En ce qui concerne la société civile, sa présence est récente et on peut dire que par rapport au patrimoine, seul globalement le mécénat, un des volets de la société civile, a pu agir d'une manière remarquable dans ce domaine.
Comment alors dynamiser cette société civile dans sa mission de défense du patrimoine ?
I - Société civile, patrimoine et mécénat
1 - Attardons-nous d'abord à l'évolution de la société civile.
Une société civile ne peut éclore et s'épanouir que dans une société démocratique ou au moins en voie de démocratisation, ce qui est le cas du Maroc.
Il ne me semble pas en effet qu'il ai t existé une véritable société civile dans les pays soviétiques dits socialistes, ni dans les dictatures militaires, ni dans les pays à système de parti unique … l'Etat étant le seul détenteur de l'intérêt général et cette prérogative, il ne la partage pas.
Chaque fois que l'on aborde la viabilité, la force ou l'avenir de la société civile, ce problème est posé vis-à-vis de l'Etat : par rapport à la sphère de compétence et d'autorité de celui-ci et par rapport aussi à la capacité de modernisation de notre Etat. Toutes ces questions, qui pourraient être posées de plusieurs manières, se ramènent en fait à la définition de la mission d'un Etat moderne, tel que le souhaitent les citoyens et les citoyennes.
Il ne s'agit pas d'une digression dans l'air du temps. Il s'agit en fait, pour le patrimoine, de poser la question de la relation entre la culture d'une manière générale et la société civile, relation qui s'inscrit dans le processus démocratique et le processus de modernisation de l'Etat.
2 - Nous savons par ailleurs que le phénomène de mondialisation et de libéralisation des flux financiers, économiques et cultures, n'aboutit pas forcément à réduire les pouvoirs de l'Etat, mais en fait, à redéfinir qualitativement le rôle de l'Etat.
Au lieu d'un Etat gestionnaire de tout, c'est un Etat qui définit les stratégies et laisse les différents acteurs et forces du pays se prendre en charge, donc une libération des énergies et une redistribution des rôles. La société civile implique ainsi les citoyens, au niveau de la commune, de la ville et même du quartier.
La relation patrimoine/société civile est forte et prometteuse, car on commence à comprendre que la défense du patrimoine est l'affaire de tous et qu'il y a lieu de redistribuer les cartes. Cet intérêt pour le patrimoine, cette défense du patrimoine, est une forme de solidarité ; il appartient à la société civile dans son ensemble d'exercer cette solidarité, avec le concours de l'Etat et des collectivités territoriales.
Cet exposé sur la relation patrimoine/société civile s'insère donc dans cet esprit parce que nous pensons que c'est la construction d'une société responsable qui s'imposera de plus en plus en ce début du XXIe siècle.
Il est apparu ces dernières années que même les Etats démocratiques et développés, donc les nations les plus riches, n'ont plus les moyens financiers pour faire face à toutes les actions culturelles, patrimoine compris. Dans ces pays, des appels furent lancés en direction de partenaires de la société civile et du secteur économique privé : le mécénat d'entreprise ou de particuliers fortunés, ainsi que le mouvement associatif, contribuent de plus en plus à la conservation et à la valorisation du patrimoine.
3 - Je rappelle aussi que notre pays a vécu pendant longtemps, du Protectorat au début des années 90, une situation «colbertiste» et «jacobine» due à l'influence française, à savoir que les actions en faveur du patrimoine étaient l'affaire de l'Etat seul et que tout se décidait à Rabat.
Je m'empresse de préciser que les Français ont fait évoluer leur système d'une manière remarquable grâce aux réformes portant sur la décentralisation et aux partenariats construits avec le secteur économique privé, L'Union européenne a accentué ce mouvement de libéralisation.
Donc, je disais que dès les débuts des années 90, l'Administration, au Maroc, a commencé à modifier sa position, en permettant à des institutions privées d'entreprendre des actions de sauvegarde du patrimoine, le tout bien entendu, sous la direction scientifique et technique des affaires culturelles.
L'exemple le plus édifiant et probablement le premier dans son genre, est la restauration d'un monument d'une rare symbolique; la mosquée de Tinmel. Par une convention précisant les droits et devoirs de chacune des parties, le ministère des Affaires culturelles a autorisé la Fondation ONA à gérer et à financer directement les travaux de restauration ; cette Fondation a aussi édité un livre et coproduit avec 2M un film. Dans cette opération, l'Administration innovait dans une démarche moderniste et efficace - de son côté, une entreprise privée trouvait là, le privilège de se montrer citoyenne et de récolter un retour d'image exceptionnel.
Mon propos n'est pas de demander à l'Etat de se désengager de ses principales prérogatives en faveur de la société civile - mais que l'Etat soit une sorte de chef d'orchestre de la politique du patrimoine, qu'il définisse la politique et la stratégie du pays en matière de patrimoine - cependant démocratie oblige, l'Etat devra associer à ses réalisations les composantes de la société civile - cette démarche démocratique est dans l'hypothèse où l'Etat aurait les moyens humains et financiers de faire face à tout.
4 - Pour le patrimoine, le mécénat, à notre avis, est la composante de la société civile la plus prometteuse. Le mécénat n'a jamais cessé de montrer un intérêt certain pour le patrimoine.
