Menu
Search
Jeudi 25 Décembre 2025
S'abonner
close
Jeudi 25 Décembre 2025
Menu
Search

7ème Salon euro-arabe du livre : Haro sur les pirates de l'esprit !

En marge du Salon Euro-Arabe du livre les professionnels invités à débattre sur l'édition dans le monde arabe ont surtout abordé la question des droits d'auteurs. Condamnant, plus ou moins vigoureusement, la piraterie, ils ont appelé à l'installation d'un

7ème Salon euro-arabe du livre : Haro sur les pirates de l'esprit !
Une quinzaine d'intervenants dans l'après-midi : les professionnels réunis, mercredi dernier, pour une seconde table ronde consacrée à l'édition dans le monde arabe, n'ont pas eu le temps d'approfondir les quatre thèmes au programme. Traduction, diffusion, livres de jeunesse, ont été tassés à la fin au profit du sujet phare de la journée : les droits d'auteurs.

«Difficile de parler de droit d'auteur dans un environnement qui a déjà du mal à respecter les droits de l'homme», a commencé Ibrahim Moleim, Président des éditeurs panarabes, immédiatement dans le vif du sujet. Comment parler de morale dans un environnement où aucune valeur n'est respectée et où chacun défend ses propres intérêts ? s'est-il alarmé. Depuis 1988, les droits d'auteurs sont protégés dans tous les pays arabes. Et certaines législations sont en train d'être modifiées conformément aux requêtes de l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). «Dans la loi, c'est un fait. Mais ce n'est pas appliqué : les droits d'auteurs ne sont pas respectés. Et personne, dans le monde arabe, ne se sent coupable de lire ou d'utiliser un livre piraté.»

Le Maroc ferait exception, d'après Badr Eddine Arodaki, commissaire du Salon et animateur de la Table ronde. Ce que Leïla Chaouni des éditions Le Fennec a dû démentir, un peu gênée. «Au Maroc, les droits d'auteurs sont protégés par la loi. Mais cette loi est-elle respectée, elle ? » D'après l'éditrice, de plus en plus d'ouvrages seraient piratés au Maroc, reproduits, retirés, réimprimés, recopiés, traduits n'importe comment. Certains auteurs seraient même prêts à payer pour avoir la joie de voir leur livre publié. «Alors que pour conserver la qualité d'un livre, il n'y a pas d'autre solution que de respecter les droits d'auteurs» a t-elle martelé en faisant allusion au « contrat type » qu'elle délivre à ses auteurs et en insistant sur la nécessité de la transparence. «Il est fondamental qu'un auteur puisse suivre le tirage et la vente de ses livres dans son pays et ailleurs. S'il est édité à l'étranger, tant mieux, mais si le nouvel éditeur ne passe pas par l'éditeur d'origine, comment voulez-vous que l'auteur soit au courant ?». Leïla Chaouni était bien placée pour soulever le problème: elle venait de voir, « sur ce salon même », un de ses livres publié chez un autre éditeur, sous un autre titre et traduit par un inconnu (alors que son auteur travaille toujours avec le même traducteur). Sans citer ni nom ni titre, elle est passée vite sur l'incident, mais a avoué sa « colère » : « La philanthropie des éditeurs, permettez-moi d'en rire. Dans ce métier, il y a une déontologie à avoir et dans les pays arabes, nous ne l'avons pas ».



L'éternel problème du prix du livre

L'édition est jeune dans le monde arabe : 150 ans tout au plus, et le secteur n'est devenu une industrie que depuis une vingtaine d'années. « Ce n'est pas assez pour garantir les droits d'auteurs, estime un auditeur. Entre les prédicateurs et les traditions de transmission orale, la culture du livre n'est pas enracinée chez nous. Les manuels scolaires et universitaires étrangers sont les premiers pillés : un chapitre ici, un autre là, parce que nous sommes à la traîne du progrès scientifique. Tout cela fait que nous en sommes en but au piratage. Le secteur entier a un problème de protection juridique » s'est-il énervé. «65% de livres en circulation dans le monde arabe seraient piratés » a avancé un autre. « Il faut aménager des systèmes contre le piratage » a renchér un troisième. Autour de la table comme dans la salle, surtout occupées par des professionnels du livre (assez peu nombreux d'ailleurs), tout le monde semblait d'accord. Mais certains, plus modérés, se sont fait les avocats du diable. Comme cette éditrice algérienne : « Le monde arabe n'est pas un marché prospère pour le livre. Vous parlez de protéger les droits des auteurs et des éditeurs mais que faites-vous du droit des lecteurs ? » Toujours le même problème : l'accès au savoir, à la connaissance bloqué par le prix du livre.

