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Dans les quartiers populaires de Tanger : les oubliés de la campagne électorale

Dans la commune de Fahs-Beni Makada, le temps électoral est comme suspendu. Dans la misère et le dénuement, les habitants de ces quartiers ne croient plus à la politique. Les jeunes d’ici le vivent, de manière encore plus exacerbée, depuis les cafés

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Le lotissement porte le nom de Saddam, dans la commune Fahs-Beni Makada. Curieuse appellation pour un quartier où l’habitat sauvage et clandestin fait foison. L’explication pourtant est d’une désarmante simplicité et témoigne d’un désespoir qui se fait ironie. « Ce quartier est né en 1991 en pleine guerre du Golfe. Les bidonvillois menaient presque des batailles rangées pour obtenir un lot », explique un jeune du Hay.

Dans les ruelles, en terre battue, des maisons se dressent. Les unes à côté des autres, les unes sur les autres. Ici, quelque 2000 lots ont été vendus pour que le dur remplace le dur. Et dans la blanche Tanger, ce quartier porte la couleur de la brique, la couleur de l’inachevé. A Hay Saddam, les gens ont appris à vivre avec pour seul horizon des monticules de détritus, à l’ombre de ce mur d’enceinte où l’on peut lire, entre cynisme et humour noir, qu’ « il est interdit de jeter des ordures sous peine de poursuite judiciaire ».
A quelques kilomètres du centre-ville, ici en périmètre urbain, les petites filles sont toujours condamnées à la corvée de l’eau. Le rituel est presque immuable. Elles se rendent en grappe à la fontaine, munies de bidons
Des élections à Hay Saddam ? On a peine à le croire. Ceux d’ici sont visiblement les oubliés de la campagne électorale.

Les rares murs réservés aux affiches des candidats sont nus. Rares sont ceux parmi les candidats ou autres responsables qui s’aventurent dans le ce Hay, né dans la tourmente de la première guerre du Golfe. Des vies de rien se sont donc organisées. Entre le désœuvrement et misère.
Refuge dans la religion, parfois aussi. Mohamed El Badri est électricien. La cinquantaine solide et l’œil bleu des Jbalas, il déclare péremptoire qu’il n’ira pas voter. « Pas confiance. Tous les mêmes », bougonne-t-il. Beni Makada est réputé être le fief des islamistes. Fouillant dans ses souvenirs, Mohamed en a de belles à raconter. « Dans les années 1970, je portais la barbe. Je m’occupais de l’électricité et du micro de la mosquée de Zemzemi. Pendant 10 ans, j’ai eu à bien les connaître. Derrière leur discours, la réalité est toute autre. Ils vivaient dans l’opulence et préconisaient exactement le contraire à nous autres. C’est quelque part à cause d’eux que je me suis retrouvé à Hay Saddam ».

L’image désastreuse de la gestion communale.

A Beni Makada, la misère a nourri l’image dénaturée, malmenée et profondément fausse de la religion. « La commune a longtemps été associée à l’asile psychiatrique qui se trouve sur son territoire », soupire Omar le Tangérois comme pour expliquer cette folie qui fait sombrer dans l’extrême. En traversant le marché, entre les étals de fruits et légumes, il n’est pas rare, loin s’en faut, de rencontrer ceux qui portent barbes et tenues afghanes. A quelques encablures du cinéma Tarik, à la gloire passée et jamais retrouvée, les vendeurs, barbus, ambulants et à la sauvette, parsèment notre chemin. La misère est au sud. Les routes sont crevassées. Visiblement le ramassage des ordures ne se fait pas.

La gestion communale a ici une image et elle est désastreuse. A Hay Essalam, un quartier érigé dans les années 1970, quelques jeunes tuent le temps dans le café populaire du coin. Collée sur la porte en fer, une affichette accueillie par «Non à la guerre contre l’Irak et la Palestine ». Ils tuent le temps, à coup de café et de thé, les yeux rivés sur la télévision que le propriétaire du café a accroché bien haut. Toute la journée, le poste déverse des flots d’images satellitaires.
« On ne regarde jamais la télé de Rabat. Plutôt les espagnoles et les allemandes », indique Bachir 30 ans et au chômage. « Les élections ? La campagne n’a presque pas commencé. Il y a bien de temps en temps des tracts qui sont distribués. Franchement, je n’ai pas l’impression qu’il y a des élections », nous dit-il avant de confier à voix basse que « les temps sont durs, il devient dangereux de distribuer de l’argent. Forcément après, les gens sont un peu démobilisés » .

