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Point de vue : le pillage des musées irakiens, une grave menace pour le patrimoine de l’humanité

Pays de l'ancienne Mésopotamie, situé entre le Tigre et l'Euphrate, l’Irak est le berceaux de la civilisation humaine. Début de l’agriculture, du droit, de la technique, de l’écriture et de l’histoire civilisée, nous rappellent san

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En fait, l’histoire de l’Irak remonte à la naissance sur la terre de ce qui constitue le monde moderne. Ce qui a été donc menacé, par la guerre et les pillages qui ont eu lieu dans ce pays, c'est une part importante de l'héritage et du patrimoine culturel universel auquel ont droit chaque citoyen de la planète. Malheureusement, peu de personnes font le lien entre notre passé commun et nos sociétés contemporaines. Les dommages causés au patrimoine culturel et sa destruction représentent un appauvrissement pour la vie culturelle de l'humanité toute entière. Sous les bombardements et suite aux pillages les seuls témoignages visuels de ce début d’humanité risquent de disparaître.

Le patrimoine irakien, patrimoine de l’humanité

Six fois millénaire, l’histoire de l’Irak a connu les civilisations les plus florissantes où l'homme a, pour la première fois, ensemencé la terre et vécu selon un code de lois. C’est ce qui explique la profusion des sites archéologiques qui font partie de l’environnement physique immédiat des Irakiens. On estime qu’en Irak le nombre de sites archéologiques se situe entre 10. 000 et 100. 000. À peine 15% seulement du territoire irakien a fait l'objet d'études, de nombreux sites sont encore inexplorés et ou mis à jour. Tous ses vestiges inconnus se trouvaient sur le terrain des combats et des bombardements.
C’est entre les deux voies de communication, le Tigre et l'Euphrate qu’ont été inventés les fondements de toutes les civilisations ultérieures, tels que l’écriture, la roue, les mathématiques, le droit, l'architecture, les premières administrations ou la maîtrise de l’eau et des techniques agraires révolutionnaires - soit les prémices de notre civilisation et les origines de notre monde moderne. Le premier empire sémitique naît environ vers 2 320 av. J.-C. Mais c’est surtout le roi Hammourabi qui réunit l’entière Mésopotamie en tant que Royaume prospère. Sa capitale Babylone rayonnera comme centre culturel. Elle diffuse partout créations et inventions. Pendant l'ère babylonienne, Hammourabi met au point le premier code juridique de l’humanité. Sous l'empire néo-babylonien, Nabuchodonosor II promeut les sciences et l'astrologie: c'est alors que sont inventées l'algèbre et la division du temps en heures, minutes et secondes. Avec la naissance de l’Islam, Bagdad qui existait déjà à l'époque de Hammourabi retrouve une place centrale et redevient la capitale d’un nouvel empire. Le IXe siècle voit son apogée. C'est à Bagdad, au début de l'ère abbasside, que se produit une extraordinaire floraison intellectuelle qui évoque la frénésie architecturale et le grand développement de la philosophie, des mathematiques, de chimie, de médecine, d’astronomie et de physique. La tradition conserve l'image du Calife Haroun ar-Rachid, le souverain des Milles et une nuits et celle d 'Al Mamoune son fils, fondateur de Beït Al-Hikma, le premier grand centre de traduction et de réflexion au monde.

Les Guerres du Golfe et les effets de l’embargo

Les deux dernières décennies, en Irak, ont été fortement marquées par la guerre ou le patrimoine a beaucoup souffert. La guerre Iran-Irak, puis la guerre du Golfe. Au total, près de onze années de conflits, et douze années d’embargo. Inévitablement, les pilonnages aériens répétés, la guerre sur le terrain, n’ont pu qu’endommager nombre de sites situés à des points stratégiques. Il suffit pour cela d’envisager les 10 000 sites archéologiques répertoriés et de les confronter aux 434 000 km2 de l’Irak pour le comprendre. A titre d’exemple, durant la premièreguerre du Golfe, la vieille cité du monde, Ziggourat à Ur, a été partiellement endommagée. Durant l’opération «Tempête du désert» affirme le professeur Scott Silliman de Duke University et conseiller à U. S air force, les musées les plus notables de Baghdad ont été des cibles importantes. Il faut préciser que la salle des antiquités assyriennes jouxte le ministère de la Communication ; et qu’à quelques dizaines de mètres de là se situe la station de radio et de télévision irakienne. Or, ces deux cibles stratégiques ont déjà été détruites trois fois (1991, 1998 et 2003) par l’aviation américaine.
Un responsable de l'UNESCO, Mounir Bouchenaki, note que si des dommages ont été relevés suite à la guerre, «les édifices et les sites ont beaucoup plus souffert de leur manque d'entretien et de leur état d'abandon, pendant de longues années, après le conflit». La conséquence à cela est la dégradation irrémédiable de milliers d’objets dans les réserves des musées irakiens. Les produits chimiques nécessaires à leur conservation, ainsi que les laboratoires, étant tombés sous le coup des demandes d’autorisation à l’ONU, étaient extrêmement difficiles à obtenir.

