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Accueil next Spécial Marche verte

Une originalité marocaine : le souk, véritable pôle de fixation de la population rurale

Les souks sont enracinés au Maroc. Ils font partie du patrimoine, mais aussi de la vie sociale des ruraux. Ces marchés marocains sont mal connus, souvent mal perçus. Le problème a un poids économique, social et culturel très important.

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Le souk hebdomadaire, c’est chaque jour dans une localité rurale. Le terme souk signifie marché. Il est un élément fondamental de la vie marocaine. Carrefour commercial, c’est aussi l’endroit où régulièrement les gens se rencontrent, se retrouvent. Il existe deux sortes de souks : le marché rural et les centres commerciaux citadins qui sont dénommés plus fréquemment médinas.

Une expression inexacte utilise le terme « souk » pour désigner le désordre et la confusion. Cependant, l’organisation régionale en réseau nous a montré combien solides sont la structuration externe et l’organisation interne des marchés ruraux. « Chaque matin, je me lève tôt pour me diriger vers le souk. Là, je peux subvenir à mes besoins à un prix réduit. Je suis en quelque sorte maître de ma situation, car je n’ai jamais fait autre chose à part me promener dans ce lieu de rencontre », déclare Mohamed, vendeur de bétail. Plus de 900 souks ou marchés ruraux hebdomadaires fonctionnent au Maroc. Ils entraînent le déplacement de 4 à 5 millions de personnes par semaine, soit environ 1/5 de la population totale du pays et la moitié de la population rurale. Un Marocain sur deux dans la campagne visite régulièrement un souk. Celui-ci joue un rôle social très important. C’est un lieu où s’affirme l’appartenance à une même communauté. C’est également là où se démontrent publiquement la richesse, la puissance et la respectabilité.

La couverture de l’espace national par le tissu des marchés ruraux est assez régulière. La distance entre souks est de 9 à 10 km dans le Nord. Elle atteint 15 à 20 km dans les zones méridionales. Mais, le temps d’accès varie selon les régions, en fonction du relief. Si deux à trois heures suffisent en plaine à un fellah piéton pour gagner le souk, des trajets de cinq et six heures ne sont pas rares dans le Rif ou l’Atlas. Dans ces régions montagneuses où les routes goudronnées font défaut, certains ruraux se déplacent à dos de mulets, d’ânes ou de chevaux. Les souks sont des « médias commerciales » à la campagne, avec un ordonnancement très net des espaces commerciaux spécialisés. Animateurs des campagnes, les souks en sont aussi les organisateurs. Ils structurent fortement l’espace rural et le polarisent. La campagne marocaine est loin d’être un espace désorganisé, même si, en certains lieux, elle demeure parfois enclavée et mal desservie. Les souks lui apportent un équipement et une structure tout à fait originaux. Seul le bruit, la foule, l’agitation qui règnent sur les marchés font peu perdre de vue cette organisation, qui est pourtant bien réelle.

Une vitalité bien réelle

La vitalité des souks est bien réelle et elle a des conséquences multiples : urbanisation autour de l’aire du marché, fixation des boutiques à partir du pôle de rencontre hebdomadaire, attraction de la population éphémère puis durable, animation des transports, création de relais entre villes et campagnes, redistribution de masses monétaires importantes et fixation d’équipements administratifs et sanitaires. L’adaptation des souks est permanente et elle manifeste bien la vitalité de l’institution ; une vitalité particulièrement marocaine qui révèle le maintien de solides attaches avec le monde rural. Dans les campagnes isolées, le souk remplace la ville et comme elle, il se situe à des niveaux fonctionnels plus ou moins complexes, selon l’environnement économique et humain. Le souk est avant tout un marché de vente au détail sur lequel une part importante de la production peut être enlevée par des grossistes citadins.

Il est à la fois un centre d’écoulement des produits ruraux en surplus dans les campagnes (céréales, légumes, produits animaux, artisanats…) et un centre d’approvisionnement pour les ruraux en produits divers issus de la ville (épicerie, quincaillerie, tissus…). On y commercialise tout un ensemble de services et de loisirs. Le souk joue un rôle administratif et social très important. Brahim affirme qu’il s’approvisionne régulièrement le dimanche du souk de Louizia, pour sa boutique se trouvant au centre de la ville haute de Mohammedia. C’est un lieu de rencontre à caractère social. C’est un lieu où s’établissent des contacts, où se négocient des alliances, fiançailles, mariages… Keltoum nous a fait savoir qu’elle s’est mariée dans le souk. « J’étais en compagnie de mon père quand mon mari lui a demandé ma main. Mon père n’a pas attendu notre retour à la maison pour donner une réponse. Toutes les formalités ont été conclues par les deux adouls qui se trouvaient dans le souk ».

A cela, il faut ajouter des fonctions difficilement quantifiables comme l’encadrement sanitaire. L’autorité est représentée dans tous les souks par la Gendarmerie Royale ou les forces auxiliaires, un juge de tribunal de première instance et l’administration caïdale : super-caïd, caïd, cheikh ou moqaddem. Ainsi, le fellah peut le jour du souk régler de nombreuses affaires non commerciales : déclarations d’état civil, demande de certificats divers, règlements d’éventuels litiges (bornage des champs, désaccords commerciaux ou familiaux…). Les souks sont souvent l’occasion d’annonces officielles par l’intermédiaire des crieurs publics, de la distribution et de la collecte du courrier et de sa rédaction par les écrivains publics.

La gamme des souks s’étend donc au petit marché primaire qui ne fournit que le ravitaillement alimentaire et quelques services au grand marché multifonctions, collecteur et groupeur de récoltes, re-distributeur de produits urbains, fournisseur d’une série étendue de services allant de la coiffure à la restauration, en passant par la réparation, le spectacle, le dentiste, etc. Les souks demeurent aussi un enjeu important par les taxes qu’il rapporte et par l’animation commerciale qu’il induit.

Ainsi, les souks jouent un rôle de lieu-refuge pour les habitants démunis de ressources régulières et abritent de multiples petits métiers et services du secteur informel. Ils manifestent la solidité des traditions et du patrimoine en milieu rural et par la conquête des villes, l’attachement des Marocains à ce mode de vie.
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