Menu
Search
Mardi 23 Décembre 2025
S'abonner
close
Mardi 23 Décembre 2025
Menu
Search

Mécénat d'art : une collection prestigieuse

Tradition de la civilisation arabomusulmane, le mécénat culturel a été repris par l'entreprise citoyenne moderne. La BCM a été pionnière en ce domaine. La deuxième édition de son livre d'art présentant sa collection prestigieuse retrace toute l'histoire d

No Image
Le mécénat d'art est une noble et ancienne tradition de la civilisation arabomusulmane, car la création artistique y a été très tôt comprise comme étant une source d'élévation, un signe fondamental de développement. Aux premiers temps de cette civilisation a été perçue la force du lien entre art et Islam, entre le beau et le divin, et les activités artistique, intellectuelle, scientifique, culturelle, occupaient une place primordiale dans les préoccupations des nations. L'illustre savant Titus Ibrahim Azz Al-Dîn Burckhardt, qui a consacré toute sa vie à l'étude de l'art islamique en particulier, écrit : «La manifestation la plus extérieure d'une religion ou d'une civilisation comme celle de l'Islam -et l'art est par définition extériorisation- reflète à sa manière ce qu'il y a de plus intérieur à cette civilisation».
Avec le déclin de la civilisation arabomusulmane, l'art et la culture ont, dans les «projets de développement» été relégués au dernier plan, et ce désintérêt constitue plutôt un signe de sous-développement. Aujourd'hui l'entreprise «citoyenne» a pris conscience de cet état de fait et a intégré le mécénat culturel dans ses stratégies de communication et de développement. Au Maroc, c'est vraisemblablement la BCM (Banque Commerciale du Maroc) qui s'est révélée pionnière en ce domaine. Grâce à son Président Abdelaziz Alami, poète et grand amateur d'art, en particulier d'arts plastiques, la BCM a joué un rôle notoire dans le soutien de la création contemporaine. Depuis les années 70, les acquisitions régulières de l'institution, de plus en plus nombreuses et variées, ont investi tous ses bâtiments, siège et agences, au niveau de tous les étages, couloirs, bureaux, salles de réunion, offrant un cadre de travail ou l'art est, de manière exubérante et insolite, infiltré dans la vie professionnelle bancaire. En 1992 déjà la BCM possédait une des plus importantes collections du pays, qui a fait l'objet d'un livre d'art, dont la seconde édition vient d'être publiée, tenant compte des acquisitions de ces dix dernières années. Un magnifique ouvrage intitulé : «30 ans de mécénat, histoire d'une collection» composé d'illustrations des oeuvres de la collection et de textes de Farid Zahi et de Brahim Alaoui. Ecrivain, chercheur, traducteur, critique d'art, Docteur en études arabes et civilisations islamiques ainsi qu'en littérature moderne, Farid Zahi est auteur de deux essais en arabe, «Le récit et l'imaginaire» et «Le corps, l'image et le sacré en Islam». Quant à Brahim Alaoui, qui vit et travaille à Paris, il est formé en arts plastiques et en histoire de l'art. Chercheur au Musée d'Art Contemporain, puis directeur du Musée et des Expositions à l'Institut du Monde Arabe à Paris, il est co-auteur de plusieurs ouvrages collectifs et auteur de catalogues d'artistes notamment arabes. Par ses écrits et les expositions qu'il organise, il contribue très positivement à la promotion de l'art arabomusulman sur la scène artistique européenne.
Ce livre d'art qui décrit la collection de la BCM est en même temps un ouvrage de référence car, à travers les oeuvres de la collection, il retrace toute l'histoire de la peinture contemporaine marocaine, avec ses tendances et fortes individualités. Par cette sorte de rétrospective, il donne un riche aperçu de différentes expressions plastiques qui se sont épanouies dans notre pays, de leurs origines historiques, de leurs influences. Le livre démontre aussi l'apport incontestable du Maroc à l'art contemporain mondial.
Rétrospective de l'art contemporain

