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Quand peinture et sculpture font bon ménage

Un couple expose à la Galerie Venise Cadre (Casablanca), jusqu’au 15 avril. Max Mitau et Sophie Zina-O. Il est peintre, elle est sculpteur. Les toiles font jaillir une lumière minérale de la matière. La fluidité de la matière dans les stelles et bus

Quand peinture et sculpture font bon ménage
Ces toiles ont-elles quelque chose fortement en commun avec ces stelles et ces bustes sur lesquels alterne le regard ? Leur affinité la plus évidente est que leurs auteurs vivent et travaillent ensemble à Bordeaux : Max Mitau et Sophie Zina-O. Autre lien, incertain, est que les toiles de Max Mitau voudraient peut-être approcher, par certains aspects, quelque caractère de sculpture. Leurs figures, où plutôt leur unique figure, avec ses légères variantes, isolée, est installée ou suspendue dans l’espace avec tant de délicatesse, et imposant une présence dont la consistance est soutenue par les reflets métalliques de l’or qui la traverse. Autre consistance, un relief prononcé de la peinture surtout sur les fonds, et un corps étranger parfois écussonné sur la toile, fils de plomb accrochant la figure à la surface de l’abysse ardente ou profonde, et si vaste, autre proéminence. Et quelle figure est-ce ? Une figure géométrique basique, le carré rudimentaire et essentiel, sobre et magique, mirage, appartition chargée à la fois de mystère et d’éclat. Qu’évoque pour le peintre cette forme obsessionnelle, si pure et si belle ? Intuitivement elle suggère le chiffre quatre… Quatre angles égaux, les quatre points cardinaux, les quatre éléments primordiaux (l’eau, l’air, le feu et la terre)…
Voici un tableau oblong, rectangle vertical, à la trame d’un bleu intense, et compacte, océan infini dont le fonds noir s’élève en une strate fauve agitée avant de se noyer dans l’immensité céruléenne. Transpercée par deux fils de fer où se suspendent deux petits carrés accolés, étincelants d’un carré or en leur cœur, perdus mais attachés, aériens mais fixés, miroitement cristallisé entre le ciel et la mer, diamant éblouissant surgi du fond des flots. Sur d’autres toiles, ces fils de suspension sont figés tracés en peinture , comme fossiles, et s’ils sont éloignés du sujet, ils n’en établissent pas moins une tension sur la composition, pour la corser, avec un effet d’équilibre esthétique non dépourvu de quelque chose de dramatique.
Voici encore un tableau de feu rutilant, férocement contenu entre deux bûches géantes (le carré s’est allongé en deux rectangles formant un âtre) poudrées d’or, «tenues» par ces ficelles de métal qui les effleurent, soleil couchant embrasé entre deux continents, lumière cosmique, moment crucial… Les toiles se succèdent, les fonds sont parfois extrêmement denses, faisant penser à une utilisation de sable, mais le peintre affectionne les pigments de bois, de riz, d’acrylique… La texture compacte prend parfois l’allure d’un liquide intense avec des ondes marquées en relief, horizontales. Ces fonds sont des contextes impressionnants qui fragilisent le sujet, ces carrés égarés mais gorgés de lumière, qui prennent parfois l’air de bijoux, de trésors. Mais ils finissent par s’ancrer dans l’étendue inquiétante, originelle, vierge, caverneuse ou flamboyante, de roc, de gravats, ou d’eau ténébreuse. Ainsi le peintre rend-il hommage à l’homme préhistorique, à l’art rupestre, tout en travaillant à la main, sans pinceau. Et se révèle un formidable matièriste (sculpteur de peinture) qui sait déployer la charge émotive sur l’aspérité des surfaces. Et c’est de la matière que jaillit la lumière, c’est pourquoi cette lumière est minérale, une lumière or, puissante et résonnante, et ronde, opaque, créant une atmosphère mystique, profonde, où les estampes et des signes imperceptibles produisent des échos, tandis que des débris d’éclat d’or se brisent encore dans l’abîme. Comme aussi des ombres de parchemins enfouis dans la terre, le temps, les mémoires… et qui ressurgissent…
Quand l’or devient flamme, la force des êtres et des choses est recréée dans une ambiance et des tons (rouge, noire, brique, ivoire…) souvent d’influence extrême-orientale. Les flammes se répandent en motifs chinois dans les carrés, les fils deviennent des silhouettes tranchantes. Empreinte de boudhisme qui imprégne quelque peu l’artiste. Et dans d’autres toiles, les filaments s’arrondissent pour former un astre en feu en éclipse… Quand l’or devient or ancien noirci, il est joyau précieux ancestral, comme la vision de cette ceinture immémoriale qui enceint l’Histoire, qui se ferme par une broche somptueuse.

«Moments secrets»

Quant aux sculptures de Sophie Zina-O, ce sont souvent des stelles en bronze ou en grès patiné à la forme concave où des galbes féminins sensuels longilignes se découpent sur un paysage. Stelles travaillées aussi sur le dos en paysage dense évoquant parfois une cité avec la présence d’un astre qui crée un rythme sourd avec la matière sombre. Et par moments, des «roses» de la même matière, aux tiges de fils de fer traversent la stelle. Au bas des corps féminins, des plissures, comme la traîne d’un drapé grec, qui crée des ondes sur la base de la stelle, un sur-relief aérien, élégant, majestueux, et, en résonnance avec l’astre gravé qui le surplombe, diffuse une douce musicalité sur la stelle qui accompagne la fluidité de la matière. Les stelles prennent parfois des tons verdâtres ou ocre foncé dérivés du tête de nègre, ce qui les carresse de poésie. D’autres stelles se courbent et se calamistrent gracieusement comme un feuillage, magnifiant les valeurs lumineuses qui sillonnent leurs courbures limpides. Dédale, prélude ou attente, ce sont des «mouvements secrets» qui caractérisent la recherche sculpturale de Zina-O dans un esprit de «retour aux sources» et de sollicitation de l’invisible. Et d’autres sculptures, ce sont toujours des corps de femmes, sirènes, nus, bustes, dans des attitudes où la décence voile la volupté, où la matière lustrée émet des éclats fugaces étincelants. Sculptures où l’esthétisme est évident, rayonnant.
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