Fils d'esclave, enfant de rue, cireur de chaussures, vendeur de cannabis, luthiste… l'homme (qui n'a jamais eu ni acte de naissance ni carte d'identité) assume, avec foi, les vicissitudes de sa destinée. Nous l'avons rencontré, il nous a parlé à cœur ouvert…
Son vrai nom est Mohamed Ben Massoud mais tout le monde l'appelle «Gaou». L'histoire de son surnom remonte aux années 60 lors de son séjour à l'orphelinat du Pacha Glaoui à Marrakech. C'était son cri de gloire lorsque son équipe de foot, constituée par les «gars du quartier», gagnait un match: j'ai crié «Gaou» et mes copains l'ont répété après moi. J'ai dit ensuite «Gaou guelguelaou». Tout le monde a commencé à m'appeler ainsi. Mon vrai nom est tombé, petit à petit, dans les oubliettes. Je me rappelle une fois mon oncle est venu me rendre visite. Il a demandé à mes copains «où est Mohamed Ben Massoud ?» et personne n'a reconnu ce nom alors qu'on a passé 15 ans ensemble !…», se souvient Gaou en éclatant de rire.
Sa vie ressemble à un conte de fées qu'il vous livre d'un seul jet, sans la moindre discrétion. Son père a été kidnappé quand il était enfant à Touarga par un marchand d'esclaves qui l'a ensuite vendu à un propriétaire terrien. Celui-ci l'a exploité pendant 40 ans. C'est d'ailleurs chez ce fermier que Gaou a vu le jour en 1919 alors que son père a déjà dépassé le cap de la soixantaine car son maître ne lui avait pas permis de se marier avant.
Une dizaine d'années plus tard, toute la famille s'est vue chassée de la propriété. Le père a amené sa femme et son fils à l'hôtel Moulay Hassan Essersar à Bab Doukkala à Marrakech.
Là commence le long périple de Gaou, un hasardeux parcours, émaillé de fugues, de mésaventures et de séjours carcéraux.
Gaou passait l'essentiel de ses journées à guetter les touristes à Jamaâ El Fna dans l'espoir de récolter quelques sous.
Peu de temps après, son père est décédé. Une vraie panade. «Je devais travailler sans relâche pour nourrir ma mère qui était alors jeune, belle et blonde et ne pouvait se permettre de travailler ailleurs.
Ce qui me paraissait difficile. J'ai décidé, donc, de prendre la clé des champs», raconte-il, l'air triste.
Gaou est devenu un SDF, il dormais tantôt à Bab Jdid, tantôt à Bab Doukkala et des fois à Guéliz.
La mendicité a été désormais son principal gagne-pain. Il a fait ensuite l'objet de plusieurs arrestations et les autorités ont fini par le placer à l'orphelinat du Pacha Glaoui.
Tout un monde, qui lui était tout à fait étranger, s'offre à lui, celui des nantis.
On l'a appelé à faire partie de la troupe musicale qui animait les galas somptueux du Pacha.
En 1953 toute la troupe a été même emmené en France pour animer une soirée des amis de Glaoui : «j'aurais pu rester là- bas mais j'ai dû renoncer à cette perspective puisque je ne parlais pas français. A la kheriya, on ne nous enseignait que l'arabe et la musique».
Toutefois les fastes de cette vie mondaine n'ont pas réussi à le séduire. Gaou a décidé de s'enfuir. Il part à Rabat où il se convertit en vendeur de journaux : «je dormais dans une cave à côté du cinéma Royal».
Dès 6 heures du matin je distribuais l'Echo et le Petit Marocain. J'étais matinal et les Français m'appelaient «la montre". A 14 heures je distribuais la Vigie» , précise-il avec fierté.
Une philosophie de la vie
Là encore, il se fait arrêter par les autorités coloniales qui l'ont conduit à la prison de Laâlou où on l'a chargé de nettoyer les vestiaires et ramasser les ordures. La tâche a été certes sordide mais cela lui a permis d'accomplir l'acte le plus héroïque de sa vie, dont il se souvient toujours avec grand enchantement.
