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Retour sur l'Histoire avec Fero, Tozy, Arkoun et Makine

Est-il possible de prévoir l'avenir quand notre perception du passé est embuée par l'épais nuage des préjugés, des interprétations subjectives ou par notre imagination débordante, et le plus souvent par le manque de recul ou par notre incapacité à cerner

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«L'histoire a besoin de temps pour que s'éclaircisse le champ d'une vérité à démêler des faux-semblants créés par les interprétations ou les censures individuelles ou collectives. Quelles leçons en tirer quand celle-ci a été débarrassée des outrances de mensonges ou extraite de l'oubli ? Quand la fiction prend appui sur l'histoire, elle la transcende et tente de l'exorciser», lit-on dans la présentation de la table ronde organisée à l'occasion du Salon du livre de Tanger, qui résume de manière concise mais exaustive l'essentiel des préoccupations des intervenants à cette première rencontre sous le titre «reconstituer une mémoire vraie, témoigner pour construire le XXIe siècle».
Pour l'historien Marc Fero, « on n'est jamais assuré contre l'histoire ». Il raconte que Lénine, à la veille de la révolution russe, en 1917, écrivit à sa mère pour exprimer son désespoir de ne jamais voir la révolution. Quelques semaines plus tard, il y était, à sa grande surprise, à la tête.
Pour rester plus proche du présent, qui aurait pu prévoir les attentats du 11 septembre au cœur de la puissance américaine ? Qui aurait prévu que l'histoire prendrait la tournure que nous vivons actuellement, et dont nous ignorons tout de l'issue, après ce drame ?
Pour l'auteur du « choc de l'Islam » c'est sans doute la perception qu'ont les Occidentaux de l'autre, dont le monde de l'Islam, faite de préjugés, d'interprétations erronées de l'histoire, qui est à la base de cette incapacité à prévoir les événements. Pour lui, l'Occident oublie souvent que le monde islamique a une mémoire collective dont la résonnance porte jusqu'aux contrées les plus insoupçonnées de ce monde. Il rappelle que le Dahir berbère par exemple, qu'on pensait à l'époque avoir une portée locale, a suscité des réactions dans les rues de Sumatra et de Djakarta. C'était en 1930, alors que les médias, et donc la circulation de l'information étaient sans commune mesure avec ce qui se fait actuellement.
Si Féro a insisté sur les multiples ruses dont se sert l'histoire pour se jouer des hommes et les traîner dans son tourbillon en les façonnant à sa guise, Mohamed Arkoun, soucieux des évènements dramatiques de son pays d'origine, l'Algérie, a préféré décliner son intervention sous forme de témoignage, puisque c'est de cela qu'il s'agit dans ce débat. Pour lui, il n'y a pas une mémoire collective d'une société ou d'un peuple ; il est plus juste, et plus conforme à la réalité, de parler des mémoires étant donné les différences d'origines, de cultures et de langues qui traversent la-dite société. L'allusion est claire au débat qui secoue actuellement l'Algérie sur la place de la langue amazigh dans ce pays. Pour lui, les hommes ne sont pas porteurs d'une seule mémoire collective mais de plusieurs à la fois. La question étant de savoir s'ils appréhendent cette pluralité comme un handicap qu'il faut surmonter ou au contraire une richesse dont il faudrait exploiter de manière créative.
Il est de la langue amazigh au Maghreb comme de l'histoire dans le monde arabe poursuit-il. Ce n'est pas la première fois que ce chercheur émérite met l'accent sur la domination de ce qu'il appelle l' interprétation «mythico-religieuse» et « mythico-idéologique » de l'histoire dans le monde arabo-musulman, qui, non seulement ne laisse aucune place au développement de la recherche scientifique, mais agit de manière dangereuse sur la perception qu'ont les musulmans sur le reste du monde.
Pour Tozy, il faut se garder des notions telle « la mémoire vraie ». Pour lui, l'histoire en tant que lieu de mémoire est un enjeu animé par les rapports de force dans une entité donnée. Il prend comme exemple la multiplication des témoignages sur ce qu'on appelle les « années de plomb » au Maroc ou ceux des anciens acteurs du nationalisme sous la colonisation. Faut-il les prendre comme écriture de l'histoire telle qu'elle s'est passée réellement ou uniquement comme document entre bien d'autres à soumettre à l'examen critique de l'historien ? Il rejoint ici l'idée d'Arkoun sur la notion de la pluralité des mémoires collectives et de la nécessité de confronter les différentes écritures de l'histoire.
Pour le romancier Andréi Makine qui a vécu les affres du totalitarisme soviétique avant de s'installer en France où il a enfin pu révéler ses talents d'écrivain, «l ‘histoire vraie» et la «Mémoire vraie» sont la religion des sociétés où la pensée unique domine.
L'antidote dans ces conditions est la préservation de la mémoire individuelle seule génératrice de la créativité et au delà de l'intégrité de l'individu.
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