L'entreprise, au delà de son rôle de produire des biens et des services, cherche, par le biais du mécénat, à montrer sa citoyenneté en contribuant financièrement à la sauvegarde de certains patrimoines. Cette notions d'entreprise citoyenne est d'origine américaine et a connu depuis la fin de la guerre une véritable universalisation. Il est à souligner cependant que l'entreprise qui intègre correctement le mécénat moderne est celle qui en fait un acte de gestion, donc elle l'inscrit dans sa stratégie de communication, laquelle est définie dans le cadre de sa stratégie globale, parce que l'improvisation, les opérations «coups de poing» et le mécénat «danseuse du président» ne sont pas compatibles avec la philosophie du mécénat. Et si aucune contrepartie immédiate n'est recherchée comme dans le sponsoring, le retour d'image, la notoriété dans la durée, sont nécessaires pour une politique de mécénat pérenne.
D'ailleurs le fisc n'admettrait pas qu'il n'y ait aucune contrepartie : ce serait une opération qualifiée d'abus de biens sociaux.
5 - Le mécénat en faveur du patrimoine est aussi l'œuvre de particuliers fortunés qui peuvent y trouver une notoriété sociale très valorisante. Ceci est d'autant plus vrai que dans nos racines, ce type de mécénat a accompagné notre Histoire, notamment dans les moments de prospérité et de stabilité.
Ceci est illustré par les Habous, institution qui fut centralisatrice des fonds des mécènes, quand dans le passé, la gestion des villes comme Fès et Marrakech était le fait des fondations Habous : gestion de l'eau, des égouts, des écoles, des bibliothèques, des hôpitaux, de l'aide aux nécessiteux, et. Le raffinement de cette institution est allée jusqu'à la création à Marrakech et à Fès de fondations pour soigner les oiseaux blessés ou malades, particulièrement les cigognes.
6 - Pour en revenir au mécénat moderne, à l'égard du patrimoine, il constitue un gisement exceptionnel. Les mécènes, entreprises ou particuliers, outre les motivations de citoyenneté qui peuvent les animer, sont surtout conscients de l'énorme capital de notoriété que constitue une action en faveur du patrimoine.
- Depuis près de 10 ans, le ministère de la Culture a montré sa disponibilité pour ces opérations en faveur du patrimoine. Rendons hommage à la nouvelle ouverture de cette administration et à la disponibilité et à la compétence de ses responsables. Si j'en parle en termes flatteurs, c'est que j'ai eu à pratiquer cette administration, quand j'étais en charge du secteur du mécénat du Groupe ONA, et ce à l'occasion de l'un des plus beaux et l'un des plus délicats dossiers, celui de la restauration de la Mosquée de Tinmel.
Les exemples de mécénat touchant au patrimoine se sont multipliés ces dernières années. On en parlera peut-être au moment des débats.
Je voudrais juste avant de passer au second point préciser une évolution qu'il faudrait encourager, notamment du côté des pouvoirs publics : nous avons dans notre pays de nombreux collectionneurs - il s'agit-là d'un patrimoine invisible. Il est fort regrettable que la communauté nationale n'en profite pas. La démarche consisterait à encourager ces collectionneurs à mettre ce patrimoine en valeur, à leurs propres frais, se transformant ainsi en mécènes. L'exemple de la restauration de Dar Mnebhi à Marrakech et sa transformation en musée alimenté par le fonds d'œuvres du mécène est de bon augure.
II. - Comment dynamiser la société civile dans la défense du patrimoine ?
1 - Le partenariat
Une vraie et grande politique du patrimoine ne pourrait réussir que si elle associe les divers acteurs politiques, économiques, sociaux et culturels du pays - et ceci pour deux raisons majeures :
- 1ère raison : le patrimoine appartient à tous. Il est normal que cette politique soit expliquée aux citoyens - donc au-delà de la conservation, c'est la valorisation aussi qui doit être visée, valorisation qui mettra le patrimoine à la disposition du citoyen. Il ne s'agit plus de quelque chose de confidentiel et qui est réservée aux seuls conservateurs et chercheurs.
- 2ème raison : en impliquant les divers acteurs et notamment la société civile, une opinion se formera progressivement en faveur d'une meilleure gestion du patrimoine. La société civile jouera le rôle de groupe de pression qui aidera les administrations concernées à mieux défendre les projets et les dossiers tant au niveau gouvernemental qu'au niveau parlementaire. Un courant de sympathie et d'appui se dégagera ainsi en faveur de la valorisation du patrimoine et dont devront tenir compte les politiques.
L'irruption de la société civile dans le champ de la culture ne suffit pas en soi-même - il faut au minimum d'organisation - comme pour le mécénat, autre volet de la société civile, le cadre d'organisation est l'association ou la fondation.
A notre avis, il faut susciter la création d'associations locales, puis régionales qui s'organiseront en véritable réseau international.
Je pense que dans notre pays, le partenariat est la solution la plus constructive : l'Etat, le mouvement associatif, les collectivités locales, les acteurs économiques…, peuvent construire des partenariats pour une meilleure connaissance et une meilleure valorisation du patrimoine. Ce réseau serait un relais d'information précieux. Grâce à ce réseau, des appels à la générosité publique pourraient contribuer partiellement au financement de certaines opérations. Ce système existe d'ailleurs dans plusieurs pays développés.
