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«Toutes voiles dehors» de Nadia Yassine : la pureté dangereuse

Dans son dernier ouvrage «L'Islam mondialisé», Olivier Roy, l'un des meilleurs spécialistes qui se sont intéressés de près à ce qui est devenu d'usage d'appeler l'islamisme, il constate la mutation en cours d'un pan entier du mouvement de l'Islam politiqu

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D'après Roy, c'est l'échec du projet étatique de l'islamisme, et l'intégration du mouvement dans le jeu politique en tant que composante parmi bien d'autres de l'échiquier politique national, qui explique cette mutation vers cette reformulation d'un Islam transnational,« déterritorialisée », et donc extrait de sa culture d'origine, moins soucieux de s'identifier à une communauté particulière que de procurer du sens à des individus déconnectés de leur culture dans un contexte de mondialisation où le déracinement et l'acculturation sont en œuvre. Né essentiellement dans des sociétés non musulmanes, notamment en Occident, et en opposition à lui, c'est un Islam privé de « l'évidence sociale » qui le sous-tend dans sa communauté d'origine, qui a besoin continuellement de s'expliquer et de se faire comprendre.
Le livre de Nadia Yassine, « Toutes voiles dehors » paru dernièrement chez Le Fennec, vient à point nommé comme une illustration éclatante de cette mutation ; une sorte d'exercice d'application du discours néo-fondamentaliste.
Un livre de plus de 380 pages, qui est agréable à lire et qui tranche, par la force de ses arguments, avec cette sorte de littérature de vulgarisation religieuse de foire.
On ne présente plus Nadia Yassine. Fille du turbulent Cheikh Abdessalam Yassine, elle est l'une des figures, sinon la figure de proue du mouvement al Adl wal ihsan.
Que nous dit Nadia Yassine dans ce livre ? Ne vous laissez pas tenter de répondre en essayant de donner un sens quelconque au titre de l'ouvrage. « Les voiles » dont il est question ont peu de chose à voir avec le foulard dit islamique -l'Islam étant « plus qu'un carré de tissu » nous avertit l'auteur- ce sont plutôt les signes d'une invitation au voyage dans l‘océan houleux de la production du sens, et à l'occasion un cri de colère, un coup de gueule contre ce que l'auteur estime être « une campagne de dénigrement de l'Islam ».
« Toutes griffes dehors » aurait été encore plus juste comme titre, car visiblement, notre auteur a l'intention d'en découdre avec tout ce qui lui paraît être à l'origine d'une quelconque injustice, d'une menace ou d'une image attentatoire envers la religion islamique.
Tel un chasseur, elle est à l'affût de tout ce qui bouge. Et les têtes ne manquent pas dans ce bas-monde qui n'en finit pas de se rétrécir jusqu'à se transformer en village. Vous l'avez deviné, le premier ennemi est la mondialisation et bien sûr ce qui la sous-tend, la modernité et tout ce qui va avec : le libéralisme, la démocratie, les médias, les journalistes, les hommes politiques de tout bord, tout passe, tout à la trappe, même l'art et la musique modernes, cubisme, abstraction, rock, rap et autres techno, ne trouvent pas grâce à ses yeux. Tout ce beau monde, s'est ligué pour corrompre l'humanité et la vider de son sens : «L'homme n'est plus que le citoyen d'une société virtuelle vivant sur une idée de démocratie et sur l'illusion de tout savoir. Il croit pour cela participer pleinement et activement à la vie démocratique. Le pouvoir de l'homme politique s'étiole déjà considérablement dans cette tierce (le triangle infernal). Il s'effiloche complètement dans le contexte du libéralisme de plus en plus sauvage qui impose sa logique imperturbable même aux domaines jusqu'ici réservés à la réalisation des valeurs suprêmes».
En fait le mal serait venu de loin. Et notre auteur ne manque pas de le pointer du doigt : ce sont les fondements philosophiques de la modernité qu'un certain Descartes a eu la mauvaise idée de jeter dès le 17e siècle . Le fond de la pensée de Nadia Yassine est clair : «Les philosophies des hommes, lorsque aucune bride ne les rattache à l'absolu, deviennent élucubrations délirantes et folles chevauchées de la pensée, éloignant du sens de la vie et de l'homme plus que s'en rapprochant». Ainsi, l'acte philosophique est en lui même répréhensible selon elle, or, la pensée de Descartes en prônant le doute méthodique, en mettant l'homme au centre de la réflexion, « aura charrié pendant des siècles l'idée d'une vision mécaniste du monde. Elle aura roulé dans le lit de l'histoire et se sera transfigurée rapidement en un agnosticisme farouche. » « La faillite spirituelle des individus et la décadence des sociétés humaines» .
Au fait, fut-ce Descartes ou un certain Al Baytar, médecin arabe et musulman qui des siècles auparavant avait prôné le doute méthodique et l'expérimentation ? n'avait-il pas écrit –et c'est Nadia Yassine qui cite non sans fierté (page 362) : «Ne rapporter des théories des auteurs anciens et modernes que ce dont mes observations et expériences personnelles m'ont permis de vérifier l'exactitude, et laisser de côté tout ce dont je ne pouvais contrôler la véracité ou qui se révélait contraire à la réalité . » ? L'auteur ne s'embarrasse pas d'une telle contradiction.

