M. Aourid, qui intervenait lors de la 8ème et dernière table ronde de la conférence internationale «le dialogue des cultures: est-il possible?» sur le thème «quelle voie pour un dialogue des civilisations?», a plaidé pour une connaissance mutuelle, «sereine et nuancée», entre le monde musulman et l'Occident, connaissance qui ne soit ni obérée par la frustration du côté des musulmans ni étriquée chez les occidentaux.
«L'Islam n'est pas une représentation figée, sans rapport avec les Musulmans. Il est ce que les Musulmans en font. Il sera ce que les Musulmans en feront», a indiqué l'orateur, ajoutant que ces derniers ont répondu différemment aux défis auxquels ils étaient confrontés par des civilisations extérieures, d'abord au 9e siècle en adoptant et en assimilant les apports byzantin et persan puis en gelant la raison au 13ème siècle face à la menace des croisades.
Aussi, M. Aourid a appelé à «ressortir la dimension humaniste de l'Islam, en déterrant les corpus humanistes mystiques» et en coulant «un nouveau contenu dans un vieux contenant».
A cette démarche urgente que doivent engager les Musulmans entre eux-mêmes, s'ajoute, selon M. Aourid, une nécessité pressante de dialoguer avec l'autre afin de dissiper les malentendus accumulés au fil des ans et traiter «les questions pendantes, lourdes et déterminantes dont le noeud gordien demeure la question palestinienne».
Un «véritable dialogue», a estimé M. Aourid, doit partir du principe que tout est relatif, car ce dialogue serait biaisé si l'une des parties considère qu'elle est seule à avoir le «monopole de la vérité» et que «sa civilisation est supérieure aux autres».
Jamal Eddine Bencheikh, écrivain et enseignant à la Sorbonne, quant à lui, a invité intellectuels, artistes et penseurs des deux bords à réfléchir sur «des échanges lucides qui ne viseraient pas l'uniformité mais l'enrichissement par la différence».
Estimant que la culture peut lutter et donner espoir en un avenir meilleur, Bencheikh, qui est natif de Casablanca d'une famille tlemcenienne, a souligné que face aux déchirements actuels, «l'esprit doit reprendre ses droits» et l'assimilation doit céder la place à «la conscience du multiple».
Le professeur marocain Ali Oumlil s'est intéressé, dans le cadre de cette table ronde sur le thème générique «vers un monde solidaire», aux obstacles et perspectives de la rencontre des cultures, estimant que l'obstacle majeur réside dans l'enseignement à deux niveaux dans les pays musulmans: un enseignement consacré à une élite occidentalisée et un autre destiné au reste de la population, «nombreuse et frustrée».
Cette frustration a produit des mouvements qui se démarquaient par la rupture définitive avec les idées de démocratie et de libertés, a noté l'intervenant, considérant que la culture arabe a été ainsi réduite à la religion, elle même réduite à l'extrémisme d'où l'approche sécuritaire à courte vue du phénomène fondamentaliste.
A cette approche étroite, Oumlil propose comme alternative la promotion d'une stratégie culturelle à même de remédier aux lacunes des systèmes d'éducation et de formation en vigueur.
Mohamed Arkoun, professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste des études islamiques, a d'emblée remarqué que le «fossé culturel, scientifique et intellectuel entre l'Islam et l'Occident ne cesse de se creuser».
Arkoun a plaidé pour l'ouverture en Europe, en Amérique et dans les pays arabes de chantiers de réflexion sur les systèmes de pensée, y compris théologique, et les fonctions sociales et historiques des religions.
Regrettant l'absence de chercheurs arabes et musulmans sur ces questions fondamentales, Arkoun a noté que le monde musulman a «fait un parcours totalement inverse de celui de la laïcisation (en France) ou la sécularisation (dans le monde anglo-saxon)».
Il a également appelé à «intégrer les décalages historiques entre les cultures et les modes de pensée contemporains comme l'une des données concrètes insurmontables pour apporter des réponses appropriées aux attentes d'émancipation» et de solidarité entre les peuples.
Hamid Dabashi, professeur titulaire des études iraniennes à l'université Columbia de New York, s'est penché, pour sa part, sur la naissance des concepts de «civilisation» et de «culture», de Max Weber à Samuel Huntington et Francis Fukuyama, et l'usage qui en a été fait pour consolider l'hégémonie politique de l'Occident.
La séance de clôture de cette conférence a été marquée par la lecture d'une «Déclaration de Rabat» à travers laquelle les participants se sont prononcés en faveur de la création d'un «forum mondial sur le dialogue des cultures».
