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«L'Etoile des amants» de Philippe Sollers ou la jouissance d'exister

Pour la rentrée littéraire française, en septembre dernier, le très médiatique Philippe Sollers a publié un roman détonnant dans la morosité générale. L'étoile des amants ou expérience romanesque sur la jouissance d'exister.

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Philippe Sollers, l'homme médiatique, habile, bavard, des plateaux de télévision. Ou le chroniqueur littéraire, un peu pontifiant. Ou encore l'homme d'influence des éditions Gallimard, le parrain d'un petit réseau parisien... Sollers est partout, donne son avis sur tout, souvent à l'encontre. Ce personnage-là est connu. Mais combien ont lu l'écrivain ? Prolifique auteur de plus d'une cinquantaine de titres dont Une curieuse solitude, La fête à Venise, Passion fixe, Éloge de l'infini. En septembre dernier, Philippe Sollers a joué des coudes dans la bousculade de la rentrée littéraire française pour faire briller son nouveau roman, L'Etoile des amants. Il visait le Prix Goncourt, il ne l'a pas eu. Devancé par Pascal Quignard dont l'ouvrage, Les Ombres errantes, n'est pas très éloigné du sien : éloge de l'exil intellectuel pour mieux penser le monde et l'écriture. Mais en pleine morosité littéraire hexagonale, L'Etoile des amants a provoqué quelque étonnement : comment ? Qu'est-ce ? Un livre sur la jouissance d'exister ?
« Vous êtes fou ? Aucun succès ! » avec un tel sujet, s'esquinte un éditeur potentiel page 53. « Pas sûr » répond le romancier-narrateur. A raison, puisque Philippe Sollers a trouvé une nouvelle fois le moyen de se distinguer. La tendance éditoriale exigerait «une histoire douloureuse sur les impasses de la vie contemporaine ». Laquelle, publiée par les éditions Nocturnes ou PAL (attaque à peine masquée contre les éditions de Minuit et POL) ferait parler d'elle dans les Inconvertibles (revue Les Inrockuptibles figée dans la subversion qu'elle affiche). A contre courant, Philippe Sollers publie un livre sur le bonheur.
Soit deux amants sur une île. Lui, ou quelqu'un qui lui ressemble, et elle, Maud, étudiante. Pourquoi elle ? Pourquoi lui pour elle ? Pourquoi sont-ils si bien ? Questions de fond lancées avec une légèreté faite de farniente et de badinage. Ils sont là, seuls, à l'écart du bruit du monde. «Je me fuis, je m'oublie, je voyage ». Ils ouvrent leurs sens à la mer, aux oiseaux, à la dorade au sel, aux couleurs des voyelles de Rimbaud, à la douceur de la peau de l'autre. Ca et là fusent des rejets : contre les bien-pensants, les faux prophètes, l'omniprésence du sexe, les organisations terroristes qui veulent attenter à la littérature, ou l'ennui. Puis il la regarde, la décrit : ses gestes, son caractère. C'est une réfractaire. Parfaite pour lui, d'accord pour ne pas partager la même chambre afin de conserver « l'illusion de se rejoindre ” et échapper au poison qui consume “ les couples déjà vieux qui baignent dans la détestation réciproque ». Ce qui compte, plus que leurs conversations, c'est ce moment qu'ils partagent, là, dans cet endroit.
Lui écrit un livre. Un roman ? Plutôt un recueil de divagations partant du monde contemporain, des textes anciens chinois et indiens, de rencontres avec Nietzsche, Balzac, ou Renoir sur fond de Monteverdi ou Thelonious Monk. Entre deux envolées, il imagine : Qu'est-ce qu'un roman ? Comment commencer? Quelles réactions va provoquer cette phrase ?
Puisqu'il prenait le risque de parler d'amour, Phillipe Sollers aurait pu en parler davantage. Mais prudent, il alterne scènes avec elle et réflexions sur le livre. Pensées alignées par substantifs, pages entières d'aphorismes, il cite trop et l'avoue lui-même : c'est une expérience de roman, procédant par «illuminations» successives. Ou la tchache incessante de l'esprit au repos. « Je sais que le temps va venir se mesurer ici, sur la page ». Ce temps de latence, de voyage, d'amour et d'écriture, il le goûte et le savoure. Comme une leçon sur le paradis terrestre, histoire de montrer (rébellion ou sincérité ? Posture ou vécu ?) que les gens heureux pourraient avoir une histoire.
L'Etoile des amants, Ed. Gallimard, 183 pages
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