Lapidaire et grinçante, elle résumait, à elle seule, l'état de cette région livrée à elle-même et à laquelle on avait tourné le dos. Six provinces marocaines – Oujda-Angad, Nador, Berkane, Taourirt, Jerada et Figuig occupant 7% du territoire national- et une côte maritime longue de 200 kilomètres, qui ne semblaient intéresser plus personne.
Pas même les natifs de l'Oriental. Et pour cause. Un peu plus de 33% des ressortissants marocains à l'étranger sont originaires de cette région. Et 38% parmi eux n'ont pas plus de 15 ans. “ En terme de taux net de migration à l'étranger, la région orientale bat tous les records avec 8,7 pour mille, contre seulement 1,6 au niveau national ”, précise laconiquement une monographie de la région, éditée en 1999.
L'Oriental n'existe pas dans les médias audiovisuels. Ou si peu. “ L'audiovisuel n'est pas national mais local. Il ne s'intéresse qu'à Rabat, Casablanca et parfois Fès ou Tanger ”, s'insurge le nouveau wali de Région de l'Oriental, Larbi Sabbari Hassani. Rompant avec la langue de bois jusque-là en vigueur chez les officiels, il s'élève contre cette injustice selon laquelle “toutes les actions menées ici par la société civile ne trouvent pas le moindre écho à la télévision ”.
Beaucoup plus pour gérer la misère que maîtriser l'ennui, la société civile Oujdi a choisi de prendre son destin en mains, de regarder ses propres maux pour mieux les appréhender et de se mobiliser contre la précarité, la détresse, le chômage. Alors les associations ont fleuri, comme dans un bon printemps. Pour que Oujda ne soit pas uniquement la ville aux 200 mosquées mais aussi porteuse de projets, d'idées, d'initiatives.
Pour Farid Chourak, le délégué général de l'Institut régional de coopération-développement, (IRCOD), “ il fallait occuper le terrain ”. Décryptée, l'expression signifie clairement pour notre interlocuteur que le social ne devait plus être la marque exclusive de certains courants.
IRCOD, institut créé dans la région de Champagne-Ardenne, en France, par Bernard Stasi, devenu depuis le médiateur de la République, met en place des projets co-financés par la France et Maroc et à destination des jeunes, dans la région de l'Oriental. L'une des fiertés de Farid Chourak, est l'espace professionnel féminin qui a ouvert 14 points à travers la région. A Oujda, ce sont une trentaine de jeunes femmes qui y suivent actuellement une formation en couture, broderie et passementerie.
L'IRCOD a tout pris en charge. “ Au bout de deux années, elles travaillent en production et leurs produits sont également en vente dans la boutique de l'espace. L'institut leur verse une prime d'insertion et à la fin du mois de janvier elles auront leur propre coopérative”, affirme cet homme d'association également tenté par une carrière politique.
Toutes ces jeunes femmes sont issues de milieux démunis et partagent la même volonté forte de vouloir s'en sortir. “ Rien n'était prévu pour cette catégorie de jeunes filles. Avec
l'IRCOD, elles peuvent désormais prétendre à sortir de la marginalité à laquelle elles étaient forcément condamnées ”. Du micro-crédit pouvant atteindre jusqu'à 50.000 DH, “nous l'avons fait bien avant la Fondation Zakoura ” au soutien apporté aux associations de jeunes entrepreneurs et industriels, l'IRCOD guette les jeunes aux bonnes idées qui ont de l'initiative.
“ Occuper le terrain ”
Occuper le terrain, c'est aussi le credo de la présidente de l'Association Espace-enfant, Salima Faraji.
