Pour la première fois, se sont trouvés confrontés à une situation où ils ne peuvent plus faire une vraie guerre faute de territoires à conquérir ou d'Etats hostiles à détruire.
Une situation paradoxale où l'on a affaire à un ennemi virtuel n'étant fixé nulle part tout en étant partout ; ni parrainé par aucun Etat, et n'ayant lui même aucune prétention à conquérir un pouvoir étatique.
Le nouveau livre d'Olivier Roy, « L'Islam mondialisé », paru au Seuil, tente de démêler les écheveaux de cette nouvelle situation marquée par la montée en puissance de ce qu'il appelle le « néo-fondamentalisme » islamique dans un contexte de mondialisation.
Considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'Afghanistan depuis 1980, Roy s'est, depuis, intéressé au phénomène du radicalisme islamiste à travers le monde. Pour lui, l'avènement du « néo-fondamentalisme » est intrinsèquement lié à l'échec de l'Islam politique dont la stratégie déclarée est la construction d'une société islamique à partir de l'Etat d'un côté, et au phénomène de la globalisation de l'autre.
Islam politique ? néo-fondamentalisme ? oui, c'est justement là, la nouveauté des analyses d'Olvier Roy qui, dans un précédent ouvrage intitulé «L'Echec de l'Islam politique », a introduit une nette distinction entre l'islamisme marqué par son idéologie politique vaguement inspirée des principes religieux, dont la stratégie participe de la course au pouvoir de l'Etat, et dont le champs d'action est délimité par un territoire et dans une société donnés ; et le néo-fondamentalisme -dont Al Qaïda n'est qu'une irruption violente- marqué, au contraire, par sa déterritorialité et son refus de se reconnaître dans un espace géographique, politique ou culturel défini.
L'individualisation de la religiosité
C'est sur les ruines de l'islamisme moribond que le néo-fondamentalisme s'est érigé depuis les années 90. « Les grands mouvements islamistes se sont moulés dans le cadre national, contribuant à le renforcer en permettant l'intégration dans le champs politique de catégories de population qui s'en sentaient exclues. En retour, ils ont été transformés par ce passage à la politique concrète ». En effet, leur idéologie, et partant leur force de mobilisation, se sont peu à peu émoussées au fil du temps, dès lors que les frontières qui les séparent avec les autres composantes de l'échiquier politique s'effacent. En acceptant le pluralisme et la démocratie, en acceptant de s'inscrire dans la problématique politique nationale, ils acceptent du même coup la sécularisation du politique et donc son autonomie par rapport au religieux.
Que reste-t-il de leur idéologie ? « Une imprégnation diffuse et généralisée qui s'inscrit dans des pratiques politiques, au nom des valeurs à la fois conservatrices et anti-occidentales, qui mêlent tiers-mondisme et affirmation d'une authenticité culturelle en négatif. Le statut de la femme et la question des mœurs deviennent alors les thèmes centraux de ce nouveau conservatisme qui peut, par contre, favoriser l'intégration dans l'économie mondiale ». Tout autre est le phénomène néo-fondamentaliste qui, à l'opposé, est de caractère transnational et fortement individualiste. Pour Olivier Roy, c'est le passage de l'Islam à l'Occident, et donc son détachement de sa culture originelle, aussi bien que de « l'évidence sociale » qui le sous-tendait, qui a favorisé l'émergence d'autres formes de rapports au religieux qui sont autant de reformulations identitaires dans un contexte de mondialisation, dont le néo-fondamentalisme, fortement inspiré du wahhabisme, n'est qu'une variante.
Ce qui donne lieu à un Islam dépouillé, réduit à un ensemble de rites , d'obligations et d'interdits et qui se refuse à toute attache historique ou culturelle, à un contexte territorial et dont l'enjeux obsessionnel est le retour à un « vrai » Islam , épuré de toute pratique et de toute influence considéré comme lui étant étrangère . Le sujet auquel il s'adresse est un individu abstrait qui, éventuellement, serait en quête d'un « supplément d'âme » mais dont la pratique serait la même quel que soit l'environnement culturel et social.
« L'Islam ainsi épuré devient de fait compatible avec n'importe quel contexte social, à condition de vivre dans une communauté imaginaire. Le néo-fondamentalisme est très clairement un produit et un agent de la déculturation des sociétés musulmanes, ce qui explique et son succès et son transcendantalisme. Si de jeunes beurs de banlieue(..) peuvent rejoindre les Talibans, ce n'est pas à cause du charisme de Ben Laden, mais parce qu'ils vivent dans un univers commun : celui de la déculturation assumée et transformée en projet fondateur. Ce qu'ils visent c'est moins la culture occidentale (qu'ils méprisent) que la notion même de culture ». Contrairement à l'islamisme, le néo-fondamentalisme prend ses distances avec l'Etat-nation au profit d'une communauté virtuelle d'internautes répandues à l'échelle planètaire.
Du coup, le néo-fondamentalisme ne représente plus un danger direct pour l'Etat dans les régimes musulmans, qui, au contraire, pourrait être tenté de l'instrumentaliser sur la base d'un programme de réaffirmation des valeurs traditionnelles qui consacreraient l'immobilisme tout en garantissant l'adhésion populaire.
C'est également ce changement du paysage mondial qui ajoute à la confusion dans les analyses relatives au radicalisme religieux, du fait du brouillage des catégories qui cadraient les prises de position.
