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Le point de vue des cliniques privées : des assises au chevet de notre médecine

« Les textes législatifs » régissant la médecine sont obsolètes. Pour une clinique qui voit le jour, cinq sont en situation de faillite ». Le docteur Farouk Laraqi, le président de l’Association nationale des Cliniques privées, ne mâche pas ses mots

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Lorsque je vous ai parlé au téléphone, vous avez déploré l’absence de la santé dans les débats que ce soit au niveau officiel ou dans les médias. Qu’elles sont, d’après vous les problèmes principaux dont souffre ce secteur ?

Si j’ai dit qu’il n’y a pas de débat, c’est en raison de l’urgence qu’il y a à parler des problèmes de la santé. J’ai l‘impression que le Maroc s’intéresse à tout sauf à sa propre santé. On assiste à la tenue de nombreuses assises concernant différents secteurs pour établir des programmes, tout à fait valables d’ailleurs, mais je ne vois pas d’assises, et cela depuis très longtemps, concernant la santé en vue de mettre à plat tous les problèmes qui l’entoure.

D’après vous, quels sont les grands problèmes du secteur ?

Il y en a beaucoup, mais je crois d’abord et avant tout qu’il y a celui de la réglementation. Nous naviguons dans un flou total où les secteurs empiètent les uns sur les autres, de telle manière que même le minimum de règles du jeu établi, n’est pas respecté. Nous n’avons pas cessé depuis plusieurs années de le rappeler, de parler des dangers à pratiquer la médecine en dehors du cadre légal et apparemment, pour des raisons que j’ignore, le sujet de la santé ne semble pas préoccuper les médecins et les responsables en particulier. Tout cela parce que les responsabilités sont mal définies. Le ministère de la Santé initialement était celui de la Santé publique, on lui adjoint par la suite le secteur privé en enlevant le mot public, mais apparemment, il n’a pas encore acquis l’habitude de s’intéresser au privé. Jusqu’à maintenant, celui qui s’intéressait au privé était le Conseil de l’Ordre qui n’avait pas les moyens humains, matériels et juridique pour gérer le secteur. Peut-être qu’il en a du point de vue théorique, mais du point de vue pratique, il n’en a pas pour appliquer les règles de l’éthique et de la déontologie comme il se doit. A tel point qu’un médecin de la santé publique ou du CHU, a plusieurs responsables hiérarchiques, le ministère de la santé, l’Ordre des médecins, le ministère de l’Education national s’agissant du médecin du CHU. Or, cette multiplicité des responsabilités rend les relations entre les uns et des autres, très difficiles à gérer. Résultat : l’Ordre des médecins, qui n’a pas été renouvelé depuis deux ans déjà, est dans l’incapacité de s’intéresser à ce qui se passe dans les hôpitaux parce que les hiérarchies administratives rendent les choses très difficiles. Ce qui fait que depuis plusieurs années, aucune modification, aucune réforme n’ont été apportées aux textes législatifs régissant la profession médicale. Celle-ci évolue d’une manière très rapide et il est évident que les textes peuvent suivre cette évolution. Or, nos textes à nous sont en perte de vitesse.

Sur quel point exactement ? Vous avez cité la multiplicité des hiérarchies, on ajouterait éventuellement, le problème de la fiscalité, mais est-ce qu’il y en a d’autres ?

Prenons le cas de la fiscalité. Je trouve vraiment injuste vis-à -vis des médecins et vis-à-vis des cliniques en général. Nous avons mis 15 ans à lutter pour la suppression de la TVA, elle n’a été supprimée que l’année dernière, mais il y d’autres impôts tels que la patente qui est totalement injuste parce qu’elle est exorbitante. Il faut savoir que la clinique n’est plus une entreprise rentable, elle ne travaille que pour payer les impôts, ce qui n’est pas pour la rendre viable. Pour être viable, elle doit être rentable pour pouvoir investir.