Cette jeune femme blonde, avocate dans le civil, n'en finit pas de plaider pour que les enfants d'Oujda ne soient ni livrés ni à la rue ni embrigadés. Alors, l'association a construit un centre destiné aux enfants et adolescents de la ville grâce à des dons de bienfaiteurs. Avec une capacité d'accueil de 500 enfants et l'ambition d'ouvrir une dizaine d'espaces à travers la ville, ce centre qui a ouvert ses portes dans le quartier Al Qods comprend des ateliers de musique et de dessin et des terrains de foot et de basket. “ Il n'y a aucune vie culturelle à Oujda. Nous n'avons ni conservatoire ni théâtre. La ville s'est ruralisée. Résultat, l'enfant devenait une proie. L'Espace-enfant a l'ambition de sauver ces enfants par le sport et la culture”, s'exclame l'avocate qui s'enorgueillit d'avoir trouvé les fonds pour la construction d'un deuxième espace-enfant à Sdar Boumoud, sur la route de Jerada. A Oujda, la cité fondée par le chef de la tribu Maghroua, Ziri Ibn Attia, la ville de la musique Gharnati et du Mouloudya la société civile est partout. Et surtout là où le regard se détourne : les enfants de la rue, ceux abandonnés, les orphelins, les personnes âgées sans famille.
Les membres de l'association “Amal” se battent pour sauver les enfants de la rue, ceux que les programmes officiels préfèrent qualifier d'enfants en difficulté. Dans la région de l'Oriental, 90% des enfants de la rue “ sont des cas sociaux ”, en rupture avec leurs familles et réfugiés dans les vapeurs de la colle et des pots d'échappement.
A Bab Sidi Abdelouahab, le centre mis en place en 1998 par l'association accueille des adolescents âgés de 11 à 18 ans.
Ce sont en moyenne une trentaine de jeunes garçons qui y vivent en internes, bénéficiant de cours d'arabe, de français, de gymnastique et surtout de l'initiation à une formation professionnelle. “ Ils sont divisés en deux groupes. Ceux qui ont touché aux drogues et ceux qui n'ont pas encore sombré. Ils sont pris en main et nous essayons de les réintégrer dans la société. L'important est de leur donner un métier et dans 70% des cas, nous réussissons”, déclare Abderrazak Fizazi, le directeur du centre, mis à disposition par l'Entraide Nationale.
Fatiha Derrar est la première à le reconnaître. C'est une “querelleuse”. Et c'est toujours pour la bonne cause que la présidente de la section oujdie de la Ligue marocaine pour la protection de l'Enfance élève la voix, s'énerve, écrit pour revendiquer.
Ici, la bonne cause a un visage de bébés et d'enfants abandonnés. Dans la pouponnière, construite dans une aile de l'hôpital Farabi grâce aux bienfaiteurs, 25 enfants reprennent vie.
“Nous n'avons pas de budget. Heureusement que la société civile s'investit. C'est ainsi que nous pouvons nous procurer du lait, des couches, des tétines, des vêtements”, explique Mme Derrar. Le combat de cette femme tout feu tout flamme est aussi de trouver des familles d'accueil pour ces enfants abandonnés. Alors, son association se bat pour que les procédures de “kafala” soient plus rapides. “Nous avons réussi à placer 4 enfants handicapés dans les villages S.O.S . enfants”, dit-elle en regardant un jeune homme recroquevillé dans son lit. “ Lui, c'est Noureddine. Il est gravement handicapé. Cela fait 20 ans qu'il est avec nous et nous ne laisserons jamais partir. C'est un peu notre mascotte ”. La Société musulmane de bienfaisance (SMB) est probablement la doyenne de la société civile de la région.
Créée en 1928, ses membres – des notables de la ville - prennent en charge orphelins et personnes âgées. 43% du budget proviennent des fonds propres de la SMB qui a mis en place ses propres projets (magasins, hôtels, bazars) pour pouvoir mener à bien sa mission. Son orphelinat accueille 410 enfants dont 48 filles. Dès l'âge de 7 ans et jusqu'à l'obtention du baccalauréat, ils sont entièrement pris en charge. “ Ils restent chez nous en moyenne 15 ans et s'en vont tous avec un diplôme en poche ”, soutient le directeur de l'orphelinat. La maison des vieux du quartier Oued Nachaf accueille, elle, 170 pensionnaires.
En l'absence de subventions et encadrement de l'Etat, la SMB a pris à bras le corps la détresse de ces personnes âgées, parfois abandonnées par leurs familles ou livrées à elles-mêmes dans la rue. Rabéa est la plus ancienne. Cela fait 50 ans qu'elle vit ici, du temps où la maison des vieux était aménagée dans les abattoirs de la ville. “ Les conditions d'hébergement ont bien changé. Que Dieu préserve les Mouhssinine ”, témoigne-t-elle.
