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10ème Maghreb des livres : le Maghreb de France à livre ouvert

Atmosphère cordiale le week-end dernier à Paris lors d'un 10ème Maghreb des livres soucieux d'opposer des débats aux tensions liées aux questions de laïcité et d'intégration. Comme thème fédérateur, la littérature, autour de nouveaux talents aux oeuvres d

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"C'est à travers les livres que la pensée maghrébine s'exprime le mieux" a déclaré Georges Morin, président de Coup de Soleil, samedi 8 novembre à la fin de la première journée du 10ème Maghreb des livres. "Nous voyons ici un autre Maghreb que celui présenté par les médias" a précisé Nacer Kettane, président de la radio Beur FM alors qu'il s'apprêtait à remettre le prix littéraire Beur FM Méditerranée.

Lauréat 2003 : Abdel-Hafed Benotman pour son roman Eboueur sur échafaud (Rivages), ou les aventures d'une bande de copains qui font des bêtises dans un monde hostile aux enfants. Une histoire "drôle, émouvante et juste, pétillante de spontanéité, de poésie et d'audace" a commenté le critique Salim Jay, qui faisait partie du jury. Cette année, Beur FM a décidé de décerner une mention spéciale à Mouss Bénia, jeune auteur d'un premier roman prometteur, Panne de sens, paru aux éditions du Seuil en février directement en format de poche. Selon l'écrivain et journaliste Fouad Laroui (également membre du jury) Panne de sens est un "petit livre par le format. Deux amis, Jilali et Stéphane, vont faire du camping. Puis Jilali se retrouve à Oran et sent en lui comme l'éclosion d'une conscience de soi. Et là, les choses se gâtent." Le jury du prix Beur FM n'a pas été le seul séduit par ces deux ouvrages : leurs auteurs auraient déjà été contactés pour des adaptations cinématographiques.

"Une nouvelle génération d'écrivains apparaît, a constaté Georges Morin qui supervise le Maghreb des livres depuis dix ans. Les cadrages s'effacent, on ne parle plus d'exotisme ou de condescendance. Nous assistons à l'émergence de vrais talents dont l'œuvre possède une dimension universelle". De quoi réjouir les membres de l'association mère de l'opération, Coup de soleil, qui revendiquent "l'abattage des murs". "Une fois de plus, il règne au Maghreb des livres une ambiance assez extraordinaire" s'est encore félicité le président. Cordiale sûrement, voire même amicale.

Le week-end dernier à l'Hôtel de ville, les visiteurs se sont succédés dans un joyeux va et vient qui allait du grand salon consacré aux livres et aux auteurs - dédicaçant et bavardant gentiment - à la salle de conférence, en passant par les couloirs jalonnés de multiples panneaux, pour aboutir au buffet qui ne désemplissait pas, avec une ruée à l'heure de la rupture du jeûne. Parmi les sept expositions proposées, "Algérie France, destins et imaginaires croisés" et "40 ans de bande dessinée et de dessin de presse algériens" occupaient à la fois les meilleurs espaces et le plus d'intéressés.

Solides débats

On venait manifestement moins pour flâner ou acheter des livres que pour mettre des visages sur des noms, retrouver des connaissances ou partager des intérêts communs. Preuve en est le solide niveau et le bon déroulement des différentes tables rondes qui ont animé ces deux journées. Salle comble pour la première dont le thème, la laïcité, assez brûlant en France en ce moment, laissait présager des échanges agités. Il n'en a rien été. Les rares interventions un peu salées, du type "De quel droit jugez-vous les femmes qui portent le voile en France ?" ont tout de suite été désamorcées par des réponses fermes de spécialistes soucieux d'argumenter. "Je ne les juge pas. Elles sont libres de faire ce qu'elles veulent.

Je regrette seulement qu'elles n'aient pas le souci de considérer le sort des femmes du Maghreb, d'Iran ou d'Afghanistan. Et je m'interroge sur ce qu'elles pensent de la polygamie ou de la répudiation" a rétorqué Jean-Paul Willaime, sociologue des religions. A ses côtés pour débattre, Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'Homme et Jamel-Eddine Bencheikh, universitaire et homme de lettres. Resituant la question de la laïcité dans son évolution historique en France, ils ont recentré ses "nouveaux défis" en les nettoyant des polémiques actuelles. Avec cette volonté : considérer le sujet comme un enjeu positif plutôt qu'une menace.

"Signes religieux" et "voile", des mots qui fâchent ces temps-ci : la plupart des intervenants ont pris un soin manifeste à les éviter tout en les sous-entendant, via des apartés signifiant "nous nous comprenons, nous sommes tous plus ou moins d'accord". C'est ce qui frappe le plus au Maghreb des livres : des origines et des avis divergents, peut-être, mais une tendance générale à défendre des visées communes plus tournées sur l'avenir du Maghreb d'ici (de France) que sur les tensions nées du passé.