Hors du temps et de l'espace

Et puis il y a eu Voltaire qui dans le même siècle s'est acharné contre l'Eglise (qui le méritait bien) et partant contre la foi en Dieu.
Mais le pire de tous, le plus dangereux, ce fut sans conteste Darwin et sa théorie « bestiale ». Désormais l'humanité est sur « les cordes raides sur le précipice de l'alogique et du néant ». si nos enfants aujourd'hui sont attirés par l'univers fantasmagorique et irréel offert à tour de bras par le cinéma, la télévision et la littérature ; si l'humanité s'épuise dans sa course vers la modernité, vers « les faux paradis » que lui font miroiter les écrans de télé, c'est à cause des « philosophies athées ». C'est également l'expression d'une angoisse qui s'empare du monde ; d'une quête d'un monde perdu, celui de l'absolu et de l'essentiel qui ne saurait être en dehors de la foi.
La foi ? oui, la religion, la spiritualité. Mais pas n'importe quelle foi, n'importe quelle spiritualité. L'Islam est la seule voie de salut des âmes perdues, non seulement pour ceux qui lui sont déjà acquis, mais pour l'humanité entière, soutient l'auteur. L'Islam ? oui, mais encore faut-il s'entendre sur quel Islam : il ne s'agit certainement pas de celui que les « médias occidentaux » ont forgé à coup de préjugés et de mensonges ; ni encore celui qui se décline sous les « traits de la voisine arabe de banlieue qui jette ses sacs d'ordure par la fenêtre et jure comme une charretière.. » ; ni encore de ces Arabes « dont les gros ventres pendeloquants sont plus mous que la moralité » ; il ne s'agit pas non plus de l'Islam tel qu'il est pratiqué dans les pays musulmans, tel qu'il est façonné par l'histoire, mais d'un Islam pur et épuré de tous les scories qui l'enveloppent après des siècles de déviance.
Nous retrouvons là les idées force du discours fondamentaliste tenu depuis plus d'un siècle par Mohamed Abdou et Jalal Eddine al Afghani.
C'est un Islam qui se situe hors du temps et de l'espace, insensible aux effets de l'histoire et de l'évolution de la culture et des mentalités. C'est sans doute pour cette raison que ni l'histoire et encore moins la culture et tout ce qui va avec intéressent peu les tenants du fondamentalisme. Il n'y a d'histoire que celle des premières années après l'avènement de l'islam, celle qui correspond à la mort du dernier khalif compagnon du prophète, Othman. Après plus rien, la fin de l'histoire, le trou noir, la chute qui dure encore plus de quinze siècles après.
L'Islam prôné par Nadia Yassine, est celui que prône tous les salafites depuis toujours. L'Islam des sources, celles des premiers califs, une courte période de l'histoire magnifiée à souhait.
On retrouvera là la même logique, le même cheminement intellectuel emprunté par certaines idéologies profanes, que décrit Bernard-Henry Lévy dans son livre « La Pureté dangereuse ». Toutes ces idéologies dont le marxisme, le national socialisme est bien d'autres qui ont fleuris durant ces dernières années prêchent le retour à un passé supposé avoir été glorieux et pur bien avant qu'il ne soit souillé par des contingences de l'histoire. Toutes promettent des lendemains qui chantent pour peu que l'on retrouve la pureté d'antan, ethnico-raciale pour les uns, religieuse pour d'autres, sociale pour d'autres encore. On sait le ravage causé par de telle construction intellectuelle.
Celle que nous présente Nadia Yassine s'inscrit dans la même lignée. Elle a beau insisté sur son attachement aux valeurs de tolérance, de démocratie, des droits humains aussi bien que du dialogue des cultures, valeurs qu'elle revendique, à raison d'ailleurs comme islamique, quand elle conseille à un non musulman, au chrétien entre autre, de renoncer à sa religion pour embrasser sa propre conception de l'Islam ; quand elle considère que les musulmans mêmes, autant qu'ils sont, ne sont pas de vrais musulmans, force est de constater qu'elle s'écarte des valeurs de tolérance, de liberté de pensée ou de démocratie. Il ne suffit pas de dénoncer comme elle le fait, la pensée unique chez les autres, encore faut-il s'en garder soi-même.
Quand à l'Islam, il se portera mieux le jour il sera vécu par ses adeptes, loin du brouhaha du discours, du tiraillement des passions, dans les profondeurs de l'intimité. Dans le silence. N'est-ce pas là le sens de la sakina, la sérénité dont parle le Coran ?
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