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Boualem Sansal, Dis-moi le paradis : une heure pour les braves

L'écrivain algérien Boualem Sansal était haut fonctionnaire au ministère de l'Industrie. Depuis peu, il n'occupe plus ce poste, mais vit toujours en Algérie, pour mieux la raconter. Dans Dis-moi le paradis, son troisième roman, il recueille les récits d'u

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L'enfant est un motif cher à Boualem Sansal. Dans son précédent roman, L'Enfant fou de l'arbre creux, l'écrivain figurait le peuple algérien par l'allégorie d'un enfant aveugle enchaîné à un arbre mort. Le titre de son nouvel ouvrage, Dis-moi le paradis, provient du murmure d'un enfant des rues dont les parents auraient été massacrés par des terroristes. Le docteur Tarik, dit « Doctarik », a trouvé le garçon à Palestro dans un rade décapi. Profitant d'une halte, il était en train d'avaler une loubia d'apparence suspecte quand il a senti sa présence dans son dos : l'enfant le regardait comme « celui qui doit venir ». Profondément troublé, Doctarik l'a embarqué sur ces simples mots : « Nous avons une habitude qui te plaira : quand la douleur est intolérable on parle du paradis, on sait le faire comme personne. Tu verras, c'est beau, ça fait du bien et ça coûte pas un radis ». « On », c'est lui et toute la clique du Bar des Amis à Alger. « Quand tu touches le fond, forcément, tu lèves le regard et alors tu vois la lumière. Ce sont les forçats qui parlent le mieux de la liberté, les vieux de la jeunesse, les malheureux du bonheur, les ratés de la réussite. Imagine de quoi est capable le Bar des Amis avec le ramassis que nous sommes. Tous des cervelles pâteuses. Si c'est pas le paradis, c'est un sosie. »
Dans leur forteresse d'un Bab El Oued en perdition, les « Amis » font et défont le monde, échappant un instant aux attentats et à la peur. Il y a le patron, Ammi Salah, ancien maquisard et ancien bistrotier kabyle de Barbès ; « Chkoupi » (« foutaises »), l'Amoureux malheureux, le journaliste ML pour « Mauvaise langue », Cac 40 et ses magouilles pécunières... Boualem Sansal y est aussi sous le nom de sa fonction : écrivain. Il s'apprête à commencer un nouveau livre sur les tribulations d'un Banthounais à Paris. Mais Doctarik le presse de rapporter la stupéfiante aventure qu'il vient de vivre à Msila et sa rencontre avec l'enfant des rues. Alors ils concluent un marché : écrire un livre ensemble, un chapitre chacun, un texte à plusieurs mains.

Un livre à plusieurs mains

La partie de l'écrivain, en plus de son mystérieux Banthounais, s'enrichit rapidemment des bruits du comptoir, des confidences de l'un, du passé de l'autre. Mais l'histoire centrale reste celle du Doc et de son étrange séjour à Msila où il a accompagné sa cousine française au chevet de sa mère. A leur arrivée, la vieille femme était morte et le bled coulait lentement sous une épidémie de choléra. Aidé de quelques égarés dont un incroyable gnome sorcier, il a entrepris de juguler la maladie. Pour découvrir, dans les montagnes, un secret tû par les ancêtres.
Sous les attentats, le choléra, les inondations de novembre 2001, les discours politiques ânonnés avec « une voix de robot mort depuis longtemps de soumission », l'Algérie croûle, l'Algérie crie. Mais les gens continuent à vivre. De quoi parlent-ils ? A quoi rêvent-ils ? Florilège de souvenirs, d'événements ou d'anecdotes rassemblés par Boualem Sansal dans Dis-moi le paradis. On y retrouve la vitalité et la foisonnance de son écriture qui détourne ici adages et maximes, qui glisse là des échanges truculents. Moins de révolte expulsée dans ce texte que dans les précédents, mais une colère plus sourde, plus proches des individus et de leur quotidien. Et toujours ces parenthèses poétiques, mélange d'humilité et d'intensité. Les changement de narrateur déstabilisent parfois. Qui est « je » ? Qui est « il » ? Mais qu'importe : ces histoires sont un peu les leurs à tous, ils se les sont tant racontées. En les couchant par écrit, les compère du Bar des Amis espèrent, par plaisanterie, « faire de ce bouge infâme le Procope d'Alger ». Parce que, pour eux tous : « Où finit le monde commence l'Algérie et là, quelque part, sur un esquif branlant, vivant par miracle, nous attendons. Il y a toujours une heure pour les braves ».
Boualem Sansal, Dis-moi le paradis. Gallimard, 320 p.
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