Le roi était en exil, à l'époque, et la résistance contre le colonisateur battait son plein quand il a aidé des nationalistes à s'évader de la prison: «j'ai pu introduire, en catimini, dans leur cellule une bouteille d'acide nitrique et une scie. 40 personnes ont pu s'enfuir et m'ont donné 80 DH comme récompense», explique-il, le visage épanoui.
Gaou retrouve sa liberté mais s'est vu vite rattraper par son «maâlem» qui l'a «contraint» à revenir avec lui à Marrakech.
Pour se défausser une fois pour toute de la poursuite du Pacha Glaoui, il a fugué une deuxième fois. La fuite s'est faite, cette fois-ci, à destination de Lakser Lekbir. Il y travaillait comme cireur de chaussures et arrivait tant bien que mal à gagner sa vie.
Il était, donc, grand temps pour lui de se trouver une campagne.
Il a choisi d'unir sa destinée à la «jeblia», comme il aime l'appeler, une jeune femme divorcée et mère d'une petite fille, qui a été répudiée par son mari.
La réputation entachée de son épouse ne l'a pas empêché de l'aimer et goûter au bonheur à ses côtés. Sa joie a été encore immense lorsqu'il a retrouvé sa mère dont il avait été séparé depuis 16 ans.
Mais son bonheur n'a pas duré longtemps. Gaou a vu ses rêves s'effondrer en apprenant que sa bien-aimée a renoué avec ses anciennes habitudes : «elle obéissait aveuglément à sa patronne qui a fini par la détourner du droit chemin.
Ma femme a commencé à aspirer à des choses qui dépassaient mes moyens. L'envie de s'enrichir et de s'éclater l'a rendu folle au point qu'elle a tué sa fille pour être libre», poursuit-il.
Il se sépare de sa femme et retourne à Rabat où il a abandonné son métier «porte-malheur» de cireur pour un autre plus rentable qui lui permettrait de mettre vite du beurre dans ses épinards. Son nouveau commerce lui a valu plusieurs séjours en prison . Entre temps, il a entrepris deux mariages qui ont fini en échec.
A sa sortie de prison, Gaou a décidé d'être un homme « correct» et de ne plus s'écarter du bon chemin. Il a renoué avec son premier métier de luthiste.
Maintenant que sa mère n'est plus, Gaou vit seul avec ses souvenirs.
Sa journée commence à 9 heure du matin à Bab El Had où il a acquis une grande popularité.
Ses voisins, les commerçants de Bab El Had, le sollicitent, chaque jour, pour qu'il leur chante Ahmed El Bidaoui, Ismaïl Ahmed dont il était un fan depuis son plus jeune âge ou encore Hamid Zahir avec qui, d'ailleurs, Gaou a animé plusieurs cérémonies de mariage à Marrakech .
Au tout début d'après-midi, il rentre chez lui à Saniat Tahouni à Salé : «je ne suis pas cupide. Je reste juste le temps qu'il faut pour gagner de quoi faire une bonne» «gamila et payer le loyer en fin de semaine».
Ce qui fascine chez cet octogénaire c'est sa volonté, son pouvoir de transcender les moments pénibles de la vie et ces souvenirs amers qui ne pouvaient qu'accabler sa mémoire et tuer en lui le désir d'exister…
Il a pu se détacher du lourd boulet qu'est son passé, y résister rien que par un sourire édenté mais authentique, et n'en retenir que ce qui l'y réjouit… son amour pour la «jeblia».