Cependant, pour les actions importantes, et toujours sur le plan du partenariat, il peut être envisagé 2 formules :
- 1ère formule : pour certains sites exceptionnels qui exigent, soit pour la recherche, soit pour la gestion, soit pour la valorisation, des moyens importants et durables, alors que les moyens budgétaires sont insuffisants, on pourrait concevoir la mise en place de véritables fondations nationales : je verrais bien, par exemple, une fondation nationale pour Chellah et une autre pour Volubilis. Ces fondations nationales, créées par voie législative et non dans le cadre du dahir de 1958, seraient basées sur le principe du partenariat. Leur aspect à la fois national et privé, permettra de conjuguer la défense de l'intérêt général et une gestion plus efficace, une valorisation optimale. L'Etat restera bien entendu le pivot et le garant de cette opération. L'exemple de la Scala de Milan est édifiant : institution très chère au cœur des Italiens, et d'une notoriété exceptionnelle sur le plan international, elle a intégré depuis quelques années, une fondation nationale créée à cet effet, pour la gérer et où l'Etat italien n'a conservé que 40 % des parts - le reste ayant été acquis par des mécènes institutionnels, privés et particuliers. La gestion nouvelle se fait à la satisfaction de tous.
De plus, ces fondations nationales à créer, dès qu'elles acquerront une notoriété certaine, pourraient bénéficier de l'aide d'ONG internationales. De plus en plus, les ONG préfèrent aider directement les institutions de la société civile.
- La 2ème formule : c'est celle des fondations reconnues d'utilité publique, émanant souvent de l'entreprise ou de particuliers fortunés. Associées à la société civile par le biais du tissu associatif, elles prennent en charge des actions de patrimoine, et les exemples existent.
Deux points cependant sont à préciser :
- L'Etat devra constituer une banque de projets dans le domaine du patrimoine. Les candidatures ne manqueront pas. Si les dossiers sont prêts, il ne reste à la fondation qu'à calculer le coût financier et les modalités de réalisation. A elle de mettre en place sa stratégie de communication.
- Pour certains patrimoines, l'Administration serait bien inspirée d'encourager la formule d'implication de la fondation dans l'après-restauration. Cette idée a été déjà testée avec succès, notamment pour Foundouk Nejjarine et Dar El Mnebhi. Ces deux patrimoines, après leur restauration et après accord des Affaires culturelles, ont été transformés en musées, gérés par les fondations qui les avaient restaurés. Il s'agit de deux exemples à s'inscrire à l'actif de l'Administration.
L'existence souhaitable des fonctions entraîne deux conséquences importantes:
- elles allègent, au niveau de l'Administration, le poids budgétaire ou permettent une meilleure ventilation des ressources budgétaires;
- elles font du partenariat un instrument de développement culturel. Le partenariat est un jalon positif dans la construction démocratique de notre pays.
Sans tomber dans un consensus béat, je pense qu'il permet d'associer un grand nombre d'acteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle. On peut parler d'un espace de cohésion sociale.
Il serait souhaitable dans cette logique qu'il y ait un conseil des sages, une sorte de conseil d'orientation qui ne soit pas un nouvel échelon de décision qui ne ferait qu'accentuer les aspects bureautiques : “le conseil national du patrimoine” organisme de débats et de concertation. J'ouvre ici une parenthèse pour un commentaire d'ordre général : je veux parler de l'inexistence dans notre droit et dans notre jurisprudence de définition juridique de la “fondation” et du “mécénat”. Or la fondation est un cadre juridique essentiel au développement de la société civile (surtout quand il s'agit d'opérations importantes).
En corrélation à ceci, l'octroi de la reconnaissance du caractère d'utilité publique est rare et cette reconnaissance est à la discrétion totale du pouvoir exécutif. Or c'est une position qui n'est pas démocratique. La loi devrait définir les conditions d'accès à cette reconnaissance- ceci afin que la société civile et notamment les mécènes, puissent agir dans la plus grande transparence.
2- L'éducation
Le tissu associatif dont nous parlons concerne essentiellement le monde adulte. La sensibilisation au patrimoine doit cependant toucher nos enfants dès leur première scolarité : l'enfant, c'est le monde de demain. L'enfant doit être la cible essentielle, car le monde de demain doit connaître le monde d'hier, c'est-à-dire notre Histoire, notre patrimoine.
Il s'agit d'amener l'enfant, au sein de la famille et au sein de l'école, à prendre conscience de l'importance des symboles, des enseignements que peuvent représenter les divers volets du patrimoine. Le contenu pédagogique pourrait être défini dans le cadre du Conseil national du patrimoine, en collaboration avec l'éducation nationale.
Au sein de son environnement familial et personnel, l'enfant devient un excellent vecteur de sensibilisation au patrimoine et de respect du patrimoine.
3- La communication
Elle est essentielle dans le domaine de la culture. Que peut faire la culture sans la mise en place des moyens de communication ? Le savoir-faire du faire-savoir doit être développé et maîtrisé.
Ainsi, pour sensibiliser la société civile et pour que celle-ci relaie le message, un certain nombre de proposition :
- Organisation annuelle de deux journées du patrimoine :
- Une sur le plan national : portes ouvertes des musées et des monuments nationaux, visites commentées, programmes spéciaux dans les radios et télévisions, affiches nationales, discours-programme du ministre de la culture, conférences civile, des entreprises et des mécènes...
- Une 2e journée en pleine année scolaire : une journée entière serait consacrée à l'éveil et à l'initiation au patrimoine avec 2 niveaux dans le primaire et 2 niveaux dans le 1er cycle du secondaire. Il reste évident que les enseignants doivent être préparés à cette journée. Je pense que les enseignants pourrait recevoir une mini formation sur le patrimoine pendant leurs stages et séminaires habituels.