Au départ les acquisitions ont été portées sur les oeuvres des peintres étrangers épris de la lumière, de la vie quotidienne et des paysages marocains. Ainsi les premières pages de l'ouvrage montrent-elles des oeuvres de Jean de La Nazière, de Majorelle, d'Edy Legrand, de Jules Galand, d'Henry Pontois, de Jeronimo. Mais bientôt le choix de la BCM s'affirme pour l'art contemporain marocain. Car le Président de la BCM a vécu de près l'évolution de cet art, entretenant l'amitié avec la plupart des grands artistes, notamment avec le fondateur de l'art contemporain au Maroc, Jilali Gharbaoui, auquel un grand hommage est consacré dans la première édition du livre. Les grands artistes de cette première mouvance, personnalités fortes, authentiques, innovatrices et avant-gardistes, ont bénéficié du contexte motivant du lendemain de l'indépendance, d'une communication qualitative avec les intellectuels du pays et avec une bourgeoisie initiée aux arts. Cette mouvance artistique a été stimulée par des groupes de réflexion gravitant autour de l'école des Beaux-arts de Casablanca, et de publications spécialisées comme Intégral, Ichara ou Souffles. Et si ces peintres étaient retournés au Maroc chacun avec des influences des pays ou écoles où ils ont étudié, c'est le patrimoine traditionnel et la réflexion sur l'identité culturelle qui ont orienté leurs innovations et déterminé leur caractère avant-gardiste. Ils figurent tous dans la collection de la BCM. Le signe et le symbole, inspirés des tatouages, des dessins de hénné, de la poterie, de bijoux anciens,... sont illustrés par Cherkaoui, Belakahia, Hamidi, Nabili et d'autres. L'abstraction géométrique est représentée par des peintres comme Melehi, Chebaâ, Seffaj. On trouve aussi l'influence du discours identitaire arabe des années 70, sous l'influence de la peinture irakienne et palestinienne, qui ont suscité l'introduction dans la peinture marocaine de la calligraphie arabe comme élément plastique ; un langage adopté par des peintres comme Hariri, Qotbi,... Quant à l'abstraction gestuelle et lyrique, traces fulgurantes des mouvements de l'âme et des élans du corps, elle est exprimée par Gharbaoui, Kacimi, Bellamine, Hassani, Mohammed Bennani, Rabie,... Au-delà de ces courants, la collection représente la quasi-totalité des grands peintres marocains. Elle est enchantée par les anges, les génies et talismans d'Abouelouakar, on y entend le bruissement d'une forêt silencieuse et profonde de Yamou, on y est envoûté par l'univers mystérieux de Saladi, ... On y est aussi séduit par le travail de jeunes peintres comme Amina Bebouchta, Myriam Laâlej ou du sculpteur Sahbi.
La BCM a organisé un grand événement à l'occasion de la parution de son livre d'art, autour d'une exposition au sein de sa galerie Actua. Créée en 1996, celle-ci est devenue une espace incontournable de la vie artistique marocaine, où sont régulièrement organisés des expositions, divers événements culturels, notamment des concerts de musique traditionnelle, des conférences thématiques et des tables rondes de réflexion sur l'art.
Accrochage grandiose

Cette exposition d'Actua prolongée jusqu'au 15 mai, ayant pour thème la collection de la BCM et ses 30 ans de mécénat, présente tout d'abord un accrochage grandiose. Des toiles géantes parfois superposées habillent cet «espace aux lignes aériennes qui joue sur la transparence et la lumière», Comme le décrit Brahim Alaoui. Dès l'entrée, des grands formats de Kacimi, «traversé par un flux océanique qui libère ses désirs enfouis, associé à une pensée guidée par la ferveur de l'être», écrit Farid Zahi. Au fond vous saisit d'emblée une toile monumentale de Mohammed Bennani, vous engloutit dans des profondeurs marines en une sorte de vertige cosmique et méditatif. En avançant, deux oeuvres superposées de Bellamine intensifient la méditation. Dans un torrent de lumière compacte, recherchée «comme substance de l'être», écrit Farid Zahi, une forme parallélépipède, sur la toile supérieure semble converger vers la forme cubique de la toile en-dessous, qui fait penser à la Kaâba, «origine et centre», «comme une synthèse cristalline de la totalité de l'espace», selon la description de la Kaâba de Burckhardt. La toile du haut est intitulée «Tombeau d'Ibn Arabi». L'illustre savant iranien Seyyed Hossein Nasr avait écrit, après avoir visité le mausolée où est inhumé ce grand maître de la métaphysique quintessentielle du soufisme, Ibn Arabi : «(...) espace sacré qui, comme tout espace sacré, se fait l'écho du Centre (la Kaâba) et le reflet de l'Eternité sur l'image mouvante de l'existence périphérique». D'autres oeuvres sont à encore à découvrir dans cette exposition magistrale d'Actua.
Lisez nos e-Papers