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Baghdad est-il en crise avec l'ONU ou en guerre contre Washington

L'inquiétude réitérée par notre gouvernement est amplement justifiée car la guerre contre l'Irak est en toute vraisemblance inévitable. On ne peut que s'étonner de l'inflation des écrits les plus «huppés» en approches et en concepts opératoires sur la pai

Baghdad est-il en crise avec l'ONU ou en guerre contre Washington
L'impressionnisme demeure total quant à la trame qui motive les prises de positions exprimées tant au niveau des Etats que de l'intelligentsia de ces temps libéraux.
La question primaire est pourtant simple : Baghdad est-elle en conflit avec les Nations unies (donc multilatéralisme) ou l'est-elle en toute clarté avec les États-Unis (donc bilatéralisme) ? Il est difficile de saisir avec discernement pourquoi y a-t-il une véritable confusion des genres et des logiques, sources de malaise pour l'intelligence des faits.
C'est en cela qu'en toute évidence la position française de ces derniers mois est tout à fait courageuse, quel que soit le risque belliqueux qu'elle comprend en «dernière instance» si l'Irak n'obtempérait pas aux injonctions formelles onusiennes et au fond américaines.
Au-delà des énoncés de la tension régionale ayant conduit à l'invasion du Koweït par l'Irak, de la mobilisation onusienne pour former la coalition pour mener la guerre du Golfe et émettre des résolutions ayant rétabli un certain ordre - dont le désarmement de l'Irak - la question centrale et inévitable souvent indicible : pourquoi a-t-on eu recours à une formule de «coalition» ayant en réalité affirmé le bilatéralisme «Baghdad - Washington» dans la gestion des opérations et des conséquences qui en sont découlées ? Il appartiendra aux historiens désormais de voir comment le glissement s'est fait depuis la mobilisation au nom des Nations unies (ayant même justifié l'assentiment des pays arabes pour rétablir la légalité à Koweït -City) jusqu'à la conduite des opérations principalement américaines et enfin «la procuration» expresse ou tacite, à ce que l'«après-guerre» soit totalement géré en Irak , pour des besoins de surveillance, par les Etats-Unis et leur «binôme» la Grande-Bretagne. C'est de là qu'est né l'impressionnisme qui, tantôt se drape d'un fond onusien pour revenir à la charte et à ce qu'elle a justifié comme résolutions au nom de la légalité internationale et tutti quanti, tantôt repose sur les couleurs chaudes d'un terrain réel, pur et dur, tenu d'une main de fer par Washington et Londres.
Cette double logique n'a pas cessé depuis la guerre du Golfe et le premier épisode des «inspecteurs» arrêté en 1998 n'est que l'expression du malaise du multilatéralisme onusien à s'accommoder du blanc-seing donné aux Anglo-saxons pour conduire le dossier irakien et en conséquence d'imposer une zone moyen-orientale totalement soumise à leur influence.
Si ladite logique a persisté et se repère lors des positions prises à propos du troc «pétrole-nourriture» et qui révèlent en réalité les seuls desiderata anglo-américains confectionnant la volonté multilatérale au Conseil de sécurité, la période clintonienne a néanmoins enregistré un certain profil bas. Une certaine accalmie avait dominé le terrain sans néanmoins nourrir le sentiment qu'on remettait aux lendemains un dossier-clé du devenir moyen-oriental.
Si l'on a tablé sur le désintérêt affiché du Président Buch II, tout fraîchement arrivé à la Maison Blanche à la question du Moyen-Orient au profit de la politique intérieure, des dossiers de la Russie, de la Chine, de l'Amérique Latine, il y a quelque part du strabisme chez les analystes qui soutiennent cette position.
En effet, l'échec des processus de paix de la dernière période clintonienne est tellement lourd de conséquences qu'il ne peut justifier un «retrait» pur et simple des épingles américaines du jeu moyen-oriental. Bush II a nettement dans son discours d'investiture pris fait et cause et sans ambiguïtés pour Israël, capitalisant ainsi la thèse d'un échec des négociations «historiques» totalement imputables aux Palestiniens et à leur chef Arafat. Il donnait ainsi le meilleur coup de pouce déterminant à l'ascension vertigineuse de l'extrémisme prôné par Sharon à ce jour.
