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«La maladie de l’Islam», d’Abdelwahab Meddeb : un appel à la tolérance

Si, pour Voltaire, l’intolérance a été la maladie du catholicisme et si le nazisme a été la maladie de l’Allemagne selon Thomas Mann, l’intégrisme serait, d’après Abdelwahab Meddeb, la maladie de l’Islam.

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Pour comprendre la genèse de ce mal, il nous fait remonter loin dans l’Histoire, à la Médine du VIIe siècle, au Baghdad du temps des Abbassides, au Damas du XIVe siècle, à l’Arabie du XVIIIe siècle, … Bref, il nous convie à un voyage dans le temps et à travers l’évolution d’une pensée qui a périclité après avoir connu un très grand moment de civilisation.
L’homme est d’ailleurs un spécialiste de la pérégrination.
De « Talismano » à « La mu’allaqa d’Imru’ al-Qays », en passant par « Phantasia», le « Récit de l’exil occidental de Sohrawardi », le « Tombeau d’Ibn Arabi », « Aya dans les villes », « Les Dits de Bistami », « Le paradoxe de la représentation du divin », « Multiple Jérusalem », « Postcolonialismes », « Déserts », « La venue de l’Etranger », … Abdelwahab Meddeb a, en effet, construit une œuvre où la réflexion sur la modernité se double d’un questionnement critique de la tradition philosophique arabe et islamique.
Généalogiste à qui la tradition ne cesse de livrer ses secrets, lecteur assidu des auteurs mystiques musulmans dont il aime traduire les travaux en français, pourfendeur des mythes et des tabous d’une culture doublement millénaire et qui hésite encore à mettre en question certains de ses préjugés prétendument fondateurs, observateur vigilant des mouvements d’un monde où sévissent de redoutables formes d’intégrisme idéologique, Meddeb a toujours essayé de penser la tradition en termes de déconstruction, opérant par négations méthodiques.
Dans son ouvrage « La maladie de l’Islam » il reste fidèle à sa méthode. Pour comprendre les raisons de l’intégrisme, il passe en revue ses causes tant endogènes qu’externes. Sur ce dernier chapitre, il cite, pèle - mêle, la non-reconnaissance de l’Islam par l’Occident; le reniement des principes par les Occidentaux dès que leurs intérêts le réclament ; l’hégémonie qu’ils exercent dans l’impunité et l’injustice. En particulier, de nos jours en Palestine, en Afghanistan et en Irak où les forces israéliennes et américaines agissent en violation du droit international. L’ouvrage de Meddeb débute, d’ailleurs, par l’évocation d’une autre forfaiture. En l’occurrence celle commise le 11 septembre 2001 contre le pays le plus puissant de la planète. « Un crime … islamiste (qui) constitue la pointe extrême d’une série d’actes terroristes qui ont suivi une courbe exponentielle » et dont il repère « le commencement en 1979, année qui vit le triomphe de Khomeiny en Iran et l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques ».
Préalablement, il rappelle les moments-phares de l’histoire du monde arabe et de l’Islam que l’on peut considérer, sans la moindre hésitation, comme étant équivalents de ce que les philologues allemands ont appelé, au XIXe siècle, le « miracle grec »: il s’agit du fameux Baghdad d’Al Mâmoun au IXe siècle ainsi que d’Al Andalous du Xe siècle omeyyade et du XIIe siècle albuminoïde ; deux périodes exceptionnelles qui ont vu la naissance de génies et de chefs-d’œuvre artistiques, techniques, scientifiques, littéraires, philosophiques dans un des brassages culturels les plus féconds de l’Histoire.
Il rappelle également la descente aux Abysses de la civilisation arabo-musulmane et traite des sentiments mitigés qu’elle a induits.
Pour dresser « une généalogie de l’intégrisme », il remonte le plus loin possible, c’est-à-dire à l’aube de l’Islam, en rappelant que « Trois des premiers Califes sont morts assassinés » et « qu’une grande part de l’Histoire de l’Islam s’est déroulée dans la violence de la guerre civile ». Lapsus calami ou volonté de faire dans le sensationnalisme, il lie le passé au présent en reliant le 11 septembre 2001 à Ben Laden et ce dernier au wahhabisme. Il entame donc sa généalogie de l’intégrisme par cette phrase : « Pour éclairer la genèse ... et la formation de son idéologie, il est nécessaire de remonter loin dans le cours de l’Histoire ». Jusqu’à quand ?

Idéologie wahhabite

Le premier faisceau de présomptions d’intégrisme, il le retrouve du côté d’Ibn Hanbal et d’Ibn Taymiyya avant d’en arriver à Ibn Abdelwahab, père-fondateur de l’idéologie wahhabite. « La médiocrité et l’illégitimité doctrinale » de ce dernier, rappelle-t-il, ont été dénoncées à plusieurs reprises comme en témoigne le fait qu’il ait été accusé « d’avoir ouvert la voie de l’ignorance et d’avoir autorisé des hommes incultes à éteindre de leur souffle la lumière divine ». Un souffle dont Meddeb a retrouvé trace dans l’un des pays du Golfe et chez les terroristes qui ont attaqué l’un des symboles de la puissance américaine, le Worl Trade Center.
Au détour d’un raisonnement à la fois long et complexe, il conclut qu’ils sont donc « autant le produit d’une évolution interne ... que les enfants de leur époque et d’un monde métamorphosé par l’américanisation». Une précision à ce propos, «L’horizon idéologique de la terreur politique inventée par les Ismaéliens ne peut en aucun cas présenter quelque affinité avec celui qui oriente l’action des intégristes et des Wahhabites » qui peuplent les réseaux de la Qaïda.
L’autre précision touche aux concepts de « Jihad » et d’ « Istichhad » usités par tous les tenants de l’utilisation de la force.
Meddeb se demande à leur propos «si le passage de la guerre à la guérilla et au terrorisme les justifie». Son ouvrage, par contre, se justifie amplement, même s’il l’a écrit dans l’urgence comme il finit par l’avouer lui-même. En ces temps troubles, « La maladie de l’Islam » constitue un appel pressant pour davantage de compréhension mutuelle et de tolérance.


La maladie de l’Islam, d’Abdelwahab Meddeb
Ed Seuil, 2002, 224 pages
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