La porte au vert rutilant qui vous accueille à quelques pas de l'entrée de Bab El Bouyba, les silhouettes des gens qui se faufilent à l'intérieur et des autres qui attendent leur tour en piaffant d'impatience ne laissent pas lieu au doute : il s'agit bel et bien d'un marabout.
Derrière se tient une pièce très singulière, obscure et effrayante :les centaines de clous en criblent les murs comme des flèches nerveusement décochées, des couvertures plutôt malpropres indifféremment étalées sur le sol où se reposent «les patients». La gardienne du marabout s'appelle lalla Zhor. C'est une sexagénaire au regard à la fois discret et cuisant, taciturne mais qui a la dent dure et n'aime pas qu'on l'importune de questions. Pour se défausser d'un visiteur indésirable comme un journaliste par exemple, elle lâche quelques mots à la hâte et sur un ton acerbe sans même prendre la peine d'écouter ses questions : «pourquoi êtes vous venue ? Vous vous êtes sûrement trompée de chemin. Il n'a y rien à savoir : on a hérité la baraka de nos ancêtres qui ont été ici depuis plus de trois siècles.
On ne prétend pas guérir les gens : Dieu seul peut emporter le mal.
Nous, on ne fait qu'interpeller sa miséricorde pour toutes ces personnes aux abois qui viennent nous voir, parfois de loin, pour se soigner».
Sidi Boulmsamer est surtout réputé pour ses pouvoirs de guérir les maux de dents mais les gens qui y accouraient souffrent de pas mal d'autres malaises : «j'accompagne ma mère qui est maintenant à l'intérieur avec lalla Zhor. On est venu de Salé.
Elle veut consulter la dame à propos des tâches pigmentaires qui lui couvrent tout le visage et qui ressemblent un peu au lentigo. La dernière fois qu'elle a visité le marabout, elle souffrait d'une conjonctivite. C'était une voisine qui lui a recommandé de venir se soigner ici et elle se portait depuis, Dieu merci, comme un charme. Dès lors à chaque fois qu'elle se plaignait d'un malaise quelconque, elle venait automatiquement à Sidi Boulmsamer»
Pour soigner ses malades, la femme entreprend tout un rituel : elle commence tout d'abord par poser la main droite sur une pierre-ponce et noirâtre puis la passe doucement avec une remarquable concentration, comme le faisaient les guérisseurs du Moyen Age pour «chasser le mauvais sang», en marmonant entre ses dents gâtées des prières indéchiffrables mais lénifiantes, une sorte d'abracadabra qui arrive souvent à calmer la douleur du malade : «je viens régulièrement pour une ziyara (visite pieuse) de Sid El Mangoud : avec l'âge on a toujours des ennuis. Quand je sors d'ici je ressens une grande sérénité qui envahit mon âme et mes membres se relâchent», témoigne une visiteuse.
Après, lalla Zhor donne un clou à son «patient» et lui demande de l'enfoncer dans le mur et de solliciter la baraka de Sid El Mengoud. Au terme de sa visite, le malade donne quelques pièces que la femme prend d'un air désintéressé et jette rapidement, comme pour se débarrasser d'une chose vile ou impure, dans une jarre à côté.
La plupart des patients de Sidi Boulmsamer sont des femmes d'un niveau d'instruction bas et qui n'arrivent pas à assumer les coûts «salés» d'une visite médicale : «j'ai amené ma fille de 5 ans qui souffre depuis quelques temps de coliques abominables. On dit que cette femme a de la baraka, j'espère qu'elle pourra faire quelque chose pour la petite car je n'ai vraiment pas les moyens de payer une visite de 150 DH chez un pédiatre sans compter le prix des médicaments. Ici je ne dépasserai pas les 15 DH», confie une jeune maman.
«Pouvoirs surnaturels»
Zineb, septuagénaire, est une fidèle visiteuse de Sidiboulmsamer.
Avec Lalla Zhor, elle peut passer des heures à papoter sans se lasser : toutes les deux ont un grand plaisir de régurgiter, non sans fierté, l'histoire du marabout qui «a accueilli des milliers de personnes souffrantes», et leur a donné confiance et espoir. Avec véhémence, elle défend les «pouvoirs surnaturels» de ce lieu, qui frisent parfois la thaumaturgie la plus grossière.
Aujourd'hui encore, Zineb se souvient du sort tragique de ceux qui ont voulu un jour lui porter préjudice : «je me rappelle de ce jour là comme si c'était hier.
On voulait détruire Sidiboulmsamer pour faire un passage. Plusieurs personnes sont venues avec leurs scies et s'apprêtaient à couper l'arbre qui jouxte le marabout. Et bien vous savez ce qu'il leur est arrivé ? Ils se sont tous paralysés et j'ai vu de mes propres yeux l'arbre saigner et le lait gicler de ses branches.
C'était certes épouvantable mais cela a servi de bonne leçon à ceux qui ne respectaient pas l'intégrité de ce lieu et ne croyaient pas à la baraka de Sid El Mengoud».
Or, Sidiboulmsamer n'accueille pas seulement une population défavorisée puisque vous pouvez y rencontrer par exemple El Haj Ahmed.
L'homme, tiré à quatre épingles, a fait des études en communication et connaît par cœur l'histoire de Rabat, ses saints et ses marabouts.
Mais s'il vient à Sidiboulmsamer ce n'est pas pour se soigner : «je connais très bien lalla Zhor. Je viens assez fréquemment ici pour m'enquérir de sa santé. Je connais aussi toute sa famille : ce sont des gens qui ont hérité la baraka de leurs ancêtres.
