Tahar Ben Jelloun a dit d'elle qu'elle est “la grâce qui nous conduit à la diversité, la finesse et l'élégance d'une nourriture qui nous rend sereins et heureux”. Fatéma Hal, qui manie le verbe avec élégance, avait, en effet, érigé son restaurant “La Mansouria” en un espace de “rencontre, une scène où la vie est parsemée de gestes beaux parce que gratuits, simples et sans discours”. Hormis, peut –être, le sien sur les “Dadas” et sur ce Maroc qui l'habite et qui alimente son imaginaire. A lire son ouvrage “Les saveurs et les gestes” (*), le Royaume serait un pays qui aurait le goût d'une bonne recette de cuisine.
Il en aurait cette part indéfinissable de mystère et cette insaisissable finesse qui cimente la fugace harmonie sans laquelle le goût, les senteurs et les couleurs ne peuvent forcer le souvenir. Celui de Fatéma Hal est peuplé d'une race de femmes qui existaient en un siècle où elle ne vivait point et en des lieux qu'elle n'a jamais fréquentés. Ses “dadas”, que son ouvrage présente comme “d'excellentes cuisinières”, ressemblent, à s'y méprendre, à des esclaves qui auraient été affranchies de fraîche date. “Sujet tabou, écrit-elle, les dadas appartiennent à la face cachée du Maroc. Leur existence même touche un point sensible de notre société : l'esclavage”.
Elle pousse même l'outrecuidance jusqu'à nous préciser que “leurs lointaines aïeules ont été ramenées des Royaumes de l'ancien Soudan conquis par l'Empire marocain”. N'en pouvant mais, elles seraient devenues “les porte-paroles silencieuses de la gastronomie marocaine”, “les mères nourricières de tout un pays” et enseigneraient aujourd'hui à “l'école hôtelière du palais royal Touarga”. L'auteur s'est même dit “triste parce que la mémoire culinaire du Maroc vacille et qu'on n'a pas assez écouté ces femmes”, mais “heureuse aussi, parce que cette nécessaire disparition (la leur, ndlr) signifie l'émergence, en ce siècle, d'une société plus juste, moins inégale”. Ersatz de littérature coloniale des années 20 ou simple méconnaissance de l'Histoire, des traditions ; voire de la simple géographie du Royaume ? Licenciée en littérature arabe et ayant fait des études d'ethnologie, Fatéma Hal ne peut ni s'être involontairement trompée sur les dates et les événements qu'elle a relatés, ni ne pas savoir qu'il n'existe aucun palais Royal Touarga sur l'ensemble du territoire national, ni même croire qu'il soit possible que des analphabètes puissent enseigner dans l'une ou l'autre des écoles marocaines.
Pourquoi a-t-elle donc choisi de nous tromper sur ce qu'est la véritable cuisine marocaine en nous dressant les portraits de sa “Dada Rabha”, de “Lalla Kheira”, de “Yamina Rabhi” et sa propre maman “Jdaini Mansouria” ? Pourquoi a-t-elle voulu nous faire admettre son point de vue selon lequel “dans la maison du mari, la rivale la plus dangereuse pour une femme est sa belle-mère” et que chez-nous “la cuisine peut être une cause de divorce” ? Pourquoi a-t-elle prétendu que “la bienséance – contrairement à l'Occident – voudrait qu'on rote après le repas en signe de satisfaction” ? Pourquoi nous a-t-elle affirmé sans ambages que les Marocains “mangent avec les mains … et pour être plus précis (avec) trois doigts – le pouce, l'index et le majeur – qui savamment repliés et réunis doivent … former une boule de couscous” ? La réponse est d'une limpidité déconcertante : son Maroc n'est pas le nôtre et ses Marocaines et Marocains ne nous ressemblent pas. Ils sont d'une dextérité qui n'a jamais existé sous nos latitudes puisqu'ils arrivent, eux, à faire des boules de couscous en n'utilisant que trois doigts ; prouesse dont aucune de nos annales, ni aucune de nos chroniques n'a fait état. Lesquelles n'ont jamais porté, non plus, trace d'un quelconque “Mhammar” dont la cuisson nécessiterait deux jours et dont la viande se conserverait une bonne semaine à l'air libre. Ni d'une “Harira” au sein de laquelle les céréales joueraient les rôles vedettes. Ni d'un “couscous au congre, avec sucre, raisins secs et pistils de safran”. Ni d'un “couscous roulé avec la main du mort et exclusivement réservé aux maris qui ont la main un peu trop leste avec leur épouse”.
Ni qu'“un tagine à la courge ne se conçoit pas sans miel”. Ni que “pour sceller une alliance, conclure une affaire, instaurer une marque de confiance, on jure sur le pain”. Ni …, etc. Les exemples qui prouvent que les cuisines et traditions dont Fatéma Hal fait état ne sont pas marocaines. Du moins pas nécessairement.
Chez-nous, la cuisine est un art, certes, mais elle est aussi – et surtout – l'expression d'une identité millénaire. Elle est la marque indélébile d'une authenticité et le dépositaire réel d'une mémoire que le temps et les événements ont fécondée. En la croyant simple fioriture, Fatéma Hal en a oublié certains des ingrédients essentiels. D'où sa recette ratée pour cause d'exotisme déplacé. Une recette qu'elle n'a, malheureusement jamais cessé d'expérimenter.
