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Maroc - Algérie : destins croisés


Né en Algérie en 1950, Benjamin Stora porte une affection et une attention particulières à cette terre qui l'a vu naître et grandir. Professeur détaché à Rabat de 1998 à 2001 pour y effectuer des recherches sur les nationalismes algérien et marocain,

Maroc - Algérie : destins croisés
Son dernier essai «Algérie Maroc, Histoires parallèles, destins croisés» pourrait être considéré comme une contribution majeure pour mieux appréhender le passé, le présent et l'avenir du Maghreb
.«A quand un couple algéro-marocain, indispensable moteur d'un Maghreb des régions ?». La question peut paraître saugrenue, le contexte inadapté… Moults raisons avaient même été avancées pour dissuader l'auteur d'entreprendre une telle recherche. Etablir des comparaisons, relever des singularités ou des similitudes entre les deux pays est en fait un exercice malaisé, parfois difficile, mais, comme l'explique Benjamain Stora, dans l'introduction de «Algérie Maroc, Histoires parallèles, destins croisés» «L'exercice de la comparaison, apparaît ainsi, comme une nécessité pour revitaliser des échanges culturels, surmonter des malentendus, s'enrichir des différences de pensée et de traditions, sans attendre que les leaders concernés s'attellent à la construction politique du Maghreb».
C'est cette problématique qui a incité l'auteur à entreprendre cette étude, à interroger le passé, sans complaisance ni parti pris, afin de «préparer l'avenir». Né en Algérie, Benjamin Stora porte une affection et une attention particulière à cette terre qui l'a vu naître et grandir. Professeur détaché à Rabat de 1998 à 2001, pour y effectuer des recherches sur les nationalismes algérien et marocain, il s'avère un observateur avisé de la scène politique. Considéré comme l'un des meilleurs spécialistes du Maghreb, ses travaux font autorité. Ses analyses pertinentes de la situation et du drame algériens demeurent toujours d'actualité.
«Algérie Maroc, Histoires parallèles, destins croisés» invite le lecteur à plonger dans le passé, dans les heures noires du colonialisme pour mieux comprendre cet éveil du nationalisme et cette aspiration légitime à secouer les jougs. L'essai offre des pistes intéressantes et tente d'apporter des explications fondées quant à cette «inimitié» entre deux pays si proches et pourtant si éloignés. «La notion de Maghreb uni se révèle, à ce moment, très ancrée dans l'imaginaire collectif. La guerre du Rif des années vingt, la débâcle française de 1940, le mouvement de décolonisation post-Seconde Guerre mondiale, la création de la Ligue Arabe en 1945, fabriquent une chaîne mémorielle, des points nodaux de référence, des représentations unanimement partagées. Un même élan se dessine dans les partis nationalistes».
Le passé construit autour de luttes contre le colonialisme et de fraternité d'armes, a forgé les mêmes idéaux et le désir de vivre-ensemble. Mais si les élites tant marocaines qu'algériennes ont ressenti et cultivé les mêmes sentiments anticolonialistes, force est de constater que le rapport à l'indépendance marque cette différence capitale d'appréciation des acquis. «En Algérie, souligne l'auteur, il s'agissait d'insister sur une rupture, alors qu'au Maroc, l'indépendance marquait le retour à un système étatique, hier bafoué, mais pérenne».

Le chaînon manquant

La lutte pour le recouvrement de l'indépendance a démarré au Maroc dès la fin des années vingt. Les élans indépendants n'ont émergé, en Algérie, que vers la fin de 1954. Le Maroc a servi par ailleurs de base arrière aux combattants algériens, les a épaulés, armés et soignés. Un soutien sans faille qui n'est pas récompensé en retour. Par égard pour le peuple algérien et ses souffrances, le Maroc n'avait pas réclamé dès son indépendance la restitution des territoires qui lui appartiennent et que le tracé colonial avait été spolié. Ces oppositions géostratégiques qui se sont cristallisées entre le Maroc et l'Algérie se sont soldées par des frictions, des tensions et des violences. Des rapports conflictuels, des déceptions émailleront , dès lors, les relations communes. Des tentatives de rapprochement, plus ou moins réussies, essaieront de jeter un pont entre les deux voisins.
Les deux pays, ont néanmoins, en commun, une jeunesse avide de changement.
Le devoir de mémoire entretenu presque religieusement au Maroc a cédé la place, en Algérie à une amnésie totale. Les héros d'hier, les frondeurs, ceux qui ont sacrifié leur vie pour l'idéal de la liberté sont dénigrés et oubliés. Les figures de proue du nationalisme algérien sont ensevelies. Le rejet du passé pour le pays voisin est une nécessité vitale, «un oubli qui est synonyme d'avenir». Au Maroc, bien au contraire, on ne cherche nullement à arrêter le temps mais à retrouver le temps. Dans ce sens, «l'Histoire marocaine s'entend comme unifiée, tandis que celle de l'Algérie se voit mutilée, tel un enchaînement de départs, de pertes, de déchirements», souligne Benjamin Stora. Mais en 1999, l'Algérie tente de se réconcilier avec son passé, réhabilite des figures dissidentes. Des discours et des gestes qui ont pour objectif la réorganisation de la mémoire collective «après quarante ans de confusion idéologique et de falsifications conscientes ou non». Au Maroc, avec l'avènement de S.M. Mohammed VI, de multiples initiatives sont prises. Elles visent à initier «un processus de repossession et de réparation des mémoires blessées». Des chroniques, des récits, des articles de presse et des bandes dessinées évoquent librement la répression et les sombres années. L'objectif étant non seulement de «tourner la page quand on l'aura écrite et lue», mais aussi d'interroger le passé, d'en connaître les moindres recoins. Ce débat est vital. il passerait, entre autres, par la publication des archives inédites, souvent détenues par des particuliers. «Il n' y aura pas de Maghreb sans une remise en circulation des fonds historiques», soutient Benjamin Stora. Ce retour serein vers le passé, cette interrogation volontaire des sources et cette écriture de l'Histoire, de part et d'autre, ne peut qu'augurer une volonté manifeste de regarder ensemble vers le même horizon. Le dépassement des conflits permettra au Maghreb de se présenter en tant qu'une entité homogène, forte politiquement et économiquement, car, assure Benjamin Stora, «nous nous dirigeons actuellement vers un Maghreb des régions».
Tarik Editions , 195 P.
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