Ça peut paraître absurde mais il y a des choses qui dépassent notre entendement, que la science ne peut pas expliquer et auxquelles on doit croire…
Dieu a voulu récompenser certains de ses serviteurs fidèles en leur donnant la baraka».
Derrière se tient une pièce très singulière, obscure et effrayante :les centaines de clous en criblent les murs comme des flèches nerveusement décochées, des couvertures plutôt malpropres indifféremment étalées sur le sol où se reposent «les patients». La gardienne du marabout s'appelle lalla Zhor. C'est une sexagénaire au regard à la fois discret et cuisant, taciturne mais qui a la dent dure et n'aime pas qu'on l'importune de questions. Pour se défausser d'un visiteur indésirable comme un journaliste par exemple, elle lâche quelques mots à la hâte et sur un ton acerbe sans même prendre la peine d'écouter ses questions : «pourquoi êtes vous venue ? Vous vous êtes sûrement trompée de chemin. Il n'a y rien à savoir : on a hérité la baraka de nos ancêtres qui ont été ici depuis plus de trois siècles.
On ne prétend pas guérir les gens : Dieu seul peut emporter le mal.
Nous, on ne fait qu'interpeller sa miséricorde pour toutes ces personnes aux abois qui viennent nous voir, parfois de loin, pour se soigner».
Sidi Boulmsamer est surtout réputé pour ses pouvoirs de guérir les maux de dents mais les gens qui y accouraient souffrent de pas mal d'autres malaises : «j'accompagne ma mère qui est maintenant à l'intérieur avec lalla Zhor. On est venu de Salé.
Elle veut consulter la dame à propos des tâches pigmentaires qui lui couvrent tout le visage et qui ressemblent un peu au lentigo. La dernière fois qu'elle a visité le marabout, elle souffrait d'une conjonctivite. C'était une voisine qui lui a recommandé de venir se soigner ici et elle se portait depuis, Dieu merci, comme un charme. Dès lors à chaque fois qu'elle se plaignait d'un malaise quelconque, elle venait automatiquement à Sidi Boulmsamer»
Pour soigner ses malades, la femme entreprend tout un rituel : elle commence tout d'abord par poser la main droite sur une pierre-ponce et noirâtre puis la passe doucement avec une remarquable concentration, comme le faisaient les guérisseurs du Moyen Age pour «chasser le mauvais sang», en marmonant entre ses dents gâtées des prières indéchiffrables mais lénifiantes, une sorte d'abracadabra qui arrive souvent à calmer la douleur du malade : «je viens régulièrement pour une ziyara (visite pieuse) de Sid El Mangoud : avec l'âge on a toujours des ennuis. Quand je sors d'ici je ressens une grande sérénité qui envahit mon âme et mes membres se relâchent», témoigne une visiteuse.
Après, lalla Zhor donne un clou à son «patient» et lui demande de l'enfoncer dans le mur et de solliciter la baraka de Sid El Mengoud. Au terme de sa visite, le malade donne quelques pièces que la femme prend d'un air désintéressé et jette rapidement, comme pour se débarrasser d'une chose vile ou impure, dans une jarre à côté.
La plupart des patients de Sidi Boulmsamer sont des femmes d'un niveau d'instruction bas et qui n'arrivent pas à assumer les coûts «salés» d'une visite médicale : «j'ai amené ma fille de 5 ans qui souffre depuis quelques temps de coliques abominables. On dit que cette femme a de la baraka, j'espère qu'elle pourra faire quelque chose pour la petite car je n'ai vraiment pas les moyens de payer une visite de 150 DH chez un pédiatre sans compter le prix des médicaments. Ici je ne dépasserai pas les 15 DH», confie une jeune maman.
«Pouvoirs surnaturels»
Zineb, septuagénaire, est une fidèle visiteuse de Sidiboulmsamer.
Avec Lalla Zhor, elle peut passer des heures à papoter sans se lasser : toutes les deux ont un grand plaisir de régurgiter, non sans fierté, l'histoire du marabout qui «a accueilli des milliers de personnes souffrantes», et leur a donné confiance et espoir. Avec véhémence, elle défend les «pouvoirs surnaturels» de ce lieu, qui frisent parfois la thaumaturgie la plus grossière.
Aujourd'hui encore, Zineb se souvient du sort tragique de ceux qui ont voulu un jour lui porter préjudice : «je me rappelle de ce jour là comme si c'était hier.
On voulait détruire Sidiboulmsamer pour faire un passage. Plusieurs personnes sont venues avec leurs scies et s'apprêtaient à couper l'arbre qui jouxte le marabout. Et bien vous savez ce qu'il leur est arrivé ? Ils se sont tous paralysés et j'ai vu de mes propres yeux l'arbre saigner et le lait gicler de ses branches.
C'était certes épouvantable mais cela a servi de bonne leçon à ceux qui ne respectaient pas l'intégrité de ce lieu et ne croyaient pas à la baraka de Sid El Mengoud».
Or, Sidiboulmsamer n'accueille pas seulement une population défavorisée puisque vous pouvez y rencontrer par exemple El Haj Ahmed.
L'homme, tiré à quatre épingles, a fait des études en communication et connaît par cœur l'histoire de Rabat, ses saints et ses marabouts.
Mais s'il vient à Sidiboulmsamer ce n'est pas pour se soigner : «je connais très bien lalla Zhor. Je viens assez fréquemment ici pour m'enquérir de sa santé. Je connais aussi toute sa famille : ce sont des gens qui ont hérité la baraka de leurs ancêtres.
Ça peut paraître absurde mais il y a des choses qui dépassent notre entendement, que la science ne peut pas expliquer et auxquelles on doit croire…
Dieu a voulu récompenser certains de ses serviteurs fidèles en leur donnant la baraka».
