«Casablanca Casablanca» se présente comme une chronique sociale agrémentée d'une intrigue policière. Chez une cinéaste plutôt tournée vers la culture, le patrimoine, le rêve, qu'est-ce qui a motivé ce changement de genre ?
L'envie d'une prise de parole citoyenne. Ce film est une forme d'engagement. En 1996 à l'époque de la grande campagne d'assainissement, je séjournais chez mon frère à Casablanca. Tous les soirs, il nous racontait les malheurs de ses employés. La psychose se répandait . Au début, tout le monde était d'accord : il fallait assainir les circuits commerciaux, les administrations. Mais cela s'est fait en dépit des lois. Il y a eu des abus épouvantables. Ce sont des choses que j'ai vécues de très près. Le livre de Rida Lamrini, Les Puissants de Casablanca, m'y a replongée. J'avais l'impression de connaître cette histoire, comme si je l'avais écrite. Je me suis dit : j'ai assez rêvé, c'est à nous de changer les choses. Il faut qu'on se manifeste, qu'on fasse parler la majorité silencieuse.
Parmi les dérives que dénonce le roman de Rida Lamrini quel est l'axe que vous avez privilégié?
Celui de la justice. Cette campagne a donné lieu à des procès pour l'exemple et à de nombreux glissements. Beaucoup d'innocents ont payé pour les coupables. Or je pense qu'il ne peut y avoir de démocratie sans justice. Justice saine, droits de l'homme sont des thèmes que l'on retrouve au fil des conversations dans le film.
Les puissants de Casablanca est le premier ouvrage que vous adaptez au cinéma, que pensez-vous de cette expérience ?
En fait, j'avais déjà travaillé à l'adaptation d'une pièce de Federico Garcia Lorca : La Casa de Bernarda Alba, mais le film n'est pas sorti. Pour «Casablanca Casablanca», mon problème était de bien respecter le texte, j'avais peur de trahir l'auteur. Son livre est très «visuel» mais il fallait une narration, un rythme spécial pour l'écran. J'ai longuement travaillé sur le scénario. Et puis Ahmed Boulane m'a aidée à le structurer. Le film me paraît moins mélodramatique que le livre. J'ai rajouté certaines scènes en fonction d'événements qui m'avaient marquée comme la création de Afak, association pour l'environnement. Dans le film, la femme de Amine s'engage pour la défense de l'environnement, on la voit ramasser des sacs en plastiques sur la plage avec des enfants. J'ai voulu développer les personnages féminins -les hommes y pensent rarement- et les présenter comme des femmes actives. Il y a aussi des passages du livre que je voulais filmer absolument comme celui où Ba Lahcen, épuisé dans la rue, croise le regard du gosse de riche qui passe en voiture. C'est un moment intense, un des ces hasards forts de l'existence.
Dans votre film, Amine et Alia, un couple, reviennent du Canada pour travailler au Maroc. Mais ils sont frappés, et blessés, par ce qu'ils découvrent. Que vouliez-vous signifier?
Le Maroc a changé depuis notre enfance. La société de consommation a détruit beaucoup de valeurs comme le respect des autres, la cordialité, la fraternité. J'ai voulu décrire la société d'aujourd'hui en étant le plus crédible possible. Avec le problème de la langue par exemple : Alia, qui a vécu au Canada et parle français avec son mari, dit à son fils de parler arabe. C'est ce qu'on répète tout le temps : parle arabe, parle arabe, alors que nous parlons français, beaucoup d'arabisants nous le reprochent. Des dialogues aux sous-titres, le film reproduit ces allers-retours du français à l'arabe que nous faisons tous les jours.
Dans votre galerie de personnages, il y a ceux qui subissent le système, ceux qui en profitent, ceux qui y résistent : représentent-ils différentes situations et différents choix possibles ?