Ce fut l'occasion d'évoquer le coût de la traduction. Leïla Chaouni a rappelé que certains éditeurs français, par exemple, étaient prêts à faire traduire un ouvrage pour une somme modique, « uniquement pour respecter le droit moral ». Mais les problèmes rencontrés dans le monde arabe ont des répercussions à l'étranger. « J'ai voulu acheter les droits de l'écrivain Gabriel Garcia Marquez pour le publier en arabe. Mais on me les a refusés sous prétexte que les pays arabes ne respectent pas les droits des traducteurs » a témoigné un éditeur.
Autre coût, souvent oublié, celui des images. Jean-François Barrielle, directeur des éditions Hazan, a expliqué que les beaux-livres, déjà chers à fabriquer, s'exportaient très mal en raison des taxes sur l'image. Il en a profité pour soulever un autre point : il y aurait à la fois pléthore et absence d'images sur le monde arabe. Pour illustrer des textes, il s'est parfois trouvé contraint «d'inventer le sujet du point de vue visuel ». Ce qui lui a permis de réaliser que, «bien souvent, pour un ouvrage portant sur les pays arabes, le regard d'un occidental ne suffit pas.» Et lui d'essayer, autant que possible, d'utiliser les photos ou les dessins d'un «autochtone». «On parle de propriété intellectuelle, de droit d'auteur, de droit moral. Je pense qu'il doit aussi y avoir un droit d'identité». Ce fut l'unique considération « éditoriale » de ce débat qui restait concentré sur d'épineuses questions judiciaro-économiques : droit, coût, diffusion.

«Dans le monde arabe, nous avons besoin du soutien des pouvoirs publics et des pays étrangers», a défendu quelqu'un. «Mais comment vous aider ?» a interrogé une française dans la salle. «En achetant nos livres, lui a t-on répondu à la tribune. Et en vendant moins chers les vôtres». Un effort que les éditeurs français rechignent à faire en dehors de quelques opérations ponctuelles (comme Folio Maroc).
D'où la création de Zellige, une petite maison d'édition qui rassemble quatre éditeurs : le français Emina-Soleil, le Marocain Tarik, l'Algérien Inas et le Tunisien Clairefontaine. «L'idée était d'abolir les frontières entre la France et le Maghreb d'une part, mais aussi entre les trois pays du Maghreb», a expliqué Roger Tavernier, un des responsables de Zellige. Après trente ans dans des maisons d'éditions comme Gallimard et Vivendi, celui-ci a décidé, l'an dernier, de tenter cette aventure à plusieurs. «Nous n'avons pas d'activités communes en permanence, nous décidons, au coup par coup, de publier un livre ensemble». Cinq titres parus à ce jour, dont un roman tunisien (Tunis Blues), un essai de Benjamin Stora, un recueil de photos, une sélection de chroniques de Fouad Laroui et des textes d'écrivains francophones expliquant pourquoi ils écrivent dans cette langue. Le cheval de bataille de Zellige, c'est la francophonie, avec une démarche centrée sur la zone Maghreb. Chaque titre est tiré à environ 5000 exemplaires (contre les 1500 habituels dans un pays du Maghreb) et vendus dans au moins trois des quatre pays du «collectif». 15 euros en France pour le Benjamin Stora, 7 au Maroc et en Tunisie, 4 en Algérie… «Il est un peu tôt pour que ce soit rentable, mais ça fonctionne» s'est félicité Roger Tavernier.

Des initiatives comme celle-ci, il en faut. «Par le passé, nous n'avons pas réfléchi aux moyens de faire baisser le prix du livre, a reconnu le Président des éditeurs panarabes. Parce qu'elle apporte des outils de culture à un coût faible, la piraterie a prospéré. Et cela a bloqué le développement d'autres modes d'accès à la culture. Mais la piraterie va contre la créativité, le copiage tue la créativité. La Société arabe a demandé la protection des produits commerciaux mais ne reconnaît pas la nécessité de protéger les biens culturels et intellectuels. Alors qu'aujourd'hui notre matière première est avant tout intellectuelle. Avant, un pays était riche en fonction de ses ressources naturelles. Maintenant, c'est l'esprit qui devient la base de l'économie du monde à venir.» A bon entendeur.
Lisez nos e-Papers