeriste a son public et ses premiers clients sont ses amis, ses connaissances, auprès desquels il prêche continuellement comme un prêtre dans une paroisse. Beaucoup de galeries marocaines se comportent comme un self-service : elles accrochent les toiles et attendent. Or personne ne passe par hasard à côté d'une galerie et achète un tableau à 10 000 DH». L'artiste peintre Chebaâ ajoutera que pour avoir des galeries compétentes, qui commercialisent de la bonne peinture, même spécialisées dans des tendances, il faut avoir un environnement national propice : des écoles nombreuses, des académies, des ateliers pour les jeunes, des musées, et que l'administration de tutelle joue positivement son rôle. «Il faut arriver à une situation où l'infrastructure de l'art définisse le profil même du marchand de l'art, dit Chebaâ. Le galeriste doit justifier d'un niveau intellectuel et passionnel, d'une charge culturelle. Une galerie d'art n'est pas un magasin de prêt à porter...».
Les faux et les marchands informels

Cette déficience de la culture artistique qui caractérise notre pays se manifeste même au niveau de la formation actuelle, ce qui se répercute sur l'ensemble du secteur, comme l'observe le peintre Guy Hosteins, également ancien galeriste : «pour être peintre, il faut une formation ; où se dispense-t-elle, en dehors de l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca dont l'enseignement demeure limité, où des professeurs non motivés ne peuvent à leur tour motiver des élèves? Devant la réalité d'une formation insuffisante, il faut que le galeriste soit lui-même titulaire d'un bagage qui lui permette d'avoir un éclectisme, une polyvalence, la capacité d'approcher l'oeuvre d'art pour la sélectionner et la présenter au public, qui de ce fait sera peu à peu préparé et saura avec le temps faire la différence entre le bon et le mauvais». Ce à quoi Chebaâ recommande la définition d'un code relatif à la circulation des oeuvres car beaucoup d'acheteurs ne savent pas ce qu'ils achètent et préfèrent acheter moins cher des faux, ce qui se vend le plus. Falaki souligne que la circulation des faux et les marchands informels constituent les points noirs du secteur. «Il faut donc faire passer le message, dans le contexte actuel, que la galerie demeure le point de référence et de vulgarisation d'un certain art», dit Melehi.
Autre point crucial, Il a souvent été fait l'amalgame entre «bonne peinture» et «art contemporain». Si le Maroc justifie d'un art contemporain d'une grande richesse, par quelques noms qui ont fait l'histoire de l'art contemporain dans notre pays et la perpétuent, cela n'autorise pas à discréditer la peinture orientaliste ou figurative de qualité. La nouveauté n'annule pas l'art classique. La peinture orientaliste, représentative de diférentes époques et cultures, offre des chefs d'oeuvres et immortalise des talents incontestables. En outre on remarque de par le monde un certain retour au figuratif, et aussi un figuratif contemporain très appréciable. Le peintre Talal a par ailleurs signalé qu'il existe aujourd'hui, à l'échelle internationale, bien d'autres courants à côté de l'art abstrait.
En conclusion il a été convenu que le marché de l'art n'est pas une chose accidentelle mais il est la résultante d'un comportement culturel et social dans un pays. Cependant la frustration fut générale par rapport à la question essentielle posée par le symposium : il s'est achevé sans que l'on sache s'il existe effectivement un marché de l'art et quelles sont ses prospectives. Il a donc été proposé, le sujet étant loin d'être épuisé, qu'il fasse l'objet de nouvelles rencontres, préparées avec des éléments statistiques, qu'il soit traité avec une démarche scientifique.
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