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(*) “Les saveurs et les gestes – Cuisines et traditions du Maroc”, Editions Stock, Paris, 240 pages
Il en aurait cette part indéfinissable de mystère et cette insaisissable finesse qui cimente la fugace harmonie sans laquelle le goût, les senteurs et les couleurs ne peuvent forcer le souvenir. Celui de Fatéma Hal est peuplé d'une race de femmes qui existaient en un siècle où elle ne vivait point et en des lieux qu'elle n'a jamais fréquentés. Ses “dadas”, que son ouvrage présente comme “d'excellentes cuisinières”, ressemblent, à s'y méprendre, à des esclaves qui auraient été affranchies de fraîche date. “Sujet tabou, écrit-elle, les dadas appartiennent à la face cachée du Maroc. Leur existence même touche un point sensible de notre société : l'esclavage”.
Elle pousse même l'outrecuidance jusqu'à nous préciser que “leurs lointaines aïeules ont été ramenées des Royaumes de l'ancien Soudan conquis par l'Empire marocain”. N'en pouvant mais, elles seraient devenues “les porte-paroles silencieuses de la gastronomie marocaine”, “les mères nourricières de tout un pays” et enseigneraient aujourd'hui à “l'école hôtelière du palais royal Touarga”. L'auteur s'est même dit “triste parce que la mémoire culinaire du Maroc vacille et qu'on n'a pas assez écouté ces femmes”, mais “heureuse aussi, parce que cette nécessaire disparition (la leur, ndlr) signifie l'émergence, en ce siècle, d'une société plus juste, moins inégale”. Ersatz de littérature coloniale des années 20 ou simple méconnaissance de l'Histoire, des traditions ; voire de la simple géographie du Royaume ? Licenciée en littérature arabe et ayant fait des études d'ethnologie, Fatéma Hal ne peut ni s'être involontairement trompée sur les dates et les événements qu'elle a relatés, ni ne pas savoir qu'il n'existe aucun palais Royal Touarga sur l'ensemble du territoire national, ni même croire qu'il soit possible que des analphabètes puissent enseigner dans l'une ou l'autre des écoles marocaines.
Pourquoi a-t-elle donc choisi de nous tromper sur ce qu'est la véritable cuisine marocaine en nous dressant les portraits de sa “Dada Rabha”, de “Lalla Kheira”, de “Yamina Rabhi” et sa propre maman “Jdaini Mansouria” ? Pourquoi a-t-elle voulu nous faire admettre son point de vue selon lequel “dans la maison du mari, la rivale la plus dangereuse pour une femme est sa belle-mère” et que chez-nous “la cuisine peut être une cause de divorce” ? Pourquoi a-t-elle prétendu que “la bienséance – contrairement à l'Occident – voudrait qu'on rote après le repas en signe de satisfaction” ? Pourquoi nous a-t-elle affirmé sans ambages que les Marocains “mangent avec les mains … et pour être plus précis (avec) trois doigts – le pouce, l'index et le majeur – qui savamment repliés et réunis doivent … former une boule de couscous” ? La réponse est d'une limpidité déconcertante : son Maroc n'est pas le nôtre et ses Marocaines et Marocains ne nous ressemblent pas. Ils sont d'une dextérité qui n'a jamais existé sous nos latitudes puisqu'ils arrivent, eux, à faire des boules de couscous en n'utilisant que trois doigts ; prouesse dont aucune de nos annales, ni aucune de nos chroniques n'a fait état. Lesquelles n'ont jamais porté, non plus, trace d'un quelconque “Mhammar” dont la cuisson nécessiterait deux jours et dont la viande se conserverait une bonne semaine à l'air libre. Ni d'une “Harira” au sein de laquelle les céréales joueraient les rôles vedettes. Ni d'un “couscous au congre, avec sucre, raisins secs et pistils de safran”. Ni d'un “couscous roulé avec la main du mort et exclusivement réservé aux maris qui ont la main un peu trop leste avec leur épouse”.
Ni qu'“un tagine à la courge ne se conçoit pas sans miel”. Ni que “pour sceller une alliance, conclure une affaire, instaurer une marque de confiance, on jure sur le pain”. Ni …, etc. Les exemples qui prouvent que les cuisines et traditions dont Fatéma Hal fait état ne sont pas marocaines. Du moins pas nécessairement.
Chez-nous, la cuisine est un art, certes, mais elle est aussi – et surtout – l'expression d'une identité millénaire. Elle est la marque indélébile d'une authenticité et le dépositaire réel d'une mémoire que le temps et les événements ont fécondée. En la croyant simple fioriture, Fatéma Hal en a oublié certains des ingrédients essentiels. D'où sa recette ratée pour cause d'exotisme déplacé. Une recette qu'elle n'a, malheureusement jamais cessé d'expérimenter.
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(*) “Les saveurs et les gestes – Cuisines et traditions du Maroc”, Editions Stock, Paris, 240 pages
