Sa mère a fini par l’appeler comme son frère, fatiguée de se tromper et de se corriger. Et lui d’accepter comme unique substitut d’amour le prénom de l’aîné, l’enfant prodige, parfait, gâté, parti faire ses classes à l’école des cadets. «Mon frère est né pour être heureux. Le hasard a mis toutes les chances de son côté. Y compris les miennes.» A cinq ans, le narrateur a trouvé son père suspendu à un crochet dans l’étable, les yeux crevés et le sexe dans la bouche. Il est resté avec sa mère mais il a grandi sans elle, loin d’elle, reine altière et impénétrable qui s’est contentée de l’éviter.
Ou de le fuir ? «On dirait qu’elle panique quand je l’appelle Maman». Elle n’a d’yeux que pour Cousine K, fillette de neuf ans qui fait fondre tout le monde avec ses yeux de déesse, que chacun prend pour un ange mais qui cache une démone, «méchante et égoïste, fielleuse et rancunière». Capable, du haut de sa prétendue candeur, de régenter le martyre de son cousin qui l’admire et la déteste. «Elle était ce que Dieu, dans son Immense générosité, pouvait concevoir de mieux (...) Mais le Diable la voulait pour lui tout seul.
Depuis, mes jours me sont devenus étrangers et mes nuits des concubines ingénues.»
De livre en livre, Yasmina Khadra approfondit sa grande fresque des ombres de l’âme humaine. Son style s’affine, concentrant de mieux en mieux ce mélange de douceur et de brutalité qui le caractérise, pour former une phrase sculpturale à l’impact saisissant. Long récit ou court roman, Cousine K fait entendre la voix intime, trop proche, d’un enfant mal-aimé et délaissé qui s’efface progressivement, jusqu’à n’être plus que le contour d’un être. «Je ne vivais pas, non ; je hantais notre maison tel un esprit frappeur domestiqué, ne suscitant ni effroi ni intérêt, sauf, peut-être par moments, un agacement que je n’ai jamais réussi à reconnaître...»
Il regarde ses proches comme des sourires, des éclats d’ignorance ou de douleur. Sa mère, Cousine K, son grand frère, son chat... autant de rayons de soleil qui le brûlent parce qu’ils ne l’éclairent pas, ou trop. Dès que sa mère apparaît, il se cache, s’enferme, et cultive sa transparence derrière sa fenêtre. «Du haut de mon mirador, suspendu entre le lyrisme du souvenir et la décomposition de l’absence, je fixe inlassablement le village désarticulé au bas de la colline. J’essaye de piéger les secrets derrière les portes closes, de déjouer les complots au détour des ruelles ; je n’y arrive pas.» Un regard d’artiste dans une conscience qui se serre dangereusement. Yasmina Khadra décrit combien ce peut être terrible de manquer d’attention, de ne servir à rien, de n’être rien pour personne au milieu de gens qui s’aiment trop manifestement. «J’ignore pourquoi je suis venu au monde, pourquoi je dois le quitter. Je n’ai rien demandé ; je n’ai rien à donner. Je ne fais que dériver vers quelque chose qui m’échappera toujours.» Malheureusement.
Cousine K de Yasmina Khadra, Ed. Julliard.106 p
Ou de le fuir ? «On dirait qu’elle panique quand je l’appelle Maman». Elle n’a d’yeux que pour Cousine K, fillette de neuf ans qui fait fondre tout le monde avec ses yeux de déesse, que chacun prend pour un ange mais qui cache une démone, «méchante et égoïste, fielleuse et rancunière». Capable, du haut de sa prétendue candeur, de régenter le martyre de son cousin qui l’admire et la déteste. «Elle était ce que Dieu, dans son Immense générosité, pouvait concevoir de mieux (...) Mais le Diable la voulait pour lui tout seul.
Depuis, mes jours me sont devenus étrangers et mes nuits des concubines ingénues.»
De livre en livre, Yasmina Khadra approfondit sa grande fresque des ombres de l’âme humaine. Son style s’affine, concentrant de mieux en mieux ce mélange de douceur et de brutalité qui le caractérise, pour former une phrase sculpturale à l’impact saisissant. Long récit ou court roman, Cousine K fait entendre la voix intime, trop proche, d’un enfant mal-aimé et délaissé qui s’efface progressivement, jusqu’à n’être plus que le contour d’un être. «Je ne vivais pas, non ; je hantais notre maison tel un esprit frappeur domestiqué, ne suscitant ni effroi ni intérêt, sauf, peut-être par moments, un agacement que je n’ai jamais réussi à reconnaître...»
Il regarde ses proches comme des sourires, des éclats d’ignorance ou de douleur. Sa mère, Cousine K, son grand frère, son chat... autant de rayons de soleil qui le brûlent parce qu’ils ne l’éclairent pas, ou trop. Dès que sa mère apparaît, il se cache, s’enferme, et cultive sa transparence derrière sa fenêtre. «Du haut de mon mirador, suspendu entre le lyrisme du souvenir et la décomposition de l’absence, je fixe inlassablement le village désarticulé au bas de la colline. J’essaye de piéger les secrets derrière les portes closes, de déjouer les complots au détour des ruelles ; je n’y arrive pas.» Un regard d’artiste dans une conscience qui se serre dangereusement. Yasmina Khadra décrit combien ce peut être terrible de manquer d’attention, de ne servir à rien, de n’être rien pour personne au milieu de gens qui s’aiment trop manifestement. «J’ignore pourquoi je suis venu au monde, pourquoi je dois le quitter. Je n’ai rien demandé ; je n’ai rien à donner. Je ne fais que dériver vers quelque chose qui m’échappera toujours.» Malheureusement.
Cousine K de Yasmina Khadra, Ed. Julliard.106 p