La gauche israélienne la plus «colombe» a fait le reste en rejoignant la coalition menée par le fougueux généralissime et surtout en semant jusque dans la pensée «universaliste» l'idée grave qu'il faut se débarrasser d'Arafat et des dirigeants palestiniens actuels «incapables de prendre des décisions historiques … « (Benami in «L'avenir d'Israël»). L'alignement des Américains sur ces propos est patent et a renforcé leur seule présence totale aux côtés d'Israël en tant qu'ultime aboutissement depuis le multilatéralisme de Madrid . Le détour par la question israëlo-palestinienne est inévitable car il démontre comment s'est construite la double logique impressionniste du passage du multilatéralisme au bilatéralisme créant ainsi l'unipolarité attestée précocement surtout dans la région arabe.
Les événements du 11 septembre 2001 donneront la justification nécessaire pour que le bilatéralisme devienne le trait dominant dans l'affaire irakienne déjà connu et affirmé dans celui de la question palestinienne.
L'échec du nationalisme arabe ne se mesurant plus que dans ce qui semble audible dans «la rue arabe» à travers un processus d'information -désinformation lancinant, l'islamisme a ainsi pris le relais que résume «la guerre contre le terrorisme».
L'attaque perpétrée au cœur de l'Amérique est en effet une guerre et la lutte contre le terrorisme justifiait la contre-offensive et l'implacable mobilisation de la coalition soumise à ce que toute la politique américaine vis-à-vis de l'extérieur reposât désormais sur le critère de l'alignement ou non contre ‘Al Qa'ida».
Le traitement de la politique étrangère américaine a partir de ce critère ne peut qu'être totalement compris sur la base de preuves tangibles et il a reçu de la part des Etats normalement constitués le soutien nécessaire.
Cependant le classement hautement stratégique en «Etats-voyous» et surtout en «axe du mal» semble comporter un glissement des positions classiques sur le désarmement, qui peuvent être aisément compréhensibles, vers «le mal», très avéré, du terrorisme.
Ceci a davantage renforcé l'impressionnisme préjudiciable à une conception planétaire privilégiant la paix et dans un monde où tous les événements peuvent tourner facilement en casus belli (motif de guerre).
Il est difficile de soutenir que l'Irak a aidé le terrorisme de nature «islamiste», que l'Iran ait appuyé la stratégie terroriste telle que définie par l'après 11 septembre ou que l'armement nucléaire des Coréens du nord puisse être conçu dans un même axe du mal. Trois points du globe qui n'ont pas de relations privilégiées pour former un axe. Les traiter sur un même modus operandi relève d'une stratégie incohérente. D'ailleurs, dans la réalité opérationnelle, Washington traite séparément les trois dossiers et sur la base d'approches très différenciées. C'est une négociation de type classique avec les nord-Coréens qui s'engage quoique les «défis» lancés à l'ONU et aux Etats Unis par ces derniers sont autrement plus substantiels et concrets en intentions et en décisions en matière d'armement nucléaire. C'est aussi une diplomatie menée en douce avec les Iraniens, peut-être est-ce le signe machiavélique de l'ajournement du conflit ouvert pour «l'après-Saddam» et la fin du dossier irakien ? C'est donc Baghdad qui constitue le noyau dur du cyclone de «l'axe du mal» et on ne peut que relever en quoi l'ONU ne sortira pas grandie dans le traitement du dossier sur la base d'un héritage lourd de la gestion réelle du théâtre des opérations militaires par le binôme Washington-Londres. La position française , encore une fois, a été la plus respectueuse de la légalité internationale sur fond du fâcheux vacuum d'une politique commune franche de l'Union Européenne dans lequel la Grande-Bretagne fait office de dissidence. Il est insoutenable de vouloir à tout pris continuer à propos du dossier irakien d'animer la confusion des approches.
Si le monde vit dans l'approche de la paix comme but ayant animé les intentions et l'expression des réacteurs de la charte de San Francisco, la légalité internationale doit s'apprécier au sein de l'ONU et jamais en son dehors. Il semble que la fin de la guerre froide ait imposé un monde en perte de sens (Z. Laïdi) où le recours à l'ONU n'est qu'un réflexe de remémorisation furtif de la légalité dominée par la puissance où se meut la seule force.
Pour appliquer cela à l'Irak, le «retour des inspecteurs» (conçu sur le ton des séries hollywoodiennes des Jedi etc) est conçu sur la reprise d'une continuité supposée arrêtée en 1998. Ils sont maintenant à Baghdad selon un agenda précis (gestion des opérations d'inspections, remises d'informations par l'Irak, leur traitements … ) qui n'exclut nullement des conflits mais à régler toujours au sein de l'ONU.
