Dans le village de Qina, en Haute-Egypte, la célébration de l'anniversaire de la naissance du saint et soufi Sidi Abderrahim al Qina'I (originaire du Maroc), donnait lieu à des festivités durant les quinze premiers jours du mois de Cha'bane. C'était un véritable festival où s'exprimaient toutes les formes de théâtre et de chant populaires (ghazaoui, qawwaline, mounchidin, etc.)
C'est sur le sable du désert, derrière le sanctuaire du saint de Qina, qu'Al Abnoudi enfant a appris les premières bribes de la sira hilalienne, de la bouche de deux de ses grands maîtres.
La sira entre poète
et conteurs
On comprend dans ces conditions qu'Al Abnoudi se qualifie d' « envoûté de la sira », Madroub as-sira, titre qu'il a donné à l'importance préface qu'il a écrite pour l'édition de cette sira. Il y raconte comment il s'est retrouvé un jour dépositaire de la majorité des versions de la sira, celles qui circulaient en Egypte, en Syrie, en Tunisie, au Soudan et jusqu' aux confins du Tchad et du Nigeria. A cela, il faut ajouter les versions collectées et consignées par plusieurs orientalistes. A certains de ces derniers, qui ont critiqué sa démarche, soucieuse avant tout de la transmission orale de la sira, Al Abnoudi a répondu qu'il n'avait fait que marcher sur les traces d'Homère. C'est dire la hauteur à laquelle notre poète place la hilaliya. Pour lui, c'est un incomparable trésor, la manifestation éclatante du génie poétique des peuples arabes; particulièrement des arabes de la Haute-Eypte, berceau de la hilaliya et du poète qui en a rassemblé les membres épars.
La majorité des poètes de la sira pensent qu'ils y ont été conduits par une inspiration divine et que leur mission est aussi sacrée que celle des transmetteurs de la sira prophétique. Dans leurs versions, les héros se voient dotés d'une ascendance les reliant au prophète ou à un membre de sa famille, et souvent ils sont sauvés dans des situations périlleuses par des personnalités religieuses de grande envergure (Al Khidr, par exemple).
Au début de leur récit, ces poètes commencent par une histoire mythologico-religieuse de la création depuis les origines, qu'il font suivre d'un panégyrique du prophète puis du rappel de la participation de l'ancêtre de la tribu, Hilal, à la campagne de toubouk conduite par le prophète.
Cette conscience des poètes qu'ils font oeuvre pieuse se révèle particulièrement dans ces deux points : l'orchestre qui les accompagne est appelé par eux : “al minbar”; l'introduction à caractère religieux est faite dans la langue du Coran, alors que pour la partie historique et légendaire, l'histoire humaine en somme, ils usent de la ‘amia égyptienne, celle de campagne de Haute-Egypte plus précisément.
Un des critères distinctifs les plus importants des poètes de la sira est celui de la capacité d'innover sur le champ, d'influencer et de convaincre le public.
Si la majorité des conteurs de la sira le font pour vivre, il existe une minorité véritablement “envoûtée” par cette sira à la sauvegarde de laquelle elle a voué totalement sa vie. Chacun de ces conteurs est la voix et le visage d'un poète qu'il a adopté et au nom duquel il parle. Les grands conteurs en connaissent plusieurs, ce qui leur confère parfois une compétence supérieure à celle d'un seul poète.
Dans le corpus poétique de la sira, qui s'est constitué au fil des siècles, on peut distinguer : la présentation de la sira à l'instar du poème arabe traditionnel, entrecoupée de morceaux de prose assonancée (saj'); dans la région du delta du Nil, l'épopée est chantée comme le mawwal; sous forme de poésie libre, le nombre de vers qui riment étant variable; dans la Haute-Egypte, berceau de la hilaliya, le genre dominant est le quatrain ou mourabba' ; deux vers dont respectivement les hémistiches 1 et 3, 2 et 4, riment ensemble.
Art poétique et langues de la sira
Cette dernière forme est éminemment propice a cette épreuve redoutable : l'improvisation instantanée face au public.
Les noms donnés aux quatre hémistiches du mourabba' révèlent une étonnante analogie entre la composition du quatrain et … la pêche telle qu'on la pratique dans le Nil ! ces noms en effet sont : at-tarh (action de jeter le filet), al ‘atb (le pêcheur affermissant sa position en posant un pied sur une portion de terre ferme), ac-chad (fermeture progressive du filet), as-sayd (obtention de la pêche espérée).
Si l'improvisation est possible, c'est que le chanteur et son public connaissent les grandes lignes de l'épopée, ses héros, ses hauts lieux. Elle s'effectue dans un cadre partagé, dans une complicité qui donne naissance à un poème toujours jaillissant, neuf, vivant.
Pour les langues de la sira, il y a d'abord celle qu'on peut appeler la “langue livresque”, plus pâle et abâtardie encore que la langue de la sira écrite. C'est la langue de chanteurs religieux au départ, qui se sont par la suite tournés vers la sira. Cette langue ne permet pas la communion, la célébration du “rite Hilalien”.
La vraie langue de la sira vivante et communielle, c'est une langue dont la matrice est la langue des ghajar (gitans). Une langue qui a couru à travers tant de chemins, a gardé mémoire de maints lieux et évènements. Une langue poétique par excellence, qu'Al Abnoudi décrit comme suit :
«C'est une langue légère, capricieuse, inspiratrice… Venue de temps anciens, véhiculant l'histoire des humbles, une langue combattante mais qui sait aussi décrire et chanter l'amour. Une langue à jamais verte et vivante, marchant sur la terre avec grâce et métamorphosant le monde en magie».