Pas même les natifs de l'Oriental. Et pour cause. Un peu plus de 33% des ressortissants marocains à l'étranger sont originaires de cette région. Et 38% parmi eux n'ont pas plus de 15 ans. “ En terme de taux net de migration à l'étranger, la région orientale bat tous les records avec 8,7 pour mille, contre seulement 1,6 au niveau national ”, précise laconiquement une monographie de la région, éditée en 1999.
L'Oriental n'existe pas dans les médias audiovisuels. Ou si peu. “ L'audiovisuel n'est pas national mais local. Il ne s'intéresse qu'à Rabat, Casablanca et parfois Fès ou Tanger ”, s'insurge le nouveau wali de Région de l'Oriental, Larbi Sabbari Hassani. Rompant avec la langue de bois jusque-là en vigueur chez les officiels, il s'élève contre cette injustice selon laquelle “toutes les actions menées ici par la société civile ne trouvent pas le moindre écho à la télévision ”.
Beaucoup plus pour gérer la misère que maîtriser l'ennui, la société civile Oujdi a choisi de prendre son destin en mains, de regarder ses propres maux pour mieux les appréhender et de se mobiliser contre la précarité, la détresse, le chômage. Alors les associations ont fleuri, comme dans un bon printemps. Pour que Oujda ne soit pas uniquement la ville aux 200 mosquées mais aussi porteuse de projets, d'idées, d'initiatives.
Pour Farid Chourak, le délégué général de l'Institut régional de coopération-développement, (IRCOD), “ il fallait occuper le terrain ”. Décryptée, l'expression signifie clairement pour notre interlocuteur que le social ne devait plus être la marque exclusive de certains courants.
IRCOD, institut créé dans la région de Champagne-Ardenne, en France, par Bernard Stasi, devenu depuis le médiateur de la République, met en place des projets co-financés par la France et Maroc et à destination des jeunes, dans la région de l'Oriental. L'une des fiertés de Farid Chourak, est l'espace professionnel féminin qui a ouvert 14 points à travers la région. A Oujda, ce sont une trentaine de jeunes femmes qui y suivent actuellement une formation en couture, broderie et passementerie.
L'IRCOD a tout pris en charge. “ Au bout de deux années, elles travaillent en production et leurs produits sont également en vente dans la boutique de l'espace. L'institut leur verse une prime d'insertion et à la fin du mois de janvier elles auront leur propre coopérative”, affirme cet homme d'association également tenté par une carrière politique.
Toutes ces jeunes femmes sont issues de milieux démunis et partagent la même volonté forte de vouloir s'en sortir. “ Rien n'était prévu pour cette catégorie de jeunes filles. Avec
l'IRCOD, elles peuvent désormais prétendre à sortir de la marginalité à laquelle elles étaient forcément condamnées ”. Du micro-crédit pouvant atteindre jusqu'à 50.000 DH, “nous l'avons fait bien avant la Fondation Zakoura ” au soutien apporté aux associations de jeunes entrepreneurs et industriels, l'IRCOD guette les jeunes aux bonnes idées qui ont de l'initiative.
Occuper le terrain, c'est aussi le credo de la présidente de l'Association Espace-enfant, Salima Faraji.
Cette jeune femme blonde, avocate dans le civil, n'en finit pas de plaider pour que les enfants d'Oujda ne soient ni livrés ni à la rue ni embrigadés. Alors, l'association a construit un centre destiné aux enfants et adolescents de la ville grâce à des dons de bienfaiteurs. Avec une capacité d'accueil de 500 enfants et l'ambition d'ouvrir une dizaine d'espaces à travers la ville, ce centre qui a ouvert ses portes dans le quartier Al Qods comprend des ateliers de musique et de dessin et des terrains de foot et de basket. “ Il n'y a aucune vie culturelle à Oujda. Nous n'avons ni conservatoire ni théâtre. La ville s'est ruralisée. Résultat, l'enfant devenait une proie. L'Espace-enfant a l'ambition de sauver ces enfants par le sport et la culture”, s'exclame l'avocate qui s'enorgueillit d'avoir trouvé les fonds pour la construction d'un deuxième espace-enfant à Sdar Boumoud, sur la route de Jerada. A Oujda, la cité fondée par le chef de la tribu Maghroua, Ziri Ibn Attia, la ville de la musique Gharnati et du Mouloudya la société civile est partout. Et surtout là où le regard se détourne : les enfants de la rue, ceux abandonnés, les orphelins, les personnes âgées sans famille.
