Une journée de la vie d’une femme et la vie d’une femme en une journée : c’est sur ce principe que l’écrivain britannique Virginia Woolf a bâti son roman, Mrs Dalloway. Rompant avec les formes traditionnelles du récit, elle entendait coller à son personnage au point de transcrire la fugacité de ses impressions, l’intensité de ses sensations, les flux de sa conscience. Mrs Dalloway, sujet et personnage, est le fil rouge et le point de fuite, du film The Hours, adapté du roman éponyme de Michael Cunningham.
Le scénario s’articule autour de non pas une mais trois femmes, à trois époques différentes. Dans les années quarante, Virginia Woolf elle-même (Nicole Kidman), écrit Mrs Dalloway retirée dans la campagne anglaise à l’aube de son suicide. Dix ans plus tard à Los Angeles, Laura Brown (Julianne Moore), jeune femme au foyer, lit Mrs Dalloway et confectionne, avec son petit garçon, un gâteau pour l’anniversaire de son mari. En 2001 à New York, l’éditrice Clarissa Vaughan (Meryl Streep) prépare une réception pour un de ses auteurs et ancien amant qui se meurt du sida et l’a surnommée Mrs Dalloway.
L’écrivain, la lectrice, l’incarnation moderne du personnage : le scénario fait habilement s’emboîter trois histoires parallèles, qui n’auraient presque rien à voir entre elles s’il n’y avait ce lien-prétexte de la littérature. Entre chacun, des couloirs communicants que l’on emprunte par association d’images ou de pensées. Truchements, pas toujours pertinents mais parfaitement efficaces, qui permettent d’éviter une narration trop linéaire, de masquer les collages et de souligner les prouesses de Stephen Daldry. Le réalisateur du fameux Billy Elliot a préféré l’exagération à la sobriété : la présentation des personnages frôle la série de clichés. Point de vue qui se défend finalement : on pense à des gravures qui s’animeraient soudain. Trois personnages féminins s’éveillent et effectuent, dans leur cadre, leur petit manège matinal. Ces scènes pourraient être douces, elles sont terriblement angoissantes. Une musique omniprésente (composée par Philip Glass) suggère et maintient, à grand coups d’archets, une incompréhensible tension. A l’écran, rien : la vie normale. Mais derrière son vernis trop brillant et trop lisse, l’impression insoutenable qu’un drame terrible couve, on ne sait où. Ces trois femmes sont surprises à cet instant où leur vie s’apprête à basculer. En équilibre entre la banalité de leur existence et l’emballement de leur tic-tac intérieur, elles se contrôlent mais tremblent, terrassées du dedans. Puis, comme mobilisées par un souci d’émancipation ultime, elles affrontent leur monstre intérieur.
A fleur de peau
Rendue un peu trop grimaçante et dérangée par une Nicole Kidman grimée, l’écrivain Virginia Woolf s’aventure dans ses profondeurs internes pour dérober à la folie et à la mort les plus troublantes phrases de son livre. (Qu’elle a écrit, au passage en 1925, et n’est morte que seize ans plus tard, en 1941). Effigie propagandiste mais subversive du « Home Sweet Home », Laura Brown hésite entre la mort que représente sa vie et la mort qui lui rendrait sa vie, sous les traits d’une Julianne Moore intriguante de mystère et d’intensité contenue. Clarissa-Meryl Streep, la plus contemporaine et la plus humaine, incarne, à fleur de peau, le grand chamboulement des émotions. Empêtrée par l’ombre de Mrs Dalloway, elle s’évertue à tirer vers la vie un homme qui ne retarde sa mort que pour lui plaire encore.
L’Oscar qui a récompensé Nicole Kidman pour son interprétation aurait pu échoir aux deux autres actrices. Car Julianne Moore et Meryl Streep illuminent la mise en scène, doublent ses lourdeurs et ses zones d’ombres et donnent à leurs textes des accents de justesse et de vérité.
L’angoisse comme fossé définitif entre deux personnes qui s’aiment, la mort comme expérience ou solution, le regard inquiétant du poète visionnaire : The Hours est loin d’être un film gai. Mais, porté par sa dimension littéraire et la subtilité de ses trois fées, il réussit à faire éclore de la détresse un éloge de la vie. Avec cette idée, persistante, qu’une Mrs Dalloway pourrait bien être tapie au fond de chacun de nous.
The Hours, film américain (2001) de Stephen Daldry avec Nicole Kidman, Julianne Moore, Meryl Streep, Allison Janney, Ed Harris.