- Il faut aussi développer la production audiovisuelle pour faire connaître d'une manière vivante et interactive notre patrimoine. La société civile interviendrait pour organiser et animer des réunions autour de chaque production.
- Susciter l'édition d'un magazine sur le patrimoine : trimestriel, tendant vers un rythme mensuel. La rédaction sera ouverte à l'ensemble des acteurs de la société civile et aux experts.
4- Le musée virtuel
Un projet que je considère comme particulièrement important, est la création d'un musée virtuel du patrimoine.
Pour expliquer ce concept, partons d'un constat : le Maroc n'a pas les moyens de se doter d'un musée comme Le Louvre, ou le Prado, ou les Offices de Florence; d'un autre côté, les Marocains, dans leur majorité, n'ont pas la possibilité de voyager à l'étranger pour visiter ces grands temples du patrimoine mondial.
Est-il normal que les Marocains en soient privés ? Non, bien sûr. Il est heureux cependant que les technologies avancées permettent d'apporter une solution à cette question. En effet, la plupart des grands musées ont réalisé des productions, soit sur CD-Rom, soit sur l'Internet. Il est donc tout à fait possible que dans le cadre d'espaces appelés musées virtuels, on puisse mettre en place les équipements nécessaires et acquérir les productions. Il est possible aussi, tout en respectant les réglementations nationales et internationales, acheter les droits et créer un site Internet centralisateur qui diffusera en direction des espaces régionaux.
En ce qui concerne le patrimoine national, ces musées virtuels auront besoin de productions dans ce domaine. C'est là où le partenariat pourra rendre un service certain : si, par exemple, pour le patrimoine local, les collectivités locales et régionales, s'associent à la société civile, cherchent des mécènes, sollicitent l'aide de l'Etat, surtout en ressources humaines, et obtiennent le concours des médias, les actions en faveur du patrimoine pourraient se multiplier et créer de nombreux emplois.
Le concept de musée virtuel est une fenêtre sur notre patrimoine national, sur le patrimoine arabo-musulman et sur le patrimoine de l'humanité. C'est surtout un concept qui, s'il est mené intelligemment, accepte un démarrage modeste avec une montée en puissance, selon les moyens disponibles du moment.
Instrument moderne, utilisant des technologies avancées et aisées à manipuler, attractif pour les jeunes générations, le musée virtuel peut aussi bénéficier des aides internationales publiques et privées.
Il n'est pas le concurrent des musées réels mais un précieux complément pour connaître notre patrimoine et celui des autres civilisations;
5- Le tourisme culturel
Dans un autre domaine, la société civile est appelée à jouer un rôle intéressant en faveur du patrimoine. La méconnaissance de la réalité de notre patrimoine, l'insuffisance de l'information dans ce domaine, devraient amener certaines sphères du mouvement associatif à développer le tourisme culturel. Par ailleurs, les écoles, notamment, grâce à l'aide des collectivités territoriales, des associations, des entreprises, des mécènes et des bénévoles, pourront organiser les circuits culturels spécialises dans le patrimoine. Nos enfants encadrés par des enseignants, par des fonctionnaires de la culture, par des bénévoles amateurs de patrimoine - nos enfants, donc, auront le contact direct avec notre mémoire : ainsi, une information sur le terrain leur est donnée, et, éventuellement enrichie avant ou après par la consultation du musée virtuel.
6 - Le patrimoine récent
Un dernier point à exposer, mais brièvement : il s'agit du patrimoine récent. On a tendance à l'oublier ou à l'ignorer volontairement, alors que par certains aspects, il est d'une grande richesse.
Des secteurs à signaler d'inégale importance :
- Le patrimoine architectural de la première moitié du XXe siècle. Il est de notoriété, par exemple, que Casablanca abrite des trésors architecturaux parmi les plus riches du début du XXe siècle. L'importance de cette richesse est attestée même à l'échelle internationale. Notre métropole économique a été, un moment donné, un véritable laboratoire de l'architecture moderne. Je ne peux pas vous en dire plus, n'ayant aucune compétence dans ce domaine, mais je peux vous dire que la société civile est très active dans ce domaine, notamment au niveau d'une association fondée et dirigée par l'architecte Andalousie. Des trésors ont disparu et d'autres, très nombreux, risquent de fortes dégradations et même la démolition. J'espère que dans le cadre de ces débats, des architectes pourraient nous en parler.
- Le patrimoine industriel : même s'il est récent, notre patrimoine industriel mérite qu'on lui porte de l'intérêt. Une législation devrait protéger certains sites et prévoir les conditions de démolition.
N'étant pas spécialiste de cette question particulière, je me hasarderai simplement à formuler quelques commentaires :
- La destruction de la totalité de l'ancienne usine Lafarge à l'entrée de Casablanca est fort regrettable. Une partie, surtout les cheminées et les hangars, auraient pu être confiées à une équipe de créateurs, pour concevoir un espace de liberté et de création artistiques, une sorte de parc des sciences et de l'industrie, type la Villette à Paris.
- N'existe-t-il pas des sites industriels du XIXe siècle ? Je pense notamment à l'arsenal de Fès ou à la sucrerie de Marrakech.
- N'existe-t-il plus des patrimoines à préserver de la destruction parce qu'il n'y a plus d'exploitation industrielle ou minière : anciennes installations de l'OCP, de Jerrada, ou d'autres sites miniers et industriels ?