Agenda :
Semaine du film égyptien en partenariat
avec le centre culturel égyptien
Du 09 au 13 janvier
Cycle Ahmed Zaki
Jeudi 09 janvier
Film : «Dida Al Hokoma» à 19h
Vendredi 10 janvier
Film : «Kaboria» à 19h
Samedi 11 janvier
Film : «Hassan Loul» à 19h
Dimanche 12 janvier
Film : «Zaojato rajel mohem» à 19h
Lundi 13 janvier
Film : «Al hob faoka hadabat al haram» à 19h
Son vrai nom est Mohamed Ben Massoud mais tout le monde l'appelle «Gaou». L'histoire de son surnom remonte aux années 60 lors de son séjour à l'orphelinat du Pacha Glaoui à Marrakech. C'était son cri de gloire lorsque son équipe de foot, constituée par les «gars du quartier», gagnait un match: j'ai crié «Gaou» et mes copains l'ont répété après moi. J'ai dit ensuite «Gaou guelguelaou». Tout le monde a commencé à m'appeler ainsi. Mon vrai nom est tombé, petit à petit, dans les oubliettes. Je me rappelle une fois mon oncle est venu me rendre visite. Il a demandé à mes copains «où est Mohamed Ben Massoud ?» et personne n'a reconnu ce nom alors qu'on a passé 15 ans ensemble !…», se souvient Gaou en éclatant de rire.
Sa vie ressemble à un conte de fées qu'il vous livre d'un seul jet, sans la moindre discrétion. Son père a été kidnappé quand il était enfant à Touarga par un marchand d'esclaves qui l'a ensuite vendu à un propriétaire terrien. Celui-ci l'a exploité pendant 40 ans. C'est d'ailleurs chez ce fermier que Gaou a vu le jour en 1919 alors que son père a déjà dépassé le cap de la soixantaine car son maître ne lui avait pas permis de se marier avant.
Une dizaine d'années plus tard, toute la famille s'est vue chassée de la propriété. Le père a amené sa femme et son fils à l'hôtel Moulay Hassan Essersar à Bab Doukkala à Marrakech.
Là commence le long périple de Gaou, un hasardeux parcours, émaillé de fugues, de mésaventures et de séjours carcéraux.
Gaou passait l'essentiel de ses journées à guetter les touristes à Jamaâ El Fna dans l'espoir de récolter quelques sous.
Peu de temps après, son père est décédé. Une vraie panade. «Je devais travailler sans relâche pour nourrir ma mère qui était alors jeune, belle et blonde et ne pouvait se permettre de travailler ailleurs.
Ce qui me paraissait difficile. J'ai décidé, donc, de prendre la clé des champs», raconte-il, l'air triste.
Gaou est devenu un SDF, il dormais tantôt à Bab Jdid, tantôt à Bab Doukkala et des fois à Guéliz.
La mendicité a été désormais son principal gagne-pain. Il a fait ensuite l'objet de plusieurs arrestations et les autorités ont fini par le placer à l'orphelinat du Pacha Glaoui.
Tout un monde, qui lui était tout à fait étranger, s'offre à lui, celui des nantis.
On l'a appelé à faire partie de la troupe musicale qui animait les galas somptueux du Pacha.
En 1953 toute la troupe a été même emmené en France pour animer une soirée des amis de Glaoui : «j'aurais pu rester là- bas mais j'ai dû renoncer à cette perspective puisque je ne parlais pas français. A la kheriya, on ne nous enseignait que l'arabe et la musique».
Toutefois les fastes de cette vie mondaine n'ont pas réussi à le séduire. Gaou a décidé de s'enfuir. Il part à Rabat où il se convertit en vendeur de journaux : «je dormais dans une cave à côté du cinéma Royal».
Dès 6 heures du matin je distribuais l'Echo et le Petit Marocain. J'étais matinal et les Français m'appelaient «la montre". A 14 heures je distribuais la Vigie» , précise-il avec fierté.
Une philosophie de la vie
Là encore, il se fait arrêter par les autorités coloniales qui l'ont conduit à la prison de Laâlou où on l'a chargé de nettoyer les vestiaires et ramasser les ordures. La tâche a été certes sordide mais cela lui a permis d'accomplir l'acte le plus héroïque de sa vie, dont il se souvient toujours avec grand enchantement.