Pillage et impact de la guerre

Le pillage organisé est lui aussi un fléau redoutable pour ce patrimoine. L’expérience de 1991 a prouvé que les pilleurs profitaient de la désorganisation de la guerre pour agir. La profusion des sites joue en leur faveur, ceux-ci ne pouvant pas tous être gardés. Les pilleurs sont armés, et agissent pour le compte de collectionneurs étrangers, voire même de musées étrangers. Pillages amplifiés par l’absence de fonctionnement du gouvernement irakien ou de toute autorité. Les pilleurs recherchent les pièces à la commande précise des collectionneurs voire même de certains musées et galeries occidentaux. Ils disposent, pour ce faire, de cartes précises des sites, et fouillent la couche contenant l’objet commandé, détruisant les strates supérieures. Des objets archéologiques évacués des musées de Baghdad, Kirkuk, Mosel, et Bassorah auraient été volés lors du chaos de la défaite, exactement comme il y a quelques semaines après l’invasion américaine de Baghdad.
C’est ainsi que plus de 4 000 objets archéologiques répertoriés ont été volés dans les musées irakiens. Un catalogue officiel de ces objets les répertorie. Rares sont celle qui ont refait surface. Autre péril des fouilles clandestines et illicites et des opérations de contrebande au cours de la guerre ont été organisées. Très rapidement, après cette invasion, des excavation illégales à ciel-ouvert ont été dénombrées d’autant plus dramatique, que les sites de Mésopotamie ne sont que partiellement identifiés et fouillés. Les bombardements intensifs sur Bagdad ont détruit des musées, des monuments, des mosquées qui se compte par centaines dans la ville. On ne peut que déplorer le fait que la plupart des stratèges militaires américains qui planifiaient les bombardement intensifs semblaient complètement indifférents à la question.
Les militaires estiment que les armes précises réduisent la menace sur cette héritage culturel. Pourtant, la précision des missiles guidés a montré ses limites. Les récents bombardements; notamment sur un marché, sur des hôpitaux, des hôtels, sur des foules de civils, sur des journalistes, sur des soldats alliés aux américains, voire sur d’autres pays montrent les dangers des bombardements pour ce patrimoine universel. Il ne serait donc pas surprenant qu’aucune évaluation indépendante du dommage de cette guerre ne puisse être élaborée, comme celle du précédent conflit de 1991. Au conseil de sécurité des Nation-Unies, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont bloqué l’appel de l’Irak, voire d’une bonne partie de l’humanité, pour qu’une commission de l’Unesco la conduise, afin de leur éviter une mauvaise publicité.
La convention de la Haye de 1954, prohibe de cibler les sites culturels ou religieux en période de guerre. Washington, cyniquement, n’a jamais ratifié cet accord pour n’avoir aucun compte à rendre à la communauté internationale.

La protection du patrimoine

Actuellement, personne ne peut obliger légalement les Etats-Unis à préserver les sites afin qu’ils soient gardés pour éviter les pillages ou voire même de les restituer en cas d'appropriation illégale sur son marché ou par ses citoyens. Le gouvernement américain, ne faisant pas partie de la Convention de La Haye pour la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé n’est même pas tenu de respecter cette convention même une fois les combats terminés.
Contre les bombardements de sites archéologiques, les Irakiens et archéologues venus du monde entier ne pouvaient rien faire sinon camper dans certain site durant le conflit. Contre la menace qui pèse sur les musées archéologiques, les archéologues avaient adopté plusieurs solutions de fortune. Tout d’abord, pour éviter que les bâtisses soient directement bombardées, de par leur proximité avec des ministères, les autorités irakiennes avaient fait peindre sur les toits de colossaux sigles « Unesco ». A la situation des établissements culturels protégés par la convention de La Haye, protection symbolique, que l’on espérait efficace, s’ajoutent des solutions d’enfouissement des pièces transportables dans des cages métalliques.
Nombre d’entre eux avaient été détruits par les mauvaises conditions de conservation, dues entre autres à des infiltrations d’eau souterraine. Quant à certaines pièces de pierre, lourdes de plusieurs tonnes, la seule solution est de les recouvrir de sacs de sable. Dans l’état actuel de nos connaissance, il est clair que le pillage aurait pu être atténué si les Américains avaient pensé à une transition plus intelligente et que les sites avaient été en permanence et systématiquement surveillés après leur invasion. Il est inutile de préciser que l’UNESCO et d’autres organisations planétaires qui avaient la compétence, la légitimité mais aussi le mandat de protéger ces sites ont été peu efficaces. Ce que nous pouvons espérer, maintenant, c’est que les gouvernements en position d'agir et de fournir des ressources, humaines et financières, le fassent le plus vite possible et évaluent objectivement les dommages subis par le patrimoine culturel afin de mettre en œuvre les programmes de restauration et de réhabilitation nécessaires.
En définitive, il est urgent de préparer, en détail, un plan pour le rapatriement ou la restitution des biens concernés, avec la participation d'érudits irakiens et de professionnels du monde entier.

* Sculpteur marocain résidant au Canada
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