- Ne faudrait-il pas procéder, en partenariat avec les entreprises propriétaires, à un inventaire et voir ce qui peut être sauvegardé ou restauré en «monument» ?
Comment alors dynamiser cette société civile dans sa mission de défense du patrimoine ?
I - Société civile, patrimoine et mécénat
1 - Attardons-nous d'abord à l'évolution de la société civile.
Une société civile ne peut éclore et s'épanouir que dans une société démocratique ou au moins en voie de démocratisation, ce qui est le cas du Maroc.
Il ne me semble pas en effet qu'il ai t existé une véritable société civile dans les pays soviétiques dits socialistes, ni dans les dictatures militaires, ni dans les pays à système de parti unique … l'Etat étant le seul détenteur de l'intérêt général et cette prérogative, il ne la partage pas.
Chaque fois que l'on aborde la viabilité, la force ou l'avenir de la société civile, ce problème est posé vis-à-vis de l'Etat : par rapport à la sphère de compétence et d'autorité de celui-ci et par rapport aussi à la capacité de modernisation de notre Etat. Toutes ces questions, qui pourraient être posées de plusieurs manières, se ramènent en fait à la définition de la mission d'un Etat moderne, tel que le souhaitent les citoyens et les citoyennes.
Il ne s'agit pas d'une digression dans l'air du temps. Il s'agit en fait, pour le patrimoine, de poser la question de la relation entre la culture d'une manière générale et la société civile, relation qui s'inscrit dans le processus démocratique et le processus de modernisation de l'Etat.
2 - Nous savons par ailleurs que le phénomène de mondialisation et de libéralisation des flux financiers, économiques et cultures, n'aboutit pas forcément à réduire les pouvoirs de l'Etat, mais en fait, à redéfinir qualitativement le rôle de l'Etat.
Au lieu d'un Etat gestionnaire de tout, c'est un Etat qui définit les stratégies et laisse les différents acteurs et forces du pays se prendre en charge, donc une libération des énergies et une redistribution des rôles. La société civile implique ainsi les citoyens, au niveau de la commune, de la ville et même du quartier.
La relation patrimoine/société civile est forte et prometteuse, car on commence à comprendre que la défense du patrimoine est l'affaire de tous et qu'il y a lieu de redistribuer les cartes. Cet intérêt pour le patrimoine, cette défense du patrimoine, est une forme de solidarité ; il appartient à la société civile dans son ensemble d'exercer cette solidarité, avec le concours de l'Etat et des collectivités territoriales.
Cet exposé sur la relation patrimoine/société civile s'insère donc dans cet esprit parce que nous pensons que c'est la construction d'une société responsable qui s'imposera de plus en plus en ce début du XXIe siècle.
Il est apparu ces dernières années que même les Etats démocratiques et développés, donc les nations les plus riches, n'ont plus les moyens financiers pour faire face à toutes les actions culturelles, patrimoine compris. Dans ces pays, des appels furent lancés en direction de partenaires de la société civile et du secteur économique privé : le mécénat d'entreprise ou de particuliers fortunés, ainsi que le mouvement associatif, contribuent de plus en plus à la conservation et à la valorisation du patrimoine.
3 - Je rappelle aussi que notre pays a vécu pendant longtemps, du Protectorat au début des années 90, une situation «colbertiste» et «jacobine» due à l'influence française, à savoir que les actions en faveur du patrimoine étaient l'affaire de l'Etat seul et que tout se décidait à Rabat.
Je m'empresse de préciser que les Français ont fait évoluer leur système d'une manière remarquable grâce aux réformes portant sur la décentralisation et aux partenariats construits avec le secteur économique privé, L'Union européenne a accentué ce mouvement de libéralisation.
Donc, je disais que dès les débuts des années 90, l'Administration, au Maroc, a commencé à modifier sa position, en permettant à des institutions privées d'entreprendre des actions de sauvegarde du patrimoine, le tout bien entendu, sous la direction scientifique et technique des affaires culturelles.
L'exemple le plus édifiant et probablement le premier dans son genre, est la restauration d'un monument d'une rare symbolique; la mosquée de Tinmel. Par une convention précisant les droits et devoirs de chacune des parties, le ministère des Affaires culturelles a autorisé la Fondation ONA à gérer et à financer directement les travaux de restauration ; cette Fondation a aussi édité un livre et coproduit avec 2M un film. Dans cette opération, l'Administration innovait dans une démarche moderniste et efficace - de son côté, une entreprise privée trouvait là, le privilège de se montrer citoyenne et de récolter un retour d'image exceptionnel.
Mon propos n'est pas de demander à l'Etat de se désengager de ses principales prérogatives en faveur de la société civile - mais que l'Etat soit une sorte de chef d'orchestre de la politique du patrimoine, qu'il définisse la politique et la stratégie du pays en matière de patrimoine - cependant démocratie oblige, l'Etat devra associer à ses réalisations les composantes de la société civile - cette démarche démocratique est dans l'hypothèse où l'Etat aurait les moyens humains et financiers de faire face à tout.
4 - Pour le patrimoine, le mécénat, à notre avis, est la composante de la société civile la plus prometteuse. Le mécénat n'a jamais cessé de montrer un intérêt certain pour le patrimoine.
