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Le dictateur et le hamac de Daniel Pennac : des hamacs en perspective

Terminée la saga des Malaussène, Daniel Pennac change de tribu pour évoquer la sienne, celle du romancier agitant des personnages, tous plus ou moins sosies les uns des autres. Du hamac au dictateur en passant par Charlie Chaplin, tous sont nés d’un

Le dictateur et le hamac de Daniel Pennac : des hamacs en perspective
C’est là qu’il a concocté pendant trois ans Le dictateur et le hamac, pot au feu de souvenirs et d’inventions nés d’une même vision, vieille de trente ans.

C’était à «l’intérieur de l’intérieur» du Brésil dans un avion qui n’en finit pas de tomber. L’appareil s’est posé, plutôt mal que bien, à Teresina, capitale du Piaui, une ville où «dehors, c’est encore dedans». Après avoir avalé du riz et des haricots arrosés de farine de manioc dans un hôtel rempli de blattes géantes, Pennac et ses compagnons se sont enfoncés dans la nuit. Pour découvrir, sous un réverbère, deux silhouettes se tenant à leurs bicyclettes pour ne pas s’effondrer de rire devant La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin, que diffusait un miraculeux téléviseur. A cet instant, dans l’imagination de l’artiste attentif et stupéfait, a commencé à grandir le personnage de Manuel Pereira da Ponte.

Soit le dictateur d’une quelconque république bananière à qui une sorcière a prédit qu’il mourrait «écharpé par la foule». L’agoraphobe tente désespérément d’échapper à son destin en formant un sosie et en s’enfuyant en Europe. Mais le sosie, qui n’a pas de nom et une formation de barbier, découvre le cinématographe, Charlie Chaplin et part pour Hollywood. Il laisse derrière lui un autre sosie, qui a un jumeau... Et ainsi de suite. Une histoire de ressemblances et dissemblances, de miroirs en gigognes, d’une forêt de hamacs qui forment une perspective : Daniel Pennac joue le grand jeu de la mémoire.

Qu’il avoue capricieuse : «Je n’ai pas le rappel facile. Ma mémoire couve des oeufs brouillés». Ce qui, ajouté à «une présence chancelante au monde», lui a valu sa vocation de romancier, où «l’imagination affamée de souvenirs s’acharne à recomposer la vie sur esquisses.»

Donc l’écrivain recompose, à partir du Brésil où il a suivi sa première femme, enseignante. Lui écrivait, mais jamais sur ce pays. Il engrangeait : images, parfums, ostrogoths de passage qui se retrouvent aujourd’hui dans ses pages comme cet universitaire jésuite, meilleur dormeur que témoin, ou cette ouvreuse de cinéma devenue agent secret. A la question «Comment naissent vos personnages ?», Daniel Pennac répond : «Comme ça. De l’imprévisible et nécessaire combinaison entre les exigences d’un thème, les besoins du récit, les sédiments de la vie, les hasards de la rêverie...» L’écrivain fait visiter ses coulisses et semble éprouver un malin plaisir à montrer quelques ficelles tout en en actionnant d’autres, plus discrètement. Comment un souvenir devient un personnage? Comment un personnage devient une personne vivante ? Tout est affaire de liens qui se nouent, dans un hamac.

Reste qu’à force d’ouvrir des fenêtres, Daniel Pennac engendre des appels d’air qui tiraillent l’attention et laissent une impression de vertige et d’inabouti. Ses confidences de romancier font presque les meilleurs passages, mais Pennac ne voulait pas d’un nouvel essai sur les artifices de l’écriture. Il les a donc insérées entre d’autres histoires, moins «réelles», sur les malheurs des sosies illuminés par de fines lectures d’un Charlie Chaplin porté aux nues.

De digressions en caractères, Daniel Pennac noie le poisson, pour se noyer lui-même: «On écrit pour en finir avec soi-même mais dans le désir d’être lu, pas moyen d’échapper à cette contradiction». Qui alimente sa saudade, et celle des amateurs.

Daniel Pennac, Le dictateur et le hamac, Gallimard, 395 p.

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Un voyageur


Daniel Pennac est né en 1944 au Maroc, à Casablanca, dans une famille de militaires corses. Il a raccourci son vrai nom, Pennachioni, pour pouvoir signer son premier livre, un pamphlet anti-militariste. Premier vrai grand succès avec La fée carabine prolongé par les illustres La petite marchande de prose et Comme un roman. Le père de la saga Malaussène, également auteur de livres pour enfants, n’avait rien écrit depuis cinq ans.

Avec Le Dictateur et le Hamac il quitte sa tribu pour se lancer dans un nouveau genre où il se mêle à ses personnages. Professeur de français pendant des années, Daniel Pennac n’enseigne plus mais continue à se rendre dans les écoles. Il vit entre Paris et le Vercors, l’esprit dans son hamac.
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