Cette séance a également été l'occasion de rendre un hommage posthume au penseur d'origine palestinienne Edward Saïd.
Edward Saïd, d'origine palestinienne et de nationalité américaine, qui enseignait la littérature comparée à l'université de Columbia, mélomane à ses heures, auteur de deux classiques «orientalisme» (1978) et «Culture et impérialisme», a secoué les fondements de l'orientalisme et marqué la pensée du 20-ème siècle. Il «fait partie de ces personnes du 20e siècle qui ont écrit les nouvelles pages de l'histoire de la pensée, de l'histoire de l'art du dialogue», comme le soulignera l'ancien premier ministre de Bosnie Herzégovine, Haris Siladzic.
Le président du Centre Tarik Ibn Zyad, Hassan Aourid, saluera la mémoire de ce grand intellectuel, «au delà des distances géographiques et culturelles, qui a marqué le monde culturel arabe, plus que la culture arabe». Il y avait dans son «appartenance identitaire arabe, certes tardive, mais velléitaire et presque véhémente, quelque chose de culturellement musulman», dira M. Aourid. Malgré qu'il soit laïc, chrétien et vivant en Occident, il a été du côté de la civilisation islamique «vis-à-vis de laquelle l'Occident était injuste et malveillant», soulignera, pour sa part, l'écrivain et journaliste égyptien, Rifâat Sayed Ahmed.
«La Palestine l'habitait même s'il ne l'a pas habité depuis qu'il l'avait quittée enfant», poursuivra Rifâat Sayed Ahmed pour qui Edward Saïd connaissait le monde et se positionnait par rapport à l'injustice. Le Pr Mokhtar Ghambou, enseignant marocain à l'université de Yale (New Have- USA), a loué, dans un hommage du disciple au maître, le travail de cet éminent scientifique, dont on enviera la vie qui a été un voyage intellectuel passionné dans de nombreux domaines.
A l'issue de ces hommages, un film du Marocain Salem Brahimi intitulé «Selves and others» (soi et les autres) a été projeté retraçant la vie d'Edward Saïd qui «n'est que momentanément mort. Comme cet autre Palestinien de Nazareth, disparu pour l'ascension», concluera M. Aourid.
«L'Islam n'est pas une représentation figée, sans rapport avec les Musulmans. Il est ce que les Musulmans en font. Il sera ce que les Musulmans en feront», a indiqué l'orateur, ajoutant que ces derniers ont répondu différemment aux défis auxquels ils étaient confrontés par des civilisations extérieures, d'abord au 9e siècle en adoptant et en assimilant les apports byzantin et persan puis en gelant la raison au 13ème siècle face à la menace des croisades.
Aussi, M. Aourid a appelé à «ressortir la dimension humaniste de l'Islam, en déterrant les corpus humanistes mystiques» et en coulant «un nouveau contenu dans un vieux contenant».
A cette démarche urgente que doivent engager les Musulmans entre eux-mêmes, s'ajoute, selon M. Aourid, une nécessité pressante de dialoguer avec l'autre afin de dissiper les malentendus accumulés au fil des ans et traiter «les questions pendantes, lourdes et déterminantes dont le noeud gordien demeure la question palestinienne».
Un «véritable dialogue», a estimé M. Aourid, doit partir du principe que tout est relatif, car ce dialogue serait biaisé si l'une des parties considère qu'elle est seule à avoir le «monopole de la vérité» et que «sa civilisation est supérieure aux autres».
Jamal Eddine Bencheikh, écrivain et enseignant à la Sorbonne, quant à lui, a invité intellectuels, artistes et penseurs des deux bords à réfléchir sur «des échanges lucides qui ne viseraient pas l'uniformité mais l'enrichissement par la différence».
Estimant que la culture peut lutter et donner espoir en un avenir meilleur, Bencheikh, qui est natif de Casablanca d'une famille tlemcenienne, a souligné que face aux déchirements actuels, «l'esprit doit reprendre ses droits» et l'assimilation doit céder la place à «la conscience du multiple».
Le professeur marocain Ali Oumlil s'est intéressé, dans le cadre de cette table ronde sur le thème générique «vers un monde solidaire», aux obstacles et perspectives de la rencontre des cultures, estimant que l'obstacle majeur réside dans l'enseignement à deux niveaux dans les pays musulmans: un enseignement consacré à une élite occidentalisée et un autre destiné au reste de la population, «nombreuse et frustrée».
