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Les portes du sang de Michel del Castillo : Mère fatale

Depuis Les Etoiles froides, Michel del Castillo a fait de sa mère un personnage de roman. Clara del Monte, femme magnifique et monstrueuse, extraordinaire et fatale dont il continue l’histoire et le portrait dans Les Portes du sang. A travers des té

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«Nous deux, c’est à la vie à la mort hein ? Rien ni personne ne nous séparera jamais. Tu es fou, mais j’aime ta folie mon amour.» Cette phrase exaltée n’est ni d’une épouse ni d’une maîtresse, mais d’une mère qui s’adresse à son fils. Une mère folle et fatale, intelligente et inconsciente, très belle mais d’une exubérance indécente. Une femme passionnée, indépendante mais égoïste, éprise de justice mais capable du pire envers son petit garçon dont elle s’est servi comme bouclier, pendant la guerre.

Mère-reine, mère-fauve, mère-maîtresse, mère traîtresse : depuis Tanguy, son premier livre, Michel del Castillo ne cesse de raconter cet amour-passion avec sa mère, dans ce qu’il a de plus magnifique et de plus atroce. Ils s’adoraient, d’un sentiment qui étouffe, dévore, empêche la vie et conduit vers la mort. «C’est vrai, j’ai passé mon enfance à souhaiter intérieurement la mort de ma mère, c’est-à-dire, en être délivré», confiait l’écrivain au magazine Lire en 1995. Il n’en finit pas de la mythifier et de la tuer, à coups de stylo.

Dans Les Etoiles froides (2001), il en a fait un personnage de fiction, plus romanesque que jamais, appelé Clara del Monte. Une universitaire espagnole, biographe de talent et auteur d’une thèse sur Federico Garcia Lorca, entreprenait une enquête sur la vie de cette fameuse Clara, fille de la haute société espagnole. Le livre s’achevait en pleine guerre civile. Dans Les portes du sang, la nièce de la précédente narratrice continue l’enquête à partir des documents laissés par sa défunte tante.

L’histoire reprend en mars 1939 : Clara del Monte, vedette de la radio républicaine, trahit des amants phalangistes pour quitter l’Espagne en emmenant son dernier fils sous le bras, un petit Xavier âgé de six ans, déjà terrorisé et malingre. Ils espèrent trouver en France l’accueil et le soutien du père de l’enfant mais celui-ci les abandonne plus ou moins à leur sort de réfugiés. Commence une période d’errance, de Marseille à Vichy, où Clara et son fils vivent d’expédients, le menton haut comme des princes mais avec des allures de mendiants. Belle, tapageuse, elle s’active, laissant son petit garçon livré à lui-même.

Xavier se trouve des nourrices, une mère de famille et une libraire, qui lui donnent accès à ce qui le sauvera : le piano et les livres. Mûr, trop pour son âge, l’enfant disserte sur Dumas et Balzac qu’il avale chaque matin avant d’aller rejoindre le clavier qu’il caresse déjà comme un grand pianiste. Il a l’oreille absolue et l’interprétation spontanée. Il subjugue. Pendant l’hiver 40, sa mère est internée avec d’autres réfugiées espagnoles au fin fond de la Lozère. Loin de vouloir trouver refuge pour son fils, Clara s’arrange pour le faire venir dans le camp dont il partage la vie un certain temps. Avant que la cavale reprenne, tragique.

Témoin numéro un

«Ma mère n’avait pas d’excuse mais les circonstances historiques ont beaucoup pesé sur elle. Je veux comprendre avant de mourir. Comprendre ne veut pas dire pardonner. Je comprends Médée, Brasillach, mais je les aurais condamnés à mort. Ma mère naît en 1905 et meurt en 1993, donc la comprendre c’est comprendre tout un siècle. Ces monstres, chacun de nous les porte en soi. Et ça, Dostoïevski l’a très bien démontré dans son Sous-sol. Chacun peut déraper.

«Il m’aimait par haine», écrit Dostoïevski. J’ai vécu ça avec ma mère» confiait encore Michel del Castillo à Lire. Las de fouiller en lui-même, de reconstituer sa mère via ses souvenirs, il utilise des médiateurs : Angelina, la narratrice, Elisa, la «tante» qui avait commencé l’enquête, et toute une série de femmes qui se sont trouvées sur le chemin de Clara et Xavier. Toutes ont aimé Xavier et beaucoup moins Clara. Mais elle les fascinaient. Elles en dressent un portrait polyphonique et multiforme, s’appliquant, chacune à leur façon, à se rapprocher du noeud, du coeur : Clara était-elle une révolutionnaire, une prostituée, une espionne ? Un monstre ou une victime ? Une manipulatrice ou une manipulée? Le mystère tourne autour d’elle comme de la fumée autour d’une source chaude, bouleversant les enquêtrices qui lui sont liées d’une façon ou d’une autre.

Clara attire, repousse, indigne, attendrit. Qu’a t-elle fait, pourquoi l’a t-elle fait ? La question centrale restant : aimait-elle son fils et de quel amour? «Dans ma vie Angelina, j’ai pu douter de tout, je n’ai jamais conçu le moindre doute sur l’intensité de cette passion» avoue Xavier devenu adulte et pianiste de renom.
Le plus étonnant dans ce livre d’une incroyable densité romanesque et littéraire, c’est peut-être la présence de son témoignage à lui, le fils, le témoin numéro un. Ce double romanesque qui ne dit rien de moins que l’enfance et les sentiments de Michel del Castillo et que l’auteur observe, à distance. Le principal témoin participe à l’enquête sans la diriger. Il laisse quelqu’un d’extérieur s’en charger, pour plus d’objectivité, ou pour montrer que Clara del Monte en fascine bien d’autres que lui.
Reste un flou que l’écrivain - qui a si souvent mélangé réalité et roman- perpétue : dans les enregistrements rapportés, les documents reproduits, les noms cités, quelle est la part de vérité ? Michel del Castillo répond à moitié, en préface : «Les Portes du sang, c’est cette poussée non pour trouver la vérité mais tenter d’en construire une.» Avant d’ajouter : «Clara del Monte appartient à l’art, non au témoignage ou à l’aveu. Si elle fut ma mère, elle est devenue un personnage esthétique. Je l’ai voulu ainsi. Je demande qu’on respecte mon choix.»

«Les Portes du Sang» de Michel Castillo
Seuil, 374 p.

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