L'entreprise, au delà de son rôle de produire des biens et des services, cherche, par le biais du mécénat, à montrer sa citoyenneté en contribuant financièrement à la sauvegarde de certains patrimoines. Cette notions d'entreprise citoyenne est d'origine américaine et a connu depuis la fin de la guerre une véritable universalisation. Il est à souligner cependant que l'entreprise qui intègre correctement le mécénat moderne est celle qui en fait un acte de gestion, donc elle l'inscrit dans sa stratégie de communication, laquelle est définie dans le cadre de sa stratégie globale, parce que l'improvisation, les opérations «coups de poing» et le mécénat «danseuse du président» ne sont pas compatibles avec la philosophie du mécénat. Et si aucune contrepartie immédiate n'est recherchée comme dans le sponsoring, le retour d'image, la notoriété dans la durée, sont nécessaires pour une politique de mécénat pérenne.
D'ailleurs le fisc n'admettrait pas qu'il n'y ait aucune contrepartie : ce serait une opération qualifiée d'abus de biens sociaux.
5 - Le mécénat en faveur du patrimoine est aussi l'œuvre de particuliers fortunés qui peuvent y trouver une notoriété sociale très valorisante. Ceci est d'autant plus vrai que dans nos racines, ce type de mécénat a accompagné notre Histoire, notamment dans les moments de prospérité et de stabilité.
Ceci est illustré par les Habous, institution qui fut centralisatrice des fonds des mécènes, quand dans le passé, la gestion des villes comme Fès et Marrakech était le fait des fondations Habous : gestion de l'eau, des égouts, des écoles, des bibliothèques, des hôpitaux, de l'aide aux nécessiteux, et. Le raffinement de cette institution est allée jusqu'à la création à Marrakech et à Fès de fondations pour soigner les oiseaux blessés ou malades, particulièrement les cigognes.
6 - Pour en revenir au mécénat moderne, à l'égard du patrimoine, il constitue un gisement exceptionnel. Les mécènes, entreprises ou particuliers, outre les motivations de citoyenneté qui peuvent les animer, sont surtout conscients de l'énorme capital de notoriété que constitue une action en faveur du patrimoine.
- Depuis près de 10 ans, le ministère de la Culture a montré sa disponibilité pour ces opérations en faveur du patrimoine. Rendons hommage à la nouvelle ouverture de cette administration et à la disponibilité et à la compétence de ses responsables. Si j'en parle en termes flatteurs, c'est que j'ai eu à pratiquer cette administration, quand j'étais en charge du secteur du mécénat du Groupe ONA, et ce à l'occasion de l'un des plus beaux et l'un des plus délicats dossiers, celui de la restauration de la Mosquée de Tinmel.
Les exemples de mécénat touchant au patrimoine se sont multipliés ces dernières années. On en parlera peut-être au moment des débats.
Je voudrais juste avant de passer au second point préciser une évolution qu'il faudrait encourager, notamment du côté des pouvoirs publics : nous avons dans notre pays de nombreux collectionneurs - il s'agit-là d'un patrimoine invisible. Il est fort regrettable que la communauté nationale n'en profite pas. La démarche consisterait à encourager ces collectionneurs à mettre ce patrimoine en valeur, à leurs propres frais, se transformant ainsi en mécènes. L'exemple de la restauration de Dar Mnebhi à Marrakech et sa transformation en musée alimenté par le fonds d'œuvres du mécène est de bon augure.
II. - Comment dynamiser la société civile dans la défense du patrimoine ?
1 - Le partenariat
Une vraie et grande politique du patrimoine ne pourrait réussir que si elle associe les divers acteurs politiques, économiques, sociaux et culturels du pays - et ceci pour deux raisons majeures :
- 1ère raison : le patrimoine appartient à tous. Il est normal que cette politique soit expliquée aux citoyens - donc au-delà de la conservation, c'est la valorisation aussi qui doit être visée, valorisation qui mettra le patrimoine à la disposition du citoyen. Il ne s'agit plus de quelque chose de confidentiel et qui est réservée aux seuls conservateurs et chercheurs.
- 2ème raison : en impliquant les divers acteurs et notamment la société civile, une opinion se formera progressivement en faveur d'une meilleure gestion du patrimoine. La société civile jouera le rôle de groupe de pression qui aidera les administrations concernées à mieux défendre les projets et les dossiers tant au niveau gouvernemental qu'au niveau parlementaire. Un courant de sympathie et d'appui se dégagera ainsi en faveur de la valorisation du patrimoine et dont devront tenir compte les politiques.
L'irruption de la société civile dans le champ de la culture ne suffit pas en soi-même - il faut au minimum d'organisation - comme pour le mécénat, autre volet de la société civile, le cadre d'organisation est l'association ou la fondation.
A notre avis, il faut susciter la création d'associations locales, puis régionales qui s'organiseront en véritable réseau international.
Je pense que dans notre pays, le partenariat est la solution la plus constructive : l'Etat, le mouvement associatif, les collectivités locales, les acteurs économiques…, peuvent construire des partenariats pour une meilleure connaissance et une meilleure valorisation du patrimoine. Ce réseau serait un relais d'information précieux. Grâce à ce réseau, des appels à la générosité publique pourraient contribuer partiellement au financement de certaines opérations. Ce système existe d'ailleurs dans plusieurs pays développés.