L'Islam mondialisé d'Olivier Roy,
Ed. Le Seuil 220 pages
Une situation paradoxale où l'on a affaire à un ennemi virtuel n'étant fixé nulle part tout en étant partout ; ni parrainé par aucun Etat, et n'ayant lui même aucune prétention à conquérir un pouvoir étatique.
Le nouveau livre d'Olivier Roy, « L'Islam mondialisé », paru au Seuil, tente de démêler les écheveaux de cette nouvelle situation marquée par la montée en puissance de ce qu'il appelle le « néo-fondamentalisme » islamique dans un contexte de mondialisation.
Considéré comme l'un des meilleurs spécialistes de l'Afghanistan depuis 1980, Roy s'est, depuis, intéressé au phénomène du radicalisme islamiste à travers le monde. Pour lui, l'avènement du « néo-fondamentalisme » est intrinsèquement lié à l'échec de l'Islam politique dont la stratégie déclarée est la construction d'une société islamique à partir de l'Etat d'un côté, et au phénomène de la globalisation de l'autre.
Islam politique ? néo-fondamentalisme ? oui, c'est justement là, la nouveauté des analyses d'Olvier Roy qui, dans un précédent ouvrage intitulé «L'Echec de l'Islam politique », a introduit une nette distinction entre l'islamisme marqué par son idéologie politique vaguement inspirée des principes religieux, dont la stratégie participe de la course au pouvoir de l'Etat, et dont le champs d'action est délimité par un territoire et dans une société donnés ; et le néo-fondamentalisme -dont Al Qaïda n'est qu'une irruption violente- marqué, au contraire, par sa déterritorialité et son refus de se reconnaître dans un espace géographique, politique ou culturel défini.
L'individualisation de la religiosité
C'est sur les ruines de l'islamisme moribond que le néo-fondamentalisme s'est érigé depuis les années 90. « Les grands mouvements islamistes se sont moulés dans le cadre national, contribuant à le renforcer en permettant l'intégration dans le champs politique de catégories de population qui s'en sentaient exclues. En retour, ils ont été transformés par ce passage à la politique concrète ». En effet, leur idéologie, et partant leur force de mobilisation, se sont peu à peu émoussées au fil du temps, dès lors que les frontières qui les séparent avec les autres composantes de l'échiquier politique s'effacent. En acceptant le pluralisme et la démocratie, en acceptant de s'inscrire dans la problématique politique nationale, ils acceptent du même coup la sécularisation du politique et donc son autonomie par rapport au religieux.
Que reste-t-il de leur idéologie ? « Une imprégnation diffuse et généralisée qui s'inscrit dans des pratiques politiques, au nom des valeurs à la fois conservatrices et anti-occidentales, qui mêlent tiers-mondisme et affirmation d'une authenticité culturelle en négatif. Le statut de la femme et la question des mœurs deviennent alors les thèmes centraux de ce nouveau conservatisme qui peut, par contre, favoriser l'intégration dans l'économie mondiale ». Tout autre est le phénomène néo-fondamentaliste qui, à l'opposé, est de caractère transnational et fortement individualiste. Pour Olivier Roy, c'est le passage de l'Islam à l'Occident, et donc son détachement de sa culture originelle, aussi bien que de « l'évidence sociale » qui le sous-tendait, qui a favorisé l'émergence d'autres formes de rapports au religieux qui sont autant de reformulations identitaires dans un contexte de mondialisation, dont le néo-fondamentalisme, fortement inspiré du wahhabisme, n'est qu'une variante.
Ce qui donne lieu à un Islam dépouillé, réduit à un ensemble de rites , d'obligations et d'interdits et qui se refuse à toute attache historique ou culturelle, à un contexte territorial et dont l'enjeux obsessionnel est le retour à un « vrai » Islam , épuré de toute pratique et de toute influence considéré comme lui étant étrangère . Le sujet auquel il s'adresse est un individu abstrait qui, éventuellement, serait en quête d'un « supplément d'âme » mais dont la pratique serait la même quel que soit l'environnement culturel et social.
« L'Islam ainsi épuré devient de fait compatible avec n'importe quel contexte social, à condition de vivre dans une communauté imaginaire. Le néo-fondamentalisme est très clairement un produit et un agent de la déculturation des sociétés musulmanes, ce qui explique et son succès et son transcendantalisme. Si de jeunes beurs de banlieue(..) peuvent rejoindre les Talibans, ce n'est pas à cause du charisme de Ben Laden, mais parce qu'ils vivent dans un univers commun : celui de la déculturation assumée et transformée en projet fondateur. Ce qu'ils visent c'est moins la culture occidentale (qu'ils méprisent) que la notion même de culture ». Contrairement à l'islamisme, le néo-fondamentalisme prend ses distances avec l'Etat-nation au profit d'une communauté virtuelle d'internautes répandues à l'échelle planètaire.
Du coup, le néo-fondamentalisme ne représente plus un danger direct pour l'Etat dans les régimes musulmans, qui, au contraire, pourrait être tenté de l'instrumentaliser sur la base d'un programme de réaffirmation des valeurs traditionnelles qui consacreraient l'immobilisme tout en garantissant l'adhésion populaire.
C'est également ce changement du paysage mondial qui ajoute à la confusion dans les analyses relatives au radicalisme religieux, du fait du brouillage des catégories qui cadraient les prises de position.
L'Islam mondialisé d'Olivier Roy,
Ed. Le Seuil 220 pages