Cette frustration a produit des mouvements qui se démarquaient par la rupture définitive avec les idées de démocratie et de libertés, a noté l'intervenant, considérant que la culture arabe a été ainsi réduite à la religion, elle même réduite à l'extrémisme d'où l'approche sécuritaire à courte vue du phénomène fondamentaliste.
A cette approche étroite, Oumlil propose comme alternative la promotion d'une stratégie culturelle à même de remédier aux lacunes des systèmes d'éducation et de formation en vigueur.
Mohamed Arkoun, professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste des études islamiques, a d'emblée remarqué que le «fossé culturel, scientifique et intellectuel entre l'Islam et l'Occident ne cesse de se creuser».
Arkoun a plaidé pour l'ouverture en Europe, en Amérique et dans les pays arabes de chantiers de réflexion sur les systèmes de pensée, y compris théologique, et les fonctions sociales et historiques des religions.
Regrettant l'absence de chercheurs arabes et musulmans sur ces questions fondamentales, Arkoun a noté que le monde musulman a «fait un parcours totalement inverse de celui de la laïcisation (en France) ou la sécularisation (dans le monde anglo-saxon)».
Il a également appelé à «intégrer les décalages historiques entre les cultures et les modes de pensée contemporains comme l'une des données concrètes insurmontables pour apporter des réponses appropriées aux attentes d'émancipation» et de solidarité entre les peuples.
Hamid Dabashi, professeur titulaire des études iraniennes à l'université Columbia de New York, s'est penché, pour sa part, sur la naissance des concepts de «civilisation» et de «culture», de Max Weber à Samuel Huntington et Francis Fukuyama, et l'usage qui en a été fait pour consolider l'hégémonie politique de l'Occident.
La séance de clôture de cette conférence a été marquée par la lecture d'une «Déclaration de Rabat» à travers laquelle les participants se sont prononcés en faveur de la création d'un «forum mondial sur le dialogue des cultures».
Cette séance a également été l'occasion de rendre un hommage posthume au penseur d'origine palestinienne Edward Saïd.
Hommage à Edward Saïd
Les participants à la conférence «le dialogue des cultures: est-il possible?», ont rendu, samedi soir à Rabat, un vibrant hommage à Edward Saïd, ce «grand intellectuel», «penseur», «humaniste», «porte-parole d'un peuple privé de sa terre et de son histoire», décédé en septembre dernier.Edward Saïd, d'origine palestinienne et de nationalité américaine, qui enseignait la littérature comparée à l'université de Columbia, mélomane à ses heures, auteur de deux classiques «orientalisme» (1978) et «Culture et impérialisme», a secoué les fondements de l'orientalisme et marqué la pensée du 20-ème siècle. Il «fait partie de ces personnes du 20e siècle qui ont écrit les nouvelles pages de l'histoire de la pensée, de l'histoire de l'art du dialogue», comme le soulignera l'ancien premier ministre de Bosnie Herzégovine, Haris Siladzic.
Le président du Centre Tarik Ibn Zyad, Hassan Aourid, saluera la mémoire de ce grand intellectuel, «au delà des distances géographiques et culturelles, qui a marqué le monde culturel arabe, plus que la culture arabe». Il y avait dans son «appartenance identitaire arabe, certes tardive, mais velléitaire et presque véhémente, quelque chose de culturellement musulman», dira M. Aourid. Malgré qu'il soit laïc, chrétien et vivant en Occident, il a été du côté de la civilisation islamique «vis-à-vis de laquelle l'Occident était injuste et malveillant», soulignera, pour sa part, l'écrivain et journaliste égyptien, Rifâat Sayed Ahmed.
«La Palestine l'habitait même s'il ne l'a pas habité depuis qu'il l'avait quittée enfant», poursuivra Rifâat Sayed Ahmed pour qui Edward Saïd connaissait le monde et se positionnait par rapport à l'injustice. Le Pr Mokhtar Ghambou, enseignant marocain à l'université de Yale (New Have- USA), a loué, dans un hommage du disciple au maître, le travail de cet éminent scientifique, dont on enviera la vie qui a été un voyage intellectuel passionné dans de nombreux domaines.
A l'issue de ces hommages, un film du Marocain Salem Brahimi intitulé «Selves and others» (soi et les autres) a été projeté retraçant la vie d'Edward Saïd qui «n'est que momentanément mort. Comme cet autre Palestinien de Nazareth, disparu pour l'ascension», concluera M. Aourid.