Les membres de l'association “Amal” se battent pour sauver les enfants de la rue, ceux que les programmes officiels préfèrent qualifier d'enfants en difficulté. Dans la région de l'Oriental, 90% des enfants de la rue “ sont des cas sociaux ”, en rupture avec leurs familles et réfugiés dans les vapeurs de la colle et des pots d'échappement.
A Bab Sidi Abdelouahab, le centre mis en place en 1998 par l'association accueille des adolescents âgés de 11 à 18 ans.
Ce sont en moyenne une trentaine de jeunes garçons qui y vivent en internes, bénéficiant de cours d'arabe, de français, de gymnastique et surtout de l'initiation à une formation professionnelle. “ Ils sont divisés en deux groupes. Ceux qui ont touché aux drogues et ceux qui n'ont pas encore sombré. Ils sont pris en main et nous essayons de les réintégrer dans la société. L'important est de leur donner un métier et dans 70% des cas, nous réussissons”, déclare Abderrazak Fizazi, le directeur du centre, mis à disposition par l'Entraide Nationale.
Fatiha Derrar est la première à le reconnaître. C'est une “querelleuse”. Et c'est toujours pour la bonne cause que la présidente de la section oujdie de la Ligue marocaine pour la protection de l'Enfance élève la voix, s'énerve, écrit pour revendiquer.
Ici, la bonne cause a un visage de bébés et d'enfants abandonnés. Dans la pouponnière, construite dans une aile de l'hôpital Farabi grâce aux bienfaiteurs, 25 enfants reprennent vie.
“Nous n'avons pas de budget. Heureusement que la société civile s'investit. C'est ainsi que nous pouvons nous procurer du lait, des couches, des tétines, des vêtements”, explique Mme Derrar. Le combat de cette femme tout feu tout flamme est aussi de trouver des familles d'accueil pour ces enfants abandonnés. Alors, son association se bat pour que les procédures de “kafala” soient plus rapides. “Nous avons réussi à placer 4 enfants handicapés dans les villages S.O.S . enfants”, dit-elle en regardant un jeune homme recroquevillé dans son lit. “ Lui, c'est Noureddine. Il est gravement handicapé. Cela fait 20 ans qu'il est avec nous et nous ne laisserons jamais partir. C'est un peu notre mascotte ”. La Société musulmane de bienfaisance (SMB) est probablement la doyenne de la société civile de la région.
Créée en 1928, ses membres – des notables de la ville - prennent en charge orphelins et personnes âgées. 43% du budget proviennent des fonds propres de la SMB qui a mis en place ses propres projets (magasins, hôtels, bazars) pour pouvoir mener à bien sa mission. Son orphelinat accueille 410 enfants dont 48 filles. Dès l'âge de 7 ans et jusqu'à l'obtention du baccalauréat, ils sont entièrement pris en charge. “ Ils restent chez nous en moyenne 15 ans et s'en vont tous avec un diplôme en poche ”, soutient le directeur de l'orphelinat. La maison des vieux du quartier Oued Nachaf accueille, elle, 170 pensionnaires.
En l'absence de subventions et encadrement de l'Etat, la SMB a pris à bras le corps la détresse de ces personnes âgées, parfois abandonnées par leurs familles ou livrées à elles-mêmes dans la rue. Rabéa est la plus ancienne. Cela fait 50 ans qu'elle vit ici, du temps où la maison des vieux était aménagée dans les abattoirs de la ville. “ Les conditions d'hébergement ont bien changé. Que Dieu préserve les Mouhssinine ”, témoigne-t-elle.