Tout en ayant peur de tomber dans la caricature, j'ai cherché à transcrire une réalité : la fuite des cerveaux à l'étranger ; les enfants de milieux défavorisés qui veulent passer la frontière ; des riches qui sont au-dessus des lois, même religieuses, leur impunité. Et puis, surtout, les gens qui résistent. Par intégrité, comme Amine ou l'officier Bachir, par conviction comme Youssef le journaliste, qui a fait de la prison. Il dit d'ailleurs: «doit-on aller dans les pays où tout est prêt ?» Chacun fait ce qu'il peut.
Derrière la crise politico-sociale, vouliez-vous dresser un portrait de «Casa l'ogresse»?
Certainement. J'ai vécu à Casablanca dans mon enfance. Je l'ai toujours entendue appeler «l'Ogresse», peut-être parce qu'elle fait peur, attire, grossit. C'est une ville que j'aime et où je reviens souvent. En tant que Tangéroise, j'étais attendue au tournant : tourner un film à Casablanca était une sorte de défi. J'ai voulu montrer la ville telle qu'elle est, avec sa pollution, son vacarme, ses trafics mais aussi le charme de sa medina, sa grande mosquée, ses quartiers riches.
Youssef, le journaliste, travaille à L'Economiste. Quel est le rôle de ce journal dans cette histoire ?
L'Economiste a eu une attitude très engagée au moment de la campagne d'assainissement. Il a été partie prenante. Je m'en suis servi, notamment en soulignant une phrase du journal disant que tout repose sur la confiance qu'on peut avoir en un système. Si la confiance s'effondre, le système court à sa perte. L'Economiste a aussi publié le livre de Rida Lamrini en feuilleton. Et j'ai tourné le film dans les vrais locaux de la rédaction.
Après Les Puissants de Casablanca, Rida Lamrini a écrit Les Rapaces de Casablanca. Pensez-vous adapter cette seconde partie ?
Je ne sais pas vraiment. Pour l'instant, j'aurais tendance à penser : «j'ai dit tout ce que j'avais sur le coeur, je peux aller rêver à nouveau». Et puis je ne vais pas me spécialiser dans le pamphlet. Mais nous allons d'abord voir si le film est apprécié. Et puis je travaille à un autre projet adapté du roman de Juanita Narboni, La vie de chienne (La vida perra). L'histoire se passe à Tanger dans les années soixante-dix. J'espère pouvoir commencer à tourner en septembre.
L'envie d'une prise de parole citoyenne. Ce film est une forme d'engagement. En 1996 à l'époque de la grande campagne d'assainissement, je séjournais chez mon frère à Casablanca. Tous les soirs, il nous racontait les malheurs de ses employés. La psychose se répandait . Au début, tout le monde était d'accord : il fallait assainir les circuits commerciaux, les administrations. Mais cela s'est fait en dépit des lois. Il y a eu des abus épouvantables. Ce sont des choses que j'ai vécues de très près. Le livre de Rida Lamrini, Les Puissants de Casablanca, m'y a replongée. J'avais l'impression de connaître cette histoire, comme si je l'avais écrite. Je me suis dit : j'ai assez rêvé, c'est à nous de changer les choses. Il faut qu'on se manifeste, qu'on fasse parler la majorité silencieuse.
Parmi les dérives que dénonce le roman de Rida Lamrini quel est l'axe que vous avez privilégié?
Celui de la justice. Cette campagne a donné lieu à des procès pour l'exemple et à de nombreux glissements. Beaucoup d'innocents ont payé pour les coupables. Or je pense qu'il ne peut y avoir de démocratie sans justice. Justice saine, droits de l'homme sont des thèmes que l'on retrouve au fil des conversations dans le film.
Les puissants de Casablanca est le premier ouvrage que vous adaptez au cinéma, que pensez-vous de cette expérience ?