Cependant, pour les actions importantes, et toujours sur le plan du partenariat, il peut être envisagé 2 formules :
- 1ère formule : pour certains sites exceptionnels qui exigent, soit pour la recherche, soit pour la gestion, soit pour la valorisation, des moyens importants et durables, alors que les moyens budgétaires sont insuffisants, on pourrait concevoir la mise en place de véritables fondations nationales : je verrais bien, par exemple, une fondation nationale pour Chellah et une autre pour Volubilis. Ces fondations nationales, créées par voie législative et non dans le cadre du dahir de 1958, seraient basées sur le principe du partenariat. Leur aspect à la fois national et privé, permettra de conjuguer la défense de l'intérêt général et une gestion plus efficace, une valorisation optimale. L'Etat restera bien entendu le pivot et le garant de cette opération. L'exemple de la Scala de Milan est édifiant : institution très chère au cœur des Italiens, et d'une notoriété exceptionnelle sur le plan international, elle a intégré depuis quelques années, une fondation nationale créée à cet effet, pour la gérer et où l'Etat italien n'a conservé que 40 % des parts - le reste ayant été acquis par des mécènes institutionnels, privés et particuliers. La gestion nouvelle se fait à la satisfaction de tous.
De plus, ces fondations nationales à créer, dès qu'elles acquerront une notoriété certaine, pourraient bénéficier de l'aide d'ONG internationales. De plus en plus, les ONG préfèrent aider directement les institutions de la société civile.
- La 2ème formule : c'est celle des fondations reconnues d'utilité publique, émanant souvent de l'entreprise ou de particuliers fortunés. Associées à la société civile par le biais du tissu associatif, elles prennent en charge des actions de patrimoine, et les exemples existent.
Deux points cependant sont à préciser :
- L'Etat devra constituer une banque de projets dans le domaine du patrimoine. Les candidatures ne manqueront pas. Si les dossiers sont prêts, il ne reste à la fondation qu'à calculer le coût financier et les modalités de réalisation. A elle de mettre en place sa stratégie de communication.
- Pour certains patrimoines, l'Administration serait bien inspirée d'encourager la formule d'implication de la fondation dans l'après-restauration. Cette idée a été déjà testée avec succès, notamment pour Foundouk Nejjarine et Dar El Mnebhi. Ces deux patrimoines, après leur restauration et après accord des Affaires culturelles, ont été transformés en musées, gérés par les fondations qui les avaient restaurés. Il s'agit de deux exemples à s'inscrire à l'actif de l'Administration.
L'existence souhaitable des fonctions entraîne deux conséquences importantes:
- elles allègent, au niveau de l'Administration, le poids budgétaire ou permettent une meilleure ventilation des ressources budgétaires;
- elles font du partenariat un instrument de développement culturel. Le partenariat est un jalon positif dans la construction démocratique de notre pays.
Sans tomber dans un consensus béat, je pense qu'il permet d'associer un grand nombre d'acteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle. On peut parler d'un espace de cohésion sociale.
Il serait souhaitable dans cette logique qu'il y ait un conseil des sages, une sorte de conseil d'orientation qui ne soit pas un nouvel échelon de décision qui ne ferait qu'accentuer les aspects bureautiques : “le conseil national du patrimoine” organisme de débats et de concertation. J'ouvre ici une parenthèse pour un commentaire d'ordre général : je veux parler de l'inexistence dans notre droit et dans notre jurisprudence de définition juridique de la “fondation” et du “mécénat”. Or la fondation est un cadre juridique essentiel au développement de la société civile (surtout quand il s'agit d'opérations importantes).
En corrélation à ceci, l'octroi de la reconnaissance du caractère d'utilité publique est rare et cette reconnaissance est à la discrétion totale du pouvoir exécutif. Or c'est une position qui n'est pas démocratique. La loi devrait définir les conditions d'accès à cette reconnaissance- ceci afin que la société civile et notamment les mécènes, puissent agir dans la plus grande transparence.
2- L'éducation
Le tissu associatif dont nous parlons concerne essentiellement le monde adulte. La sensibilisation au patrimoine doit cependant toucher nos enfants dès leur première scolarité : l'enfant, c'est le monde de demain. L'enfant doit être la cible essentielle, car le monde de demain doit connaître le monde d'hier, c'est-à-dire notre Histoire, notre patrimoine.
Il s'agit d'amener l'enfant, au sein de la famille et au sein de l'école, à prendre conscience de l'importance des symboles, des enseignements que peuvent représenter les divers volets du patrimoine. Le contenu pédagogique pourrait être défini dans le cadre du Conseil national du patrimoine, en collaboration avec l'éducation nationale.
Au sein de son environnement familial et personnel, l'enfant devient un excellent vecteur de sensibilisation au patrimoine et de respect du patrimoine.
3- La communication
Elle est essentielle dans le domaine de la culture. Que peut faire la culture sans la mise en place des moyens de communication ? Le savoir-faire du faire-savoir doit être développé et maîtrisé.
Ainsi, pour sensibiliser la société civile et pour que celle-ci relaie le message, un certain nombre de proposition :
- Organisation annuelle de deux journées du patrimoine :
- Une sur le plan national : portes ouvertes des musées et des monuments nationaux, visites commentées, programmes spéciaux dans les radios et télévisions, affiches nationales, discours-programme du ministre de la culture, conférences civile, des entreprises et des mécènes...
- Une 2e journée en pleine année scolaire : une journée entière serait consacrée à l'éveil et à l'initiation au patrimoine avec 2 niveaux dans le primaire et 2 niveaux dans le 1er cycle du secondaire. Il reste évident que les enseignants doivent être préparés à cette journée. Je pense que les enseignants pourrait recevoir une mini formation sur le patrimoine pendant leurs stages et séminaires habituels.
- Il faut aussi développer la production audiovisuelle pour faire connaître d'une manière vivante et interactive notre patrimoine. La société civile interviendrait pour organiser et animer des réunions autour de chaque production.