Certes, l'»intérieur» de l'ONU obéit à une gestion goémétrique des forces exprimées par les membres (surtout permanents) au Conseil de sécurité. Pas de naïveté à ce propos si les Américains et leur binôme usent de tous les moyens de réorienter les positions au sein de l'ONU. Cela est de bonne guerre et a toujours obéi aux règles issues de la Charte.
Par contre, ce qui semble inadmissible - le mot n'est pas exagéré - est que domine concomitamment à la logique onusienne, celle du conflit né des griefs purement américains (donc bilatéraux) à l'égard de Baghdad. La position d'un Robert Malley (Le Monde du jeudi 9 janvier 2003 p.1 et 13) est instructive mais très pernicieuse sur ce point.
Affirmer , en bon clintonien qu'il est, que «la politique arabe des Etats-Unis a beau être dangereuse, elle n'en repose pas moins sur des grief légitimes» ne sont pas de l'approche interventionniste qu'il semble remettre en cause.
Pendant que la mission des inspecteurs n'a révélé «encore» aucun signe de l'existence d'»armes de destruction massives» sur le territoire irakien alors qu'approche la date du 27 janvier, le paradoxe est que la préparation de la guerre bat son plein comme s'il n'y avait aucun lien entre l'objectif onusien et la politique anglo-américaine en Irak. Il est inutile de chercher à les relier coûte que coûte car c'est effort vain.
Le désarmement de l'Irak peut être admis dans une logique onusienne de la gestion de la guerre du Golfe et ses conséquences. Il ne peut cependant être confondu avec les «griefs légitimes» que peut avoir l'Amérique à l'égard des pays arabes dont Baghdad est actuellement le point chaud avec Jérusalem et peut-être demain les autres capitales.
C'est pour cela qu'il est inadmissible que la pensée stratégique puisse affirmer , comme au temps des cqnonnières, que «l'avenir de l'Irak est suspendu au calendrier de l'intervention militaire américaine» (R. Malley) , cynique aveu de l'exclusion de la logique onusienne paisible que prône courageusement les héritiers de De Gaulle comme retour à la raison et non aux impulsions pour définir la menace.
Quels que soient les «griefs légitimes» sur la nature des régimes arabes, leurs déficits tous azimuts jugés à l'aune «de la Démocratie en Amérique», le traitement du devenir irakien, et a fortiori arabe, ne peut être admis selon l'angle et l'approche interventionniste comme «accélérateur de ‘l'histoire». Car derrière ces bonnes intentions «samaritaines» se terrent les actions «civilisatrices» du colonialisme direct d'hier payées par les peuples à prix fort, des «alliances pour la paix» qui dissimulaient mal le «big stick « (gros bâtons) des hégémonismes.
A y voir clair, le dossier irakien est un nœud où se trouve la confusion des logiques onusienne (de paix) et purement bilatérale fondée sur «les griefs» justifiant la guerre.
C'est dire qu'il ne faut pas s'abandonner à la fatalité ni se fonder sur la constatation de la violence de la nature humaine (constat kantien) pour s'épargner tout effort en vue de construire la paix. Certes, toutes les relations entre individus et entre Etats comportent une composante de conflit, et tant qu'il y aura des hommes il se battront. Est-ce une raison pour ne pas faire diligence vers le mieux ? S'évertuer à bâtir une paix universelle qui menace ruine - comme dans ce dossier irakien - n'est pas faire œuvre stérile.
la voie royale de la paix n'est peut-être pas encore ouverte ; mais le développement du droit international (en risque de régression actuellement), les progrès des mœurs ou encore le souvenir commun (et non monopolisé) des dommages apocalyptiques que causeraient les armes de destruction massives … ont tracé autant de sillons qu'il faudrait réactiver.
Périlleuse et incertaine, davantage constatée depuis le 11 septembre, la construction de la paix le dispute en difficultés et en dépense d'énergie au travail de Sisyphe. «Entre le sol de l'impossible de l'horizon de l'espérance, l'humanité de l'homme consiste, au milieu des périls sans cesse renouvelés de la guerre, à assumer la tâche sans fin de construire la paix, comme ce qui, sans doute, ne sera jamais, devait être» (S. Goyard - Fable in «la construction de la paix ou le travail de Sisyphe). La paix envisagée comme telle vaut le combat et elle doit être conditionnée par le retour au giron onusien commandé totalement par le multilatéralisme. Autrement, le travail de Sisyphe ne sera jamais paisible.

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