A Tanger comme ailleurs à travers le pays, les élections étaient jusque-là une occasion de se faire un peu d’argent. Une sorte de travail saisonnier.
Bachir, jeune trentenaire du quartier qui depuis sa naissance ne l’a jamais quitté est incapable de révéler les noms des candidats en lice. Il a beau chercher, rien n’y fait, il ne sait pas. Pourtant ici, nous apprendra son voisin de table du café Essalam, des jeunes du quartier se sont fait candidats. Un menuisier d’ici « qui connaît les gens d’ici et surtout leurs problèmes ». « Au moins lui, il ne fera pas comme les autres, tous ceux qui gagnent et qu’on ne revoit plus au lendemain des résultats ». A ses côtés le jeune Rachid, serveur du café annonce qu’il ne votera pas.
A 21 ans, ce jeune originaire de Tétouan venu à Tanger pour « trouver du travail » est déjà blasé. Les élections, la politique, tout cela ne l’intéresse absolument pas.
Ici, à Hay Essalam, ces jeunes ont entendu parler de « ces barons de Tanger qui n’ont pas été autorisés à participer aux élections du 12 septembre ».
Commentaire inspiré de Mohamed le menuisier : « Depuis le temps qu’ils se présentent aux élections, il n’était pas trop tôt. Tout le monde sait ici comment ils gagnaient, par la force de l’argent ».
Quelques kilomètres plus loin, c’est la même réalité, le même constat qui claque comme une gifle : une perte de confiance immense, une décrédibilisation du politique incommensurable. Nous sommes à Mesnana et au bout du quartier construit en hauteur, la forêt des harragas.

Difficile de croire que Tanger l’opulente est à quelques mètres à peine. C’est un quartier comme on ne voudrait plus en voir en 2003.
Sans eau courante, les familles sont obligées de louer les services d’un mulet pour le transport des bidons d’eau, 1m3 d’eau est vendu à 20 dhs. D’une maison à l’autre, d’une famille à l’autre, c’est la même itération : « Il n’y a qu’à voir où l’on vit. Et vous pensez que nous allons encore croire aux politiques ». « Qu’ont-ils fait pour nous ? Cela fait 25 ans que je vote et mes conditions de vie sont toujours de plus en plus difficiles. Ne me parlez surtout pas de candidats ou d’élus », s’exclame Haj Abdelkader, père de 14 enfants. Ses paroles déclamées sur le mode du discours de campagne provoquent une salve d’applaudissements de gamins que les élections n’ont jamais autant amusés. La vieille Fatima n’en finit pas de hocher la tête. Elle votera, dit-elle, selon son cœur mais sans se faire d’illusions.

« Les élus ne servent que leurs propres intérêts et se soucient très peu du peuple ».
Dans ces quartiers, de Hay Saddam à Mesnana ou Hay Essalam, c’est le même sentiment de lassitude qui plane.
Le temps électoral est comme suspendu. Les promesses non tenues, les conditions de vie précaires ont fini par tuer toute forme d’engagement dans ces parties de la ville du Détroit.
Depuis quelques mois déjà, la société espagnole en charge de l’adduction d’eau, d’électricité et d’assainissement a entamé de grands travaux dans plusieurs quartiers de la ville. Et les Tangérois en ont fait une anecdote. « La commune ? De quelle commune parlez-vous ? Vous voulez dire la commune d’Amendis », du nom de la société d’eau et d’électricité.
Ce samedi 6 août, la campagne électorale n’avait toujours pas ses clameurs, ses harangueurs, ceux qui mobilisent les troupes, à l’image des chauffeurs de salle. Seuls les enfants des marchés de Beni Makada sont contents.

Les tracts électoraux leur donnent l’occasion de fabriquer des fusées en papier tandis que leurs aînés, eux, s’interdisent de tirer des plans sur la comète.
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