- Susciter l'édition d'un magazine sur le patrimoine : trimestriel, tendant vers un rythme mensuel. La rédaction sera ouverte à l'ensemble des acteurs de la société civile et aux experts.
4- Le musée virtuel
Un projet que je considère comme particulièrement important, est la création d'un musée virtuel du patrimoine.
Pour expliquer ce concept, partons d'un constat : le Maroc n'a pas les moyens de se doter d'un musée comme Le Louvre, ou le Prado, ou les Offices de Florence; d'un autre côté, les Marocains, dans leur majorité, n'ont pas la possibilité de voyager à l'étranger pour visiter ces grands temples du patrimoine mondial.
Est-il normal que les Marocains en soient privés ? Non, bien sûr. Il est heureux cependant que les technologies avancées permettent d'apporter une solution à cette question. En effet, la plupart des grands musées ont réalisé des productions, soit sur CD-Rom, soit sur l'Internet. Il est donc tout à fait possible que dans le cadre d'espaces appelés musées virtuels, on puisse mettre en place les équipements nécessaires et acquérir les productions. Il est possible aussi, tout en respectant les réglementations nationales et internationales, acheter les droits et créer un site Internet centralisateur qui diffusera en direction des espaces régionaux.
En ce qui concerne le patrimoine national, ces musées virtuels auront besoin de productions dans ce domaine. C'est là où le partenariat pourra rendre un service certain : si, par exemple, pour le patrimoine local, les collectivités locales et régionales, s'associent à la société civile, cherchent des mécènes, sollicitent l'aide de l'Etat, surtout en ressources humaines, et obtiennent le concours des médias, les actions en faveur du patrimoine pourraient se multiplier et créer de nombreux emplois.
Le concept de musée virtuel est une fenêtre sur notre patrimoine national, sur le patrimoine arabo-musulman et sur le patrimoine de l'humanité. C'est surtout un concept qui, s'il est mené intelligemment, accepte un démarrage modeste avec une montée en puissance, selon les moyens disponibles du moment.
Instrument moderne, utilisant des technologies avancées et aisées à manipuler, attractif pour les jeunes générations, le musée virtuel peut aussi bénéficier des aides internationales publiques et privées.
Il n'est pas le concurrent des musées réels mais un précieux complément pour connaître notre patrimoine et celui des autres civilisations;
5- Le tourisme culturel
Dans un autre domaine, la société civile est appelée à jouer un rôle intéressant en faveur du patrimoine. La méconnaissance de la réalité de notre patrimoine, l'insuffisance de l'information dans ce domaine, devraient amener certaines sphères du mouvement associatif à développer le tourisme culturel. Par ailleurs, les écoles, notamment, grâce à l'aide des collectivités territoriales, des associations, des entreprises, des mécènes et des bénévoles, pourront organiser les circuits culturels spécialises dans le patrimoine. Nos enfants encadrés par des enseignants, par des fonctionnaires de la culture, par des bénévoles amateurs de patrimoine - nos enfants, donc, auront le contact direct avec notre mémoire : ainsi, une information sur le terrain leur est donnée, et, éventuellement enrichie avant ou après par la consultation du musée virtuel.
6 - Le patrimoine récent
Un dernier point à exposer, mais brièvement : il s'agit du patrimoine récent. On a tendance à l'oublier ou à l'ignorer volontairement, alors que par certains aspects, il est d'une grande richesse.
Des secteurs à signaler d'inégale importance :
- Le patrimoine architectural de la première moitié du XXe siècle. Il est de notoriété, par exemple, que Casablanca abrite des trésors architecturaux parmi les plus riches du début du XXe siècle. L'importance de cette richesse est attestée même à l'échelle internationale. Notre métropole économique a été, un moment donné, un véritable laboratoire de l'architecture moderne. Je ne peux pas vous en dire plus, n'ayant aucune compétence dans ce domaine, mais je peux vous dire que la société civile est très active dans ce domaine, notamment au niveau d'une association fondée et dirigée par l'architecte Andalousie. Des trésors ont disparu et d'autres, très nombreux, risquent de fortes dégradations et même la démolition. J'espère que dans le cadre de ces débats, des architectes pourraient nous en parler.
- Le patrimoine industriel : même s'il est récent, notre patrimoine industriel mérite qu'on lui porte de l'intérêt. Une législation devrait protéger certains sites et prévoir les conditions de démolition.
N'étant pas spécialiste de cette question particulière, je me hasarderai simplement à formuler quelques commentaires :
- La destruction de la totalité de l'ancienne usine Lafarge à l'entrée de Casablanca est fort regrettable. Une partie, surtout les cheminées et les hangars, auraient pu être confiées à une équipe de créateurs, pour concevoir un espace de liberté et de création artistiques, une sorte de parc des sciences et de l'industrie, type la Villette à Paris.
- N'existe-t-il pas des sites industriels du XIXe siècle ? Je pense notamment à l'arsenal de Fès ou à la sucrerie de Marrakech.
- N'existe-t-il plus des patrimoines à préserver de la destruction parce qu'il n'y a plus d'exploitation industrielle ou minière : anciennes installations de l'OCP, de Jerrada, ou d'autres sites miniers et industriels ?
- Ne faudrait-il pas procéder, en partenariat avec les entreprises propriétaires, à un inventaire et voir ce qui peut être sauvegardé ou restauré en «monument» ?