En fait, j'avais déjà travaillé à l'adaptation d'une pièce de Federico Garcia Lorca : La Casa de Bernarda Alba, mais le film n'est pas sorti. Pour «Casablanca Casablanca», mon problème était de bien respecter le texte, j'avais peur de trahir l'auteur. Son livre est très «visuel» mais il fallait une narration, un rythme spécial pour l'écran. J'ai longuement travaillé sur le scénario. Et puis Ahmed Boulane m'a aidée à le structurer. Le film me paraît moins mélodramatique que le livre. J'ai rajouté certaines scènes en fonction d'événements qui m'avaient marquée comme la création de Afak, association pour l'environnement. Dans le film, la femme de Amine s'engage pour la défense de l'environnement, on la voit ramasser des sacs en plastiques sur la plage avec des enfants. J'ai voulu développer les personnages féminins -les hommes y pensent rarement- et les présenter comme des femmes actives. Il y a aussi des passages du livre que je voulais filmer absolument comme celui où Ba Lahcen, épuisé dans la rue, croise le regard du gosse de riche qui passe en voiture. C'est un moment intense, un des ces hasards forts de l'existence.
Dans votre film, Amine et Alia, un couple, reviennent du Canada pour travailler au Maroc. Mais ils sont frappés, et blessés, par ce qu'ils découvrent. Que vouliez-vous signifier?
Le Maroc a changé depuis notre enfance. La société de consommation a détruit beaucoup de valeurs comme le respect des autres, la cordialité, la fraternité. J'ai voulu décrire la société d'aujourd'hui en étant le plus crédible possible. Avec le problème de la langue par exemple : Alia, qui a vécu au Canada et parle français avec son mari, dit à son fils de parler arabe. C'est ce qu'on répète tout le temps : parle arabe, parle arabe, alors que nous parlons français, beaucoup d'arabisants nous le reprochent. Des dialogues aux sous-titres, le film reproduit ces allers-retours du français à l'arabe que nous faisons tous les jours.
Dans votre galerie de personnages, il y a ceux qui subissent le système, ceux qui en profitent, ceux qui y résistent : représentent-ils différentes situations et différents choix possibles ?
Tout en ayant peur de tomber dans la caricature, j'ai cherché à transcrire une réalité : la fuite des cerveaux à l'étranger ; les enfants de milieux défavorisés qui veulent passer la frontière ; des riches qui sont au-dessus des lois, même religieuses, leur impunité. Et puis, surtout, les gens qui résistent. Par intégrité, comme Amine ou l'officier Bachir, par conviction comme Youssef le journaliste, qui a fait de la prison. Il dit d'ailleurs: «doit-on aller dans les pays où tout est prêt ?» Chacun fait ce qu'il peut.
Derrière la crise politico-sociale, vouliez-vous dresser un portrait de «Casa l'ogresse»?
Certainement. J'ai vécu à Casablanca dans mon enfance. Je l'ai toujours entendue appeler «l'Ogresse», peut-être parce qu'elle fait peur, attire, grossit. C'est une ville que j'aime et où je reviens souvent. En tant que Tangéroise, j'étais attendue au tournant : tourner un film à Casablanca était une sorte de défi. J'ai voulu montrer la ville telle qu'elle est, avec sa pollution, son vacarme, ses trafics mais aussi le charme de sa medina, sa grande mosquée, ses quartiers riches.
Youssef, le journaliste, travaille à L'Economiste. Quel est le rôle de ce journal dans cette histoire ?
L'Economiste a eu une attitude très engagée au moment de la campagne d'assainissement. Il a été partie prenante. Je m'en suis servi, notamment en soulignant une phrase du journal disant que tout repose sur la confiance qu'on peut avoir en un système. Si la confiance s'effondre, le système court à sa perte. L'Economiste a aussi publié le livre de Rida Lamrini en feuilleton. Et j'ai tourné le film dans les vrais locaux de la rédaction.
Après Les Puissants de Casablanca, Rida Lamrini a écrit Les Rapaces de Casablanca. Pensez-vous adapter cette seconde partie ?
Je ne sais pas vraiment. Pour l'instant, j'aurais tendance à penser : «j'ai dit tout ce que j'avais sur le coeur, je peux aller rêver à nouveau». Et puis je ne vais pas me spécialiser dans le pamphlet. Mais nous allons d'abord voir si le film est apprécié. Et puis je travaille à un autre projet adapté du roman de Juanita Narboni, La vie de chienne (La vida perra). L'histoire se passe à Tanger dans les années soixante-dix. J'espère pouvoir commencer à tourner en septembre.
