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«Pèlerinage d'un artiste amoureux» de Abdelkébir Khatibi ou l'histoire d'un esthète errant

Stucateur à Fès à la fin du XIXe siècle, Raïssi, jeune homme habité par des figures ornementales et des visions oniriques, embarque pour La Mecque, porteur d'un message pour le Prophète. C'est le début d'une grande épopée mystique qui ne prendra pas fin à

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Or deux événements viennent précipiter son départ. Il découvre d'abord, assez miraculeusement, deux étranges lettres emmurées près d'un cadavre. L'une d'elles chargeant celui qui la trouvera d'un message pour le Prophète. Il rencontre ensuite La Sicilienne, une femme mariée si voluptueuse que, brassant l'adultère dans l'ivresse, elle met sa raison en danger. Il part donc.
Par dévotion ou pour fuir ? Il ne sait. Tout questionnement religieux est chez lui comme une porte sur le puits de l'identité. « La foi est mon théâtre, j'y crée des ombres, des personnages de vertu, des modèles de courage ». Entre apprentissage et épopée mystique, ce voyage lui donne l'occasion d'affirmer son regard d'artiste comme mode d'appréhension du monde.
Alger, Malte, sa cathédrale et sa joute poétique, la prostituée d'Alexandrie, la momie du Caire, la croisière du bateau mosquée s'achève dans un naufrage mémorable où « les anges murmurent des paroles miraculeuses aux pèlerins ».
Raïssi et quelques autres rescapés continuent à travers le désert, hôtes d'une caravane de bédouins. Quand ils arrivent à La Mecque, l'ange du jeune homme prend le relais pour narrer son pèlerinage. Un chapitre unique, acmé du récit, Raïssi est « en voie de transmutation ».
Désormais c'est lui qui dira son histoire, son retour à Fès en héros, son départ pour Marrakech. Deuxième partie de sa vie, il s'installe à Tit puis à Mazagan, se marie et devient père. Mais sa quête continue : il apprend d'autres métiers, d'autres arts, d'autres sentiments. C'est au temps du protectorat, le Parrain assoit son autorité sur la région, la résistance s'organise. Il en est mais se lie aussi avec le Docteur Daumal venu « pour soulager, non pour coloniser » et Mademoiselle Matisse, une musicienne pour qui la guerre est l'ennemi de l'art.
« Né dans l'art ornemental », « né pour être captif d'une vie créatrice », Raïssi est un pensif, la solitude est « sa patrie angélique ». Mais chacune de ses expériences est marquée par une rencontre avec un être différent de lui-même : un Polyconteur, un bédouin, un juif, un photographe, le fils naturel de Shéhérazade, sa femme, des Français. Tradition initiatique ou leçon de tolérance ?
Cette grande fresque aurait été inspirée à l'écrivain et sociologue Abdelkébir Khatibi par la vie de son grand père. Entrelaçant les idées comme des formes à sculpter, l'écriture s'annonce alambiquée, ardue, avec un goût prononcé pour les abstractions et les envolées aériennes. Mais plus le roman progresse plus le style s'assouplit, jusqu'à rappeler, par ses images et son rythme, l'esthétique des contes orientaux. Abdelkébir Khatibi y entrelace l'art et la religion, l'amour et les fantasmes, la description du monde et les visions oniriques. Point de fuite de ses perspectives : une sorte de métaphysique des sens. Son personnage prône la glissade dans l'incontrôlable, l'abandon aux signes et aux plaisirs. Une « vie placée sous hypnose », presque une philosophie.

Editions Tarik/Le Rocher, 249 p.
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