Surtout que le matériel est cher

Oui, nous assistons aujourd’hui à une surévaluation du geste médicale qui n’est pas dans les possibilités matérielles du citoyen.

Etant donné cette situation, peut-on dire qu’on est bien soigné au Maroc ?

Pour ceux qui en ont les moyens, oui. Parce que la médecine privée est la seule à pouvoir se doter de matériel performant, pour la simple raison que les hôpitaux publics ou les CHU n’ont pas les moyens. Or, on s’aperçoit aujourd’hui que l’investissement dans ce secteur se fait à perte. Vous me direz pourquoi, dans ce cas, on continue à ouvrir des cliniques alors même qu’elle ne sont pas rentables. Je vous répondrais que lorsqu’une clinique ouvre, il y en cinq qui ferment. Secundo, les médecins ouvrent des cliniques parce qu’ils manquent de travail dans le public et pour eux, c’est la seule façon de se réaliser. Malheureusement, au bout de quelques années, ils se rendent compte qu’ils ne peuvent pas payer leurs dettes, qu’ils ne peuvent pas payer leurs impôts, et ils s’acheminent vers le dépôt de bilan. Les médecins sont aujourd’hui en faillite, les cliniques sont en faillite. Aujourd’hui, quand des médecins installés qui n’arrivent pas à faire 3000 ou 4000dh par mois, il y a de quoi se poser la question. Nous sommes quand même des intellectuels, nous avons fait les études les plus longues, les plus difficiles et nous sommes en droit d’avoir une vie décente. Comment peut-on aujourd’hui conseiller nos enfants de faire médecine ?
Voilà ce qui n’est pas pour nous rassurer quand à la bonne santé de notre médecine.
Je disais tout à l’heure qu’il faut avoir les moyens pour bénéficier de soins de qualité, parce que tout est cher, les médicaments, le matériel, les impôts sont trop lourds, les investissements aussi. Tout ça fait que le geste médical n’est pas à la portée du citoyen moyen.
Ce qui fait que nous sommes obligé de faire du dumping pour affranchir les patients. C’est pour toutes ces raisons que les médecins appellent de leur vœu la tenue d’assises en vue de mettre à plat tous ces sujets, les débattre et trouver des solutions susceptibles de sauver notre médecine.
Pourtant, il y a des mesures qui ont été prises au niveau gouvernemental dont la généralisation de la couverture sociale qui, on l’espère, aidera à dynamiser le secteur.
Je ne pense pas que la généralisation de la couverture sociale soit applicable. Je l’ai dit, il y a dix ans, dès les premières consultations sur le sujet. Je le redis encore aujourd’hui…

Pourquoi ? faute de source de financement ?

Entre autres, il y a également le problème des textes qui régissent la médecine, celui de la carte sanitaire, celui de la nomenclature etc… Sans ces réformes nécessaires, il ne faut pas se faire d’illusion. D’un autre côté, on veut confier la gestion de ce dossier à la CNSS qui fera office à la fois de caisse, de gestionnaire et de prestataire de soins. Déjà avec la CNSS il faut régler le problème des polycliniques toujours en instance, et aujourd’hui on assiste à un dumping des tarifs de la part de la CNSS pour remplir les polycliniques. Et ce sont les cliniques qui en sont victimes. C’est, à mon avis, une concurrence déloyale qui entraîne la mort du secteur privé. En plus, c’est une politique qui ne peut tenir la route longtemps car, le déficit que ces polycliniques accuse doit bien être payé. Nous ne sommes pas contre la CNSS, nous sommes contre le fait qu’elle soit la seule à tout faire, parce qu’il y aura des abus. Comment voulez-vous que les polycliniques de la CNSS qui bénéficient d’avantages fiscaux, qui ne paient pas d’impôts, et dont les salariés sont payés par l’Etat soient déficitaires alors que nous dans le privé qui n’avons rien de tout cela et qui pratiquons les mêmes tarifs, ne le soyons pas ?
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