Le roi était en exil, à l'époque, et la résistance contre le colonisateur battait son plein quand il a aidé des nationalistes à s'évader de la prison: «j'ai pu introduire, en catimini, dans leur cellule une bouteille d'acide nitrique et une scie. 40 personnes ont pu s'enfuir et m'ont donné 80 DH comme récompense», explique-il, le visage épanoui.
Gaou retrouve sa liberté mais s'est vu vite rattraper par son «maâlem» qui l'a «contraint» à revenir avec lui à Marrakech.
Pour se défausser une fois pour toute de la poursuite du Pacha Glaoui, il a fugué une deuxième fois. La fuite s'est faite, cette fois-ci, à destination de Lakser Lekbir. Il y travaillait comme cireur de chaussures et arrivait tant bien que mal à gagner sa vie.
Il était, donc, grand temps pour lui de se trouver une campagne.
Il a choisi d'unir sa destinée à la «jeblia», comme il aime l'appeler, une jeune femme divorcée et mère d'une petite fille, qui a été répudiée par son mari.
La réputation entachée de son épouse ne l'a pas empêché de l'aimer et goûter au bonheur à ses côtés. Sa joie a été encore immense lorsqu'il a retrouvé sa mère dont il avait été séparé depuis 16 ans.
Mais son bonheur n'a pas duré longtemps. Gaou a vu ses rêves s'effondrer en apprenant que sa bien-aimée a renoué avec ses anciennes habitudes : «elle obéissait aveuglément à sa patronne qui a fini par la détourner du droit chemin.
Ma femme a commencé à aspirer à des choses qui dépassaient mes moyens. L'envie de s'enrichir et de s'éclater l'a rendu folle au point qu'elle a tué sa fille pour être libre», poursuit-il.
Il se sépare de sa femme et retourne à Rabat où il a abandonné son métier «porte-malheur» de cireur pour un autre plus rentable qui lui permettrait de mettre vite du beurre dans ses épinards. Son nouveau commerce lui a valu plusieurs séjours en prison . Entre temps, il a entrepris deux mariages qui ont fini en échec.
A sa sortie de prison, Gaou a décidé d'être un homme « correct» et de ne plus s'écarter du bon chemin. Il a renoué avec son premier métier de luthiste.
Maintenant que sa mère n'est plus, Gaou vit seul avec ses souvenirs.
Sa journée commence à 9 heure du matin à Bab El Had où il a acquis une grande popularité.
Ses voisins, les commerçants de Bab El Had, le sollicitent, chaque jour, pour qu'il leur chante Ahmed El Bidaoui, Ismaïl Ahmed dont il était un fan depuis son plus jeune âge ou encore Hamid Zahir avec qui, d'ailleurs, Gaou a animé plusieurs cérémonies de mariage à Marrakech .
Au tout début d'après-midi, il rentre chez lui à Saniat Tahouni à Salé : «je ne suis pas cupide. Je reste juste le temps qu'il faut pour gagner de quoi faire une bonne» «gamila et payer le loyer en fin de semaine».
Ce qui fascine chez cet octogénaire c'est sa volonté, son pouvoir de transcender les moments pénibles de la vie et ces souvenirs amers qui ne pouvaient qu'accabler sa mémoire et tuer en lui le désir d'exister…
Il a pu se détacher du lourd boulet qu'est son passé, y résister rien que par un sourire édenté mais authentique, et n'en retenir que ce qui l'y réjouit… son amour pour la «jeblia».
Agenda :
Semaine du film égyptien en partenariat
avec le centre culturel égyptien
Du 09 au 13 janvier
Cycle Ahmed Zaki
Jeudi 09 janvier
Film : «Dida Al Hokoma» à 19h
Vendredi 10 janvier
Film : «Kaboria» à 19h
Samedi 11 janvier
Film : «Hassan Loul» à 19h
Dimanche 12 janvier
Film : «Zaojato rajel mohem» à 19h
Lundi 13 janvier
Film : «Al hob faoka hadabat al haram» à 19h