C'est sur le sable du désert, derrière le sanctuaire du saint de Qina, qu'Al Abnoudi enfant a appris les premières bribes de la sira hilalienne, de la bouche de deux de ses grands maîtres.
La sira entre poète
et conteurs
On comprend dans ces conditions qu'Al Abnoudi se qualifie d' « envoûté de la sira », Madroub as-sira, titre qu'il a donné à l'importance préface qu'il a écrite pour l'édition de cette sira. Il y raconte comment il s'est retrouvé un jour dépositaire de la majorité des versions de la sira, celles qui circulaient en Egypte, en Syrie, en Tunisie, au Soudan et jusqu' aux confins du Tchad et du Nigeria. A cela, il faut ajouter les versions collectées et consignées par plusieurs orientalistes. A certains de ces derniers, qui ont critiqué sa démarche, soucieuse avant tout de la transmission orale de la sira, Al Abnoudi a répondu qu'il n'avait fait que marcher sur les traces d'Homère. C'est dire la hauteur à laquelle notre poète place la hilaliya. Pour lui, c'est un incomparable trésor, la manifestation éclatante du génie poétique des peuples arabes; particulièrement des arabes de la Haute-Eypte, berceau de la hilaliya et du poète qui en a rassemblé les membres épars.
La majorité des poètes de la sira pensent qu'ils y ont été conduits par une inspiration divine et que leur mission est aussi sacrée que celle des transmetteurs de la sira prophétique. Dans leurs versions, les héros se voient dotés d'une ascendance les reliant au prophète ou à un membre de sa famille, et souvent ils sont sauvés dans des situations périlleuses par des personnalités religieuses de grande envergure (Al Khidr, par exemple).
Au début de leur récit, ces poètes commencent par une histoire mythologico-religieuse de la création depuis les origines, qu'il font suivre d'un panégyrique du prophète puis du rappel de la participation de l'ancêtre de la tribu, Hilal, à la campagne de toubouk conduite par le prophète.
Cette conscience des poètes qu'ils font oeuvre pieuse se révèle particulièrement dans ces deux points : l'orchestre qui les accompagne est appelé par eux : “al minbar”; l'introduction à caractère religieux est faite dans la langue du Coran, alors que pour la partie historique et légendaire, l'histoire humaine en somme, ils usent de la ‘amia égyptienne, celle de campagne de Haute-Egypte plus précisément.
Un des critères distinctifs les plus importants des poètes de la sira est celui de la capacité d'innover sur le champ, d'influencer et de convaincre le public.
Si la majorité des conteurs de la sira le font pour vivre, il existe une minorité véritablement “envoûtée” par cette sira à la sauvegarde de laquelle elle a voué totalement sa vie. Chacun de ces conteurs est la voix et le visage d'un poète qu'il a adopté et au nom duquel il parle. Les grands conteurs en connaissent plusieurs, ce qui leur confère parfois une compétence supérieure à celle d'un seul poète.
Dans le corpus poétique de la sira, qui s'est constitué au fil des siècles, on peut distinguer : la présentation de la sira à l'instar du poème arabe traditionnel, entrecoupée de morceaux de prose assonancée (saj'); dans la région du delta du Nil, l'épopée est chantée comme le mawwal; sous forme de poésie libre, le nombre de vers qui riment étant variable; dans la Haute-Egypte, berceau de la hilaliya, le genre dominant est le quatrain ou mourabba' ; deux vers dont respectivement les hémistiches 1 et 3, 2 et 4, riment ensemble.
Art poétique et langues de la sira
Cette dernière forme est éminemment propice a cette épreuve redoutable : l'improvisation instantanée face au public.
Les noms donnés aux quatre hémistiches du mourabba' révèlent une étonnante analogie entre la composition du quatrain et … la pêche telle qu'on la pratique dans le Nil ! ces noms en effet sont : at-tarh (action de jeter le filet), al ‘atb (le pêcheur affermissant sa position en posant un pied sur une portion de terre ferme), ac-chad (fermeture progressive du filet), as-sayd (obtention de la pêche espérée).
Si l'improvisation est possible, c'est que le chanteur et son public connaissent les grandes lignes de l'épopée, ses héros, ses hauts lieux. Elle s'effectue dans un cadre partagé, dans une complicité qui donne naissance à un poème toujours jaillissant, neuf, vivant.
Pour les langues de la sira, il y a d'abord celle qu'on peut appeler la “langue livresque”, plus pâle et abâtardie encore que la langue de la sira écrite. C'est la langue de chanteurs religieux au départ, qui se sont par la suite tournés vers la sira. Cette langue ne permet pas la communion, la célébration du “rite Hilalien”.
La vraie langue de la sira vivante et communielle, c'est une langue dont la matrice est la langue des ghajar (gitans). Une langue qui a couru à travers tant de chemins, a gardé mémoire de maints lieux et évènements. Une langue poétique par excellence, qu'Al Abnoudi décrit comme suit :
«C'est une langue légère, capricieuse, inspiratrice… Venue de temps anciens, véhiculant l'histoire des humbles, une langue combattante mais qui sait aussi décrire et chanter l'amour. Une langue à jamais verte et vivante, marchant sur la terre avec grâce et métamorphosant le monde en magie».
