Paru au début de cette année dans la collection « Ecritures arabes » des éditions L’Harmattan, « Le convoi du chien » d’Ahmed Tazi est un roman qui se lit d’une seule traite, du début jusqu’à la fin et sans prendre son souffle. Plus qu’une histoire romancée, c’est d’une description méticuleuse de la vie et des traditions qui avaient cours dans les villes impériales vers la fin de la période du Protectorat qu’il s’agit. C’est aussi un hymne aux parfums de paradis qui exhalaient des jardins des maisons traditionnelles de la médina de Fès. Roses, fleurs de bigaradiers et alambics pour en distiller les essences « indispensables à l’apprêt de suaires » peuplent la mémoire de l’auteur autant que les jeux de cartes dont les femmes raffolaient et les boissons alcoolisées qui faisaient la joie d’un grand oncle libertin avant de faire celle d’un père qui n’a survécu à la famine et au typhus que pour suivre les frasques de son frère aîné ... Jusqu’au jour où l’irréparable se produisit. Le narrateur qui est aussi acteur dans cette tragédie de la sincérité, se soumit alors à la malédiction d’une errance amnésique qui échappe allègrement à sa volonté, à sa conscience et à sa faculté d’attention.
Par petites touches, il se livre alors au jeu des réminiscences. De ci et de là, il glane et assemble quelques bribes de sa mémoire, avant de se mettre à croquer chacune de ces femmes obèses qui peuplaient ses journées.
Lentement, puis en crescendo, il élève la voix pour clamer son émoi sans se soucier de savoir si son timbre est juste ou faux. A quoi bon le faire puisqu’il sait son style suffisamment châtié pour aiguiser l’émotion chez le lecteur et le tenir en haleine autant qu’il veut ? Convaincu de sa concupiscence, il se laisse alors entraîner par un rythme intérieur que cadence un souffle et une musicalité des phrases qui baignent dans une fureur certes contenue, mais omniprésente. L’auteur décrit ensuite le voyage de sa famille entre Fès la Pieuse et Casablanca la Turbulente comme une pérégrination insupportable. Voire comme un exil involontaire doublé d’une lancinante quête ou, plus simplement, comme « une déportation vers un camp de la mort, comme l’Auchwitz des mauvais films visionnés au charbon ».
D’origine latine (exsilium), l’exil est un vocable sous lequel peuvent se recouper des réalités multiformes, auxquelles les grands départs donnent consistance. Néanmoins, si l’exil subi et l’exil volontaire génèrent deux appréhensions différentes du lieu de départ et du lieu d’arrivée, tous deux sont porteurs d’une réalité commune : pour qu’il y ait exil, il faut qu’il y ait déplacement, fut-il imaginaire, vers d’autres lieux et, par conséquent, peur d’autrui et de la confrontation avec lui. « Dans le train, les gens nous regardaient d’une façon où se mêlaient la curiosité, la peur, parfois une certaine pitié ou simplement du dégoût », écrit à cet égard Ahmed Tazi avant de s’élever contre « l’ordre sévère et prophylactique » qui a été à l’origine de son voyage. Un voyage qui impliquait à la fois un itinéraire de l’ici (Fès) vers l’ailleurs (Casablanca) et une insoutenable errance à l’intérieur d’une mémoire marquée par la misère des riches autochtones et par une lente chute vers les abysses de la pauvreté d’une famille à la fois nombreuse et généreuse. « Cette histoire me semblait invraisemblable. On pouvait mourir de famine, mais succomber massivement à l’attaque de ce minuscule parasite qu’est le pou me laissait pantois ». Tel que décrit par l’auteur, ce voyage forcé, ce « convoi du chien » qui prend fin par le retour vers Fès constitue une échappatoire pour ne pas subir les rigueurs de l’exil ou compatir avec les souffrances d’autrui. Des deux étymologies du verbe errer, les techniques narratives d’Ahmed Tazi s’inscrivent dans la première puisque son roman est à la fois une quête de soi et un voyage vers l’inconnu. L’erre est l’allure, la trace dont il suit le cheminement. Par sa description de la vie sociale et politique de l’époque, il nous rappelle que sa façon d’être, de penser et d’écrire s’arrime à une mémoire fragile et fragmentaire dont la reconquête est une œuvre de longue haleine à laquelle il s’attèle avec une délectation qui ne peut que nous remplir d’aise.
« Le convoi du chien », Ahmed Tazi, 206 pages, Edition L’Harmattan, 2003
Par petites touches, il se livre alors au jeu des réminiscences. De ci et de là, il glane et assemble quelques bribes de sa mémoire, avant de se mettre à croquer chacune de ces femmes obèses qui peuplaient ses journées.
Lentement, puis en crescendo, il élève la voix pour clamer son émoi sans se soucier de savoir si son timbre est juste ou faux. A quoi bon le faire puisqu’il sait son style suffisamment châtié pour aiguiser l’émotion chez le lecteur et le tenir en haleine autant qu’il veut ? Convaincu de sa concupiscence, il se laisse alors entraîner par un rythme intérieur que cadence un souffle et une musicalité des phrases qui baignent dans une fureur certes contenue, mais omniprésente. L’auteur décrit ensuite le voyage de sa famille entre Fès la Pieuse et Casablanca la Turbulente comme une pérégrination insupportable. Voire comme un exil involontaire doublé d’une lancinante quête ou, plus simplement, comme « une déportation vers un camp de la mort, comme l’Auchwitz des mauvais films visionnés au charbon ».
D’origine latine (exsilium), l’exil est un vocable sous lequel peuvent se recouper des réalités multiformes, auxquelles les grands départs donnent consistance. Néanmoins, si l’exil subi et l’exil volontaire génèrent deux appréhensions différentes du lieu de départ et du lieu d’arrivée, tous deux sont porteurs d’une réalité commune : pour qu’il y ait exil, il faut qu’il y ait déplacement, fut-il imaginaire, vers d’autres lieux et, par conséquent, peur d’autrui et de la confrontation avec lui. « Dans le train, les gens nous regardaient d’une façon où se mêlaient la curiosité, la peur, parfois une certaine pitié ou simplement du dégoût », écrit à cet égard Ahmed Tazi avant de s’élever contre « l’ordre sévère et prophylactique » qui a été à l’origine de son voyage. Un voyage qui impliquait à la fois un itinéraire de l’ici (Fès) vers l’ailleurs (Casablanca) et une insoutenable errance à l’intérieur d’une mémoire marquée par la misère des riches autochtones et par une lente chute vers les abysses de la pauvreté d’une famille à la fois nombreuse et généreuse. « Cette histoire me semblait invraisemblable. On pouvait mourir de famine, mais succomber massivement à l’attaque de ce minuscule parasite qu’est le pou me laissait pantois ». Tel que décrit par l’auteur, ce voyage forcé, ce « convoi du chien » qui prend fin par le retour vers Fès constitue une échappatoire pour ne pas subir les rigueurs de l’exil ou compatir avec les souffrances d’autrui. Des deux étymologies du verbe errer, les techniques narratives d’Ahmed Tazi s’inscrivent dans la première puisque son roman est à la fois une quête de soi et un voyage vers l’inconnu. L’erre est l’allure, la trace dont il suit le cheminement. Par sa description de la vie sociale et politique de l’époque, il nous rappelle que sa façon d’être, de penser et d’écrire s’arrime à une mémoire fragile et fragmentaire dont la reconquête est une œuvre de longue haleine à laquelle il s’attèle avec une délectation qui ne peut que nous remplir d’aise.
« Le convoi du chien », Ahmed Tazi, 206 pages, Edition L’Harmattan, 2003