"La rencontre entre les seize jeunes français et algériens (qui ont confronté leurs vues sur les histoires croisées de leurs pays en début de manifestation) était très riche. Ils ont formulés plein de vérités, cela avait quelque chose de réconfortant" a estimé Georges Morin. Une occasion de souligner les flous historiques qui persistent, de part et d'autre, sur les relations franco-algériennes. Pour appeler à leur éclaircissement, ou commencer à les éclaircir.

Ce fut, entre autre, l'objet de la table ronde "Paris, carrefour du Monde arabe ?". Pierre Fournié, Farouk Mardam-Bey et Benjamin Stora, écrivains et historiens, ont relaté, depuis le XIXème siècle, les différentes étapes de l'édification du Paris arabe. "Quel rôle l'Institut du Monde joue t-il aujourd'hui ?" a osé un spectateur.

Egalement conseiller à l'IMA, Farouk Mardam-Bey s'est chargé de la réponse : "Quand l'Institut a été fondé, il n'était pas prévu qu'il joue un rôle en France. Il devait surtout servir de vernis culturel aux relations de la France avec les pays arabes. Heureusement, l'IMA a échappé à ses fondateurs pour devenir une institution culturelle importante à Paris, une sorte de symbole de reconnaissance pour beaucoup de jeunes d'origines arabes. Avec sa bibliothèque, ses expositions internes et externes, ses groupes scolaires qui viennent le visiter quotidiennement, il a un rôle considérable à jouer sur place. Même si cela n'a pas encore été traduit institutionnellement."

Autre sujet de satisfaction : avoir réuni autour d'une table, des représentants Des littératures algériennes, c'est-à-dire francophone, arabophone, berbère et dialectale. Ils ont principalement évoqué les mouvements successifs de l'histoire littéraire algérienne avec auteurs, ouvrages et dates clés. "Nous sommes dans une période de travail commun même si chacun de nous travaille dans la langue qu'il maîtrise le mieux, a résumé Christiane Achour, universitaire. Quand nous parlons tous les trois, nous voyons bien que des passerelles sont en train de se faire autour de certaines thématiques. On ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas eu la colonisation. Mais la littérature algérienne n'est pas une littérature lénifiante, elle témoigne d'une volonté d'explorer l'histoire et s'exprime aujourd'hui dans tous les genres."

Motifs d'inquiétudes

Pas d'angélisme pourtant au Maghreb des livres. Si la laïcité n'a pas été abordée comme un problème, la question de l'intégration est restée un motif d'inquiétudes. Depuis la Marche des Beurs en 1983 jusqu'à celle, récente du mouvement "Ni Putes Ni Soumises", la situation des jeunes issus de l'immigration n'aurait pas progressé.

D'événements tragiques en malaises, le climat se serait crispé sur la méfiance. "Des choses ont changé mais la représentation sociale s'est figée, a dénoncé le sociologue Ahcène Zehraoui. Comme si le jeune issu de l'immigration était venu confirmer l'image négative du colonisé. Le vrai problème, c'est que ces jeunes sont mal connus, pas assez connus ou ne se font pas connaître. Et leurs revendications sont cachées par des clichés" a t-il ajouté.

D'où l'initiative de Respect Magazine, une publication qui en est à son premier numéro et s'attache à ce qui rassemble ces jeunes plutôt qu'à ce qui les sépare.
"Cette jeunesse a droit à des contradictions, a martelé son rédacteur en chef, Mark Cheb Sun. Il est normal qu'elle se pose des questions mais il n'y pas d'obligation de réponse". Un point de vue que l'on entend peu : "Les beurettes sont vues soit comme des victimes, soit comme des militantes virulentes" a regretté la sociologue Nacira Guénif selon laquelle il y aurait actuellement un remontée des représentations caricaturales -la beurette et le garçon arabe- signes d'une remise en cause des discours d'intégration.

Comme souvent dans une rencontre centrée autour des livres, universitaires, chercheurs, sociologues, historiens, ou écrivains sont à la tribune. Conséquence : des débats dits "intellectuels" qui réjouissent une partie avide d'approfondissements mais font grincer quelques dents. Quid de la réalité sur le terrain? Quid des "non-intello" ? Sans parler des jeunes des quartiers... Au Maghreb des livres, malgré la convivialité générale, on entend les mêmes reproches qu'ailleurs : une certaine élite s'adressant à des initiés. "Si des jeunes de ma cité étaient là, ils n'auraient rien compris à ce que vous avez dit" a lancé une jeune fille lors d'une conférence. Mais ils n'étaient pas là. En dépit d'un nombre conséquent de visiteurs, les membres de Coup de Soleil ont reconnu que la manifestation attirait encore principalement des "concernés".

"Présenter la Hongrie ou la Corée, c'est facile. Pour nous le défi n'était pas seulement de parler de l'Algérie mais des Algéries, celle de là-bas, celle d'ici..." avait déclaré Georges Morin. "C'est difficile de promouvoir l'année de l'Algérie en France, a insisté Anne Taverne, attachée de presse de la manifestation, ce n'est pas comme la Chine qui fait tout de suite très glamour." Comment élargir l'intérêt pour le monde arabe ? Après dix-huit ans d'activité(s) et dix ans de Maghreb des livres, c'est une question que Coup de soleil se pose encore.
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