* Malgré la difficulté de programmer, actuellement, des événements culturels, l’avant-première de The Hours, organisée hier soir au Megarama de Casablanca par Carte Noire, a été maintenue.
Le scénario s’articule autour de non pas une mais trois femmes, à trois époques différentes. Dans les années quarante, Virginia Woolf elle-même (Nicole Kidman), écrit Mrs Dalloway retirée dans la campagne anglaise à l’aube de son suicide. Dix ans plus tard à Los Angeles, Laura Brown (Julianne Moore), jeune femme au foyer, lit Mrs Dalloway et confectionne, avec son petit garçon, un gâteau pour l’anniversaire de son mari. En 2001 à New York, l’éditrice Clarissa Vaughan (Meryl Streep) prépare une réception pour un de ses auteurs et ancien amant qui se meurt du sida et l’a surnommée Mrs Dalloway.
L’écrivain, la lectrice, l’incarnation moderne du personnage : le scénario fait habilement s’emboîter trois histoires parallèles, qui n’auraient presque rien à voir entre elles s’il n’y avait ce lien-prétexte de la littérature. Entre chacun, des couloirs communicants que l’on emprunte par association d’images ou de pensées. Truchements, pas toujours pertinents mais parfaitement efficaces, qui permettent d’éviter une narration trop linéaire, de masquer les collages et de souligner les prouesses de Stephen Daldry. Le réalisateur du fameux Billy Elliot a préféré l’exagération à la sobriété : la présentation des personnages frôle la série de clichés. Point de vue qui se défend finalement : on pense à des gravures qui s’animeraient soudain. Trois personnages féminins s’éveillent et effectuent, dans leur cadre, leur petit manège matinal. Ces scènes pourraient être douces, elles sont terriblement angoissantes. Une musique omniprésente (composée par Philip Glass) suggère et maintient, à grand coups d’archets, une incompréhensible tension. A l’écran, rien : la vie normale. Mais derrière son vernis trop brillant et trop lisse, l’impression insoutenable qu’un drame terrible couve, on ne sait où. Ces trois femmes sont surprises à cet instant où leur vie s’apprête à basculer. En équilibre entre la banalité de leur existence et l’emballement de leur tic-tac intérieur, elles se contrôlent mais tremblent, terrassées du dedans. Puis, comme mobilisées par un souci d’émancipation ultime, elles affrontent leur monstre intérieur.
A fleur de peau
Rendue un peu trop grimaçante et dérangée par une Nicole Kidman grimée, l’écrivain Virginia Woolf s’aventure dans ses profondeurs internes pour dérober à la folie et à la mort les plus troublantes phrases de son livre. (Qu’elle a écrit, au passage en 1925, et n’est morte que seize ans plus tard, en 1941). Effigie propagandiste mais subversive du « Home Sweet Home », Laura Brown hésite entre la mort que représente sa vie et la mort qui lui rendrait sa vie, sous les traits d’une Julianne Moore intriguante de mystère et d’intensité contenue. Clarissa-Meryl Streep, la plus contemporaine et la plus humaine, incarne, à fleur de peau, le grand chamboulement des émotions. Empêtrée par l’ombre de Mrs Dalloway, elle s’évertue à tirer vers la vie un homme qui ne retarde sa mort que pour lui plaire encore.
L’Oscar qui a récompensé Nicole Kidman pour son interprétation aurait pu échoir aux deux autres actrices. Car Julianne Moore et Meryl Streep illuminent la mise en scène, doublent ses lourdeurs et ses zones d’ombres et donnent à leurs textes des accents de justesse et de vérité.
L’angoisse comme fossé définitif entre deux personnes qui s’aiment, la mort comme expérience ou solution, le regard inquiétant du poète visionnaire : The Hours est loin d’être un film gai. Mais, porté par sa dimension littéraire et la subtilité de ses trois fées, il réussit à faire éclore de la détresse un éloge de la vie. Avec cette idée, persistante, qu’une Mrs Dalloway pourrait bien être tapie au fond de chacun de nous.
The Hours, film américain (2001) de Stephen Daldry avec Nicole Kidman, Julianne Moore, Meryl Streep, Allison Janney, Ed Harris.
* Malgré la difficulté de programmer, actuellement, des événements culturels, l’avant-première de The Hours, organisée hier soir au Megarama de Casablanca par Carte